« La Croix Glorieuse », mystique ou mystification ?

Les articles qui ne pourraient être considérés comme l’expression de la communauté sont publiés dans cette rubrique Tribune, ouverte aux expressions et prises de position individuelles.

Lors de la célébration du dimanche de la Croix Glorieuse, les lectures amènent certains d’entre nous à poser la question : « Où est Jésus dans tout cela ? » Nous vous donnons à lire ici la réponse de Jean-Luc Lecat.

Les trois textes proposés pour la liturgie du 14 septembre m’ont particulièrement interrogé. Le rapprochement entre eux est saisissant et m’a entrainé vers un questionnement radical : dans une telle fête, dite du Seigneur et de la Croix glorieuse s’agit-il de l’homme Jésus qui m’a séduit et m’invite à être son compagnon, ou bien suis-je en présence d’un système de pensée, d’une vision de Dieu et du monde, d’une religion installée dans ses certitudes ?

Voici les textes proposés pour le 14 septembre 2025 sur la Croix Glorieuse — Fête du Seigneur

  • 1ère lecture : « Celui qui regardait vers le serpent de bronze restait en vie » (Nombres 21, 4b-9)
  • 2e lecture : « Il s’est abaissé : c’est pourquoi Dieu l’a exalté » (Philippiens 2, 6-12)
  • Évangile : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé, de même que le serpent de bronze » (Jean 3, 13-17)

Mon questionnement

Sculpture du Serpent d’airain de Moïse sur le mont Nébo
(en forme de caducée)

En fait le récit du serpent au désert m’apparaît comme un récit mythologique, comme un tour de magie. Pour vaincre les serpents qui mordent et tuent, Moïse intercède auprès de Dieu et Dieu donne un remède de type tout à fait magique : fabrique un serpent de bronze et, chaque fois que les hommes le regarderont, il vaincra les serpents concrets qui les attaquent.
Puis vient, dans l’Évangile le rapprochement avec Jésus : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé … »
Par ce rapprochement avec l’épisode des serpents, Jésus est présenté comme celui qui, de même que le serpent de bronze, va sauver ceux qui le regarderont quand ils seront dans la misère et le désespoir.
Et Jésus peut évidemment accomplir cette guérison, faire ce « miracle », puisqu’il est présenté comme « le Fils de l’homme », descendu du ciel d’auprès du Père, lui qui a été anéanti jusqu’au plus terrible de la condition humaine, la souffrance et la mort ignominieuse. Et maintenant il est exalté, retourné près du Père. Le voici dressé, élevé, comme le serpent de bronze, et même doublement : élevé sur la croix, et surtout élevé auprès du Père. Il devient pleinement efficace, comme le serpent de bronze, mais sur un plan infiniment autre et salvateur « afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle ».

Désormais il suffit de croire à ce récit, à cette réalité, ou à ce mythe, je ne sais, pour être sauvé, comme les Hébreux se tournant vers le serpent de bronze se trouvaient guéris des morsures mortelles…

Alors tout à coup je me suis demandé si cette parole de Jean n’était pas aussi fantasmagorique, imaginaire, mystique d’une certaine façon, que celle sur le serpent de bronze. Cette vision du Christ sauveur n’est-elle pas une véritable invention, fruit de la méditation, de la contemplation, de l’émerveillement devant ce Jésus qui a vécu parmi les hommes d’une façon tellement extraordinaire qu’on l’a fait Dieu, capable de nous sauver ?

Pour moi la confrontation de ces trois textes me sidère au sens fort : elle me met en face d’un choix radical par rapport à la théologie chrétienne courante et par rapport à ce qu’on appelle la théologie du salut : Jésus, fils de Dieu devenant homme, envoyé par le Père, pour nous racheter du péché et nous sauver.

Ces trois textes rapprochés pour fêter « la Croix Glorieuse », en cette fête dite « du Seigneur », m’amènent à me demander si toute cette histoire du Christ vivant auprès du Père et sauvant les hommes n’est pas un véritable et magnifique fruit de « l’imagination désirante » des humains sur Dieu, le fruit d’une méditation sur cet homme Jésus si simple, si proche de la vie et si interpelant en même temps, si plein d’un rêve pour l’humanité. Jésus apparaît alors tellement extraordinaire qu’il semble réaliser en lui toutes les attentes concernant le Messie annoncé par les prophètes, un Jésus relu mystiquement à la lumière des textes sacrés du peuple juif, et projeté dans la divinité et dans le rôle de sauveur du péché…

