« Qu’allez-vous faire de cette barbarie ? », demandait récemment un avocat des victimes des attentats du 13 novembre 2015. Le procès touche à sa fin (verdict prévu le 29 juin), après dix mois d’audience devant la Cour d’Assises de Paris, spécialement composée de cinq magistrats professionnels. L’avis de Guy Aurenche.
Ces lignes sans doute trop sérieuses pour l’ouverture du temps des vacances, ont été écrites avant le verdict. Elles souhaitent réfléchir à ce que peut signifier « dire la justice » face à des actes d’une telle horreur. La décision sera « rendue au nom du Peuple français », en notre nom. Il ne s’agit ni de prédire les peines, ni d’innocenter ni de condamner. D’abord de nous responsabiliser, juste avant la publication, en juillet, des recommandations faites par les États généraux de la Justice.
L’éloge de la vie contre l’éloge de la mort
Par cette phrase une juge a résumé le « message » des victimes. Une place conséquente fut accordée, heureusement, aux victimes pendant ces mois d’audience. « Nous avons énormément apprécié la place qui nous a été donnée… Témoigner ne guérit pas mais cela apaise et soulage ! ». Être écouté c’est être reconnu. Pour nous, entendre les victimes c’est recevoir d’elles un message fort. « Ce procès permet de penser » s’est exclamée une personne gravement handicapée. Penser à la manière dont la société peut vivre les suites de moments d’une telle violence, lorsque toute raison risque de disparaitre. L’avocate générale (accusation) a déclaré : « Le procès ravive les douleurs, les souffrances. Mais la justice rationalise ce qui est irrationnel. Elle canalise la colère, elle est un rempart. Elle met des mots et des images sur l’impensable », dont nous ne pouvons ignorer la réalité.
La parole est à la défense
Pas facile d’entendre la parole des accusés auxquels sont reprochés des crimes abominables. D’abord il faut tenter de faire la vérité sur les faits et donc sur la responsabilité de chaque accusé, même si ceux-ci tentent de la nier ou la minimiser.
Entendre leur parole c’est accepter de reconnaitre les accusés comme des êtres humains. Quelle humanité me direz-vous, lorsque l’on collabore à de tels actes ? La société s’interdit de « déshumaniser » qui que ce soit, en cohérence avec « l’acte de foi des peuples du monde entier en la dignité de la personne humaine » (Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, peu après les drames du nazisme). Une telle proclamation ne supprime en rien, bien au contraire le pouvoir, le devoir de punir par l’emprisonnement. Mais de le faire en respectant les procédures défendant les droits fondamentaux de toute personne. L’état de droit n’est pas un luxe mais une protection contre tout abus de pouvoir. Punir certes, mais en suivant les règles prévues. Et ce, même si « nous sommes sans illusion sur ce que représente ce temps carcéral », a reconnu le réquisitoire demandant une incarcération plus ou moins longue. « Mais c’est la seule réponse sociale acceptable pour protéger la société » … « Je ne crois pas qu’un retour en arrière soit possible » de la part des accusés… « Pas pour le moment en tous cas », affirmait l’avocate générale.
Et Dieu dans tout cela ?
Ce procès a mis en lumière les risques que peut entrainer une croyance religieuse mortifère :
« Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? La force de cette idéologie mortifère est telle que rien ne peut l’ébranler ».
Dans un contexte totalement différent, on a parlé d’un « procès à nul autre pareil, habité par l’Évangile », à propos du jugement des complices des assassins du Père Hamel, égorgé tandis qu’il célébrait la messe. La dimension « hors norme » de ce procès fut due à l’attitude d’une victime de 92 ans qui osa réciter, à l’audience, le Je vous salue Marie faisant allusion au pardon des offenses ; ou de la sœur du prêtre assassiné…. devenue « amie » de la maman d’un accusé. « Les victimes, de bout en bout, ont refusé de se situer sur le terrain de la haine qui détruit notre humanité, notre liberté et notre fraternité » selon les mots de Roseline Hamel.
La justice aura le dernier mot
Au terme de son réquisitoire dans le procès concernant les attentats de Novembre 2015, l’avocate générale proposa aux juges (et pourquoi pas à nous-mêmes) les réflexions suivantes : « Votre verdict n’aura pas pour vertu de réparer ce rideau (de la paix) déchiré et de rendre leur tranquillité originelle aux victimes. Il ne guérira pas les blessures, visibles ou invisibles, il ne ramènera pas les morts à la vie, mais il pourra au moins assurer que c’est ici, la justice et le droit qui ont le dernier mot ». Ce moment de justice est incontournable pour accompagner les victimes, les coupables, la société ébranlée par tant de violence. Restera ensuite à réfléchir d’une part aux moyens de prévenir de tels crimes odieux ; et vis-à-vis des condamnés à se poser la question de leur éventuelle réinsertion. La loi française nous y invite.
Décidément le temps de la justice n’est pas de tout repos !
Guy Aurenche
Merci Guy. Éloge de la vie contre éloge de la mort, la parole à la défense, la justice aura le dernier mot, et Dieu dans tout cela. Ce long et douloureux procès a bien été l’occasion d’entendre des paroles très fortes qui nous nous concernent tous et particulièrement les chrétiens. Je souhaite que nous en gardions la trace. Une trace à suivre.