Et vous, savez-vous si le Père Noël a jamais été jeune et espiègle ? S’il est plus près de cent ans que de cinquante ? Et surtout s’il a eu des parents ? Personnellement, en manque d’intimité avec lui, je l’ignore. En revanche, il me semble savoir qu’il a eu sinon un grand-père, du moins un lointain aïeul qui est encore fêté ici et là et qui continue de disputer au bonhomme Noël le droit de distribuer des cadeaux. Si vous habitez quelque part en Alsace, en Lorraine ou en Suisse, la fête du 6 décembre ne vous aura peut-être pas échappé et la célébration de saint Nicolas avec elle. Mais attention ici, pas question de rennes, de barbe flottante, de pipe fumante. C’est du sérieux. Soutane violette, chasuble dorée, mitre, crosse ; bref tout l’attirail épiscopal en majesté, sans oublier le compagnon punitif (Père Fouettard ou Krampus).

Nicolas qui fait le bonheur d’une partie de l’Europe, de la Lorraine à la Pologne en passant par la Suisse et les Pays-Bas, grossière émanation de feue la Lotharingie, n’était pourtant pas du tout originaire du coin mais de Myre, l’actuelle Demre turque. On ne sait pas grand-chose de sa jeunesse ni de sa vie d’ailleurs, ce qui est très pratique pour tout inventer. Sinon qu’il est grec de Lycie, issu d’une riche famille, né vers 270 et mort à Myre vers 340 / 350, un 6 décembre. Au vu du lieu et de la période, il aura pu participer au premier concile de Nicée. Sa popularité s’est développée entre le VIIIe et le Xe siècle, portée par les compilations de nombreux récits hagiographiques et légendes improbables diffusées par des moines de culture byzantine lui fabriquant une vie remplie de sainteté. Enfant paré de toutes les vertus, il aurait été élu évêque de Myre par la vox populi (heureux temps) mais à la succession de son oncle (ça, c’est moins bien). À partir de cette étape ecclésiale, on ne compte plus les miracles accomplis durant son apostolat dont les heureux bénéficiaires formaient très souvent un trio. Il empêcha la prostitution à trois jeunes vierges, l’exécution capitale à trois princes, la prison à trois soldats, ressuscita trois enfants (ces derniers étant peut-être confondus avec les trois précédents en raison de certaines représentations iconographiques…). Cette permanence du chiffre trois souligne la force de sa conviction trinitaire dans la lutte que l’évêque mena contre l’arianisme. Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses actions, Nicolas vint aussi au secours de marins pris dans la tourmente d’une tempête en aidant lui-même à la manœuvre.
Sa popularité est devenue si grande, durant le haut Moyen-Âge finissant, qu’en 1087, soixante-deux marins originaires de Bari n’hésitent pas à voler les restes corporels de Nicolas (pratique extrêmement répandue alors) afin de les soustraire aux exactions des Turcs et, par la même occasion, de faire rayonner davantage la dimension spirituelle de leur cité. Mais une partie de ses ossements se retrouvera ensuite à Naples et un croisé, Aubert de Varangeville, aurait réussi à rapporter l’une de ses phalanges dans sa Lorraine natale, origine de son culte à Saint-Nicolas-du-Port. On comprend que la multitude des interventions miraculeuses du saint ait conduit des pans entiers de la population à le prendre pour saint patron. Celui des voyageurs, celui des marins, celui des enfants et des étudiants, des célibataires, parfois celui des avocats.

Alors comment Nicolas le saint peut-il être l’ancêtre du père Noël ? Par un premier tour de passe-passe littéraire. En effet, Washington Irving en 1809, dans son Histoire de New York racontée par Dietrich Knickerbocker, imagine l’arrivée des premiers colons hollandais vers la Nouvelle Amsterdam, devenue New-York, sur un navire dont la figure de proue représentait un saint Nicolas, sint Niclaes ou Sinterclaes fantaisiste (pantalons bouffants, pipe et chapeau). Quelques années après, en 1821, dans un poème anonyme, celui qui est devenu Santa Claus par déformation, se fait porteur de cadeaux lors de la nuit de Noël. Mais c’est surtout le théologien Clemence Moore qui, un peu plus tard (1828), dans un texte écrit pour ses enfants, The Night before Christmas, transforme le pieux évêque en laïcisant sa tenue épiscopale (le bonnet, le bâton en sucre par exemple) et en lui fournissant un traîneau et des rennes afin de mieux se déplacer dans les airs. À partir de cette période, les illustrateurs vont se saisir du personnage, chacun à sa guise. Entre les couleurs, les formes et l’allure du bonhomme, tout devient possible. En 1863, c’est Thomas Nast, célèbre caricaturiste d’origine bavaroise, qui pour le Harper’s Weekly, l’affubla d’un habit rouge, d’une fourrure et d’une grosse ceinture autour d’un ventre proéminent au service d’un joyeux tempérament. Jusqu’en 1886, il produira plus de trente dessins pour parfaire le profil. D’autres, comme John Tenniel, s’y employèrent aussi. L’image devint si familière aux États-Unis que Coca-Cola, voulant relancer la vente de son produit durant la saison d’hiver, demanda en 1930 à Haddon Sundblom d’utiliser le personnage à des fins publicitaires.
Indéniablement, et malgré des analogies généalogiques, un air de famille et de sensibles affinités, le bonhomme américain l’a largement emporté sur le pieux évêque, l’incitation à la consommation effrénée sur une possible exemplarité apologétique, la bonhommie roublarde sur l’édification miraculaire. Comme une autre victoire de la mondialisation et de ses dérives.





