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Quand Saint-Merry accueillait des œuvres sur la Résurrection

Exprimer la Résurrection et le Ressuscité sur un mode visuel contemporain faisait partie des traditions du CPHB. Un temps où les rencontres entre des artistes et une communauté étaient intenses et marquaient les visiteurs. Des œuvres à découvrir ou à re-découvrir. La chronique de Jean Deuzèmes

Un peu d’histoire des œuvres de Résurrection à Saint-Merry

Avant les années 2000, il s’agissait de finaliser par des travaux collectifs de la communauté les méditations ou les ateliers d’analyse des Textes[1].
Puis, dans un autre style, la célébration des jours saints a été l’occasion de créer collectivement des symboliques surprenantes[2] et vues par de nombreux visiteurs, autant de moments éphémères.

Enfin vinrent  les invitations d’artistes. Certains d’entre eux abordèrent frontalement le sujet à partir de leur expérience spirituelle, mais sans intervention de la Communauté[3].

Les œuvres sur ce thème furent moins nombreuses et régulières que les crèches, ces exercices codés relevant d’une dynamique d’église mobilisatrice et plus facile.

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Dans leur diversité, les œuvres choisies par le Collