Jésus avait prévenu : moi je m’en vais. Je vous ai dit plein de choses déjà, plein de paroles c’est vrai. Mais pas tout, loin de là ! Et “l’Esprit que le Père enverra en mon nom, lui, vous révèlera tout, et vous rappellera toutes les Paroles que je vous ai dites”.
Et voilà que peu de temps après son départ, ses amis, jusqu’ici un peu terrifiés et indécis, sortent de leur silence, et se mettent à parler de ce Jésus à tout vent et à qui veut l’entendre.
Jésus, expérience locale jusqu’alors, devient aventure offerte au monde juif venu de tous les horizons, Grecs, Parthes, Mèdes ou Elamites, et tant d’autres… et très vite par la suite aux païens. C’est pour l’ensemble des habitants de notre terre ! Habités par la compréhension de sa Parole, les compagnons de Jésus se lancent dans du radicalement nouveau, forts de l’Esprit qu’il leur a promis.
Il me semble que cet évènement de Pentecôte, c’est l’annonce que tout l’avenir de Jésus, tout ”l’après-Jésus”, ne va être que nouveautés, découvertes, expressions de la Parole vivante et ruminée au cœur de chaque disciple. Non pas rabâchage de vérités figées à croire et de choses à faire ou à ne pas faire, mais résonance des paroles de Jésus au plus secret de chacun, de chacune.
Ces langues de feu et cette compréhension universelle, je les entends en ce jour de Pentecôte, comme l’avènement d’un monde fourmillant d’inventions possibles et de diversité. La Parole offerte à n’importe qui, et possiblement entendue par toute personne, quelle que soit sa culture et ses traditions, son âge et son sexe, son éducation, son milieu social… Cela ne peut qu’engendrer une immense richesse et diversité, un pullulement de vie.
Mais une telle Pentecôte, n’est-ce pas suicidaire pour l’ordre établi ?
Comment ne pas imaginer que, devant un tel surgissement de vie, certains ne soient tentés de vouloir instaurer digues et bornes ?
Danger ! Rendez-vous compte, il y a risque de pagaille, de dérives incontrôlables. Si chacun se met à l’écoute de la Parole, et l’entend “dans sa propre langue”, c’est à dire à sa propre façon, où va-t-on ?
Alors peut resurgir dans la tête de personnes qui se veulent responsables, le vieux rêve de construire comme une tour de Babel : parlons tous le même langage, une seule langue, une seule façon de s’exprimer et de comprendre, et alors tout ira mieux, nous servirons mieux les humains, la Parole n’encourra pas le risque d’être déformée, et la voix de vérité se fera entendre de tous. Ce sera pour le bien de tous !
Mais est-ce cela le rêve de l’Esprit ?
Rappelons-nous ! Dieu s’est révolté face au projet de Babel, il est venu tout arrêter, et a dispersé ceux qui, pourtant, paraissaient être des artisans d’unité et du bien-être des humains. Dieu, confronté à Babel, se manifeste comme le défenseur absolu de la diversité et de sa richesse, même si cela risque de créer de nombreuses difficultés. “Allons ! Embrouillons leur langue. Et le Seigneur les dispersa sur toute la surface de la terre” (Genèse 11, 7-8).
La Pentecôte, n’est-ce pas la même expression de cette passion de Dieu pour la diversité reconnue et respectée par toute la terre ?
C’est dans la langue de chacun que la Parole est appelée à être vie. L’évènement “décoiffant”, révolutionnaire, de ce jour de Pentecôte, ce n’est pas un don particulier donné aux apôtres, c’est le fait que les assistants, dans toute leur diversité, entendent et comprennent chacun dans sa langue. La Pentecôte, c’est l’Esprit agissant, non pas seulement dans le cœur de quelques enseignants privilégiés, mais l’Esprit, la Parole, rejoignant chacun dans sa propre façon d’être, de penser, d’agir.
Appel pour nous, croyants en Jésus, à laisser la Parole rejoindre le langage, le mode de compréhension de l’autre, des autres, dans leurs différences et originalité. A nous d’accepter qu’ils la reçoivent, l’entendent et l’expriment à leur façon : l’important, c’est eux, c’est la Parole reçue, c’est le monde, ce n’est pas nous.
Et cette Parole de Pentecôte, cet Esprit que chacun reçoit dans sa langue, n’est-il pas vivant déjà, en dehors de toute référence chrétienne explicite, au cœur de tant d’engagés dans les ONG, de tant de soignants, d’éducateurs, d’enseignants ? Cette Parole, transmise depuis plus de vingt siècles au travers des institutions, de la culture, des façons de vivre, n’anime-t-elle pas l’esprit, le cœur, l’action de tant et tant de personnes qui ne se réfèrent pas à Jésus ?
Pentecôte, fête de tous, parole en tous et pour tous, foisonnement parfois déroutant et dérangeant de paroles et d’actes de vie, liberté de l’Esprit donné à tous par-dessus et par-delà toutes règles et tout pouvoir. Grande pagaille aux yeux des sages et des rationnels, mais promesse indélébile de vie pour notre monde ! “Le Père vous donnera mon Esprit qui vous fera tout comprendre.”
Que vive le peuple des croyants en Jésus.
Que chacun ose croire en sa valeur unique et essaie de se mettre à l’écoute de cette petite voix au fond de lui quand il laisse résonner la Parole.
Que chacune, chacun ose se laisser emmener, même vers des chemins inconnus et nouveaux, nourri et fort du partage avec d’autres passionnés de Jésus.
Et que la Parole, source de liberté et de confiance en toute personne humaine, soit offerte sans restriction et sans exclusive à nos contemporains.
Que ce soit Pentecôte pour tous !
Jean-Luc Lecat. 7 juin 2022