Nous sommes en présence d’une vision pleine de toutes les attentes du peuple juif, vision mystique de Jésus, oint de Dieu, Messie, Christ, vision magistralement investie par Paul, le converti du chemin de Damas, vision qui va peu à peu façonner et modeler le christianisme dès les premiers conciles. Ainsi, oubliant le Jésus concret, reconnu vivant au cœur de ses disciples, homme unique et prophète de vie, se forge tout un imaginaire magnifique autour du Dieu en trois personnes et du rachat des péchés, rejoignant les peurs et les rêves des humains sur le vie et la mort. Et cette vision se fige, éliminant comme déviantes les autres façons d’appréhender Jésus. Et c’est dans cette vision définie comme seule valable et intangible que, jusque maintenant, on propose aux chrétiens de vivre, un cadre religieux inamovible…

Est-ce en ce Jésus que nous nous reconnaissons ?
Ou du moins que, moi, je me reconnais aujourd’hui ?

Personnellement, je pense que Jésus est vraiment un être extraordinaire, vivant, animé dans tout son être par l’esprit écouté au plus profond de lui-même, cet « innommable » qu’il appelle Père. Il nous invite à reconnaître ce même esprit au tréfonds de chacun de nous, en nous mettant à son écoute pour vivre, entre nous humains, chacun manifestant une façon d’être rejoignant le rêve de son Père tel que lui-même le découvre. Il nous propose une vie où chacun pourra exister en plénitude, le loup avec l’agneau, la panthère près du chevreau, il nous invite à construire un monde toujours plus respectueux des humains.

Le regard sur Jésus et sa parole, comme guides et inspirateurs de vie, me semble une voie, un chemin, plus inspirant pour notre temps qu’un serpent de bronze ou un Christ descendu d’auprès de Dieu.

Je suis venu pour que les hommes aient la vie,
et qu’ils l’aient en abondance.

Jean 10, 10
Jean-Luc Lecat

Licencié en philo universitaire et en théologie, professeur de philo en terminale pendant 10 ans, 20 ans responsable de formation en disciplines générales (français et maths) pour le personnel ouvrier de l'Assistance Publique de Paris.

  1. Jacques Clavier says:

    J’ai appris que « toute vision a un amont philosophique. En cela, toute vision et toute théorie construite dans le cadre de cette vision ne peuvent prétendre être vraies (en pertinence). Elle est essentiellement discutable. » (Bernard Billaudot, « Société, économie et civilisation »)
    Après avoir adopté la vision figée par notre Credo, je reconnais qu’un « regard sur Jésus et sa parole, comme guides et inspirateurs de vie, me semble une voie, un chemin, plus inspirant pour notre temps qu’un serpent de bronze ou un Christ descendu d’auprès de Dieu. »

  2. Monika Sander says:

    Les écrits de Jean-Luc Lecat m’enchantent toujours et m’aident à vivre. J’aimerais le lui dire un jour de vive voix …
    Je m’identifie très facilement au Jésus dont il parle, un parmi nous, dont la vie n’était pas un rêve glorieux, mais qui n’a jamais abandonné sa foi en Dieu, il a répété encore et encore que nous ne sommes pas condamnés et que l’amour nous accompagne tout au long de notre vie – ce qui ne rend pas la vie plus facile mais nous permet de la vivre joyeusement sans jamais se sentir seuls. C’est ça le vrai miracle.

  3. navant says:

    comme vous j’ai bien de la peine à entrer dans l’imagerie du serpentde bronze;<mais une fois de plus sommes vraiment en position d’apprécier ces signes/symboles venant d’une culture si différente de la notre ».
    Alors la tentation est grande de reléguer tout ça dans le domaine mythologique; C’est en fait l’eceuil dans lequel tombe notre auteur. Jean luc Luca,certes vous êtes plein d’admiration pour jésus de Nazareth et le chemin de plenitude qu’Il propose et je partage avec vous cette dimension de l’Evangile. Mais où votre foi en la dimension divine de ce m^me Jésus ? Je l’entrevois à peine d’autant plus l’élévation que vous contemplez semble un peu loin de la résurrection glorieuse du Seigneur. D’ailleurs le mot « résurrection » n’est jamais employé. Une fois de plus votre admiration religieuse me semble trés proche de la magnifique perspective de la vie de Jésus de Renan le (doux rêveur de Galilée »)
    Il manque à votre méditation ce « sursum » de divin qui fait toute la différence.

    Cordialement quand même malgré toutes ces réserves que j’ai cru bon d’exprimer M.Navant

Laisser un commentaire (il apparaitra ici après modération)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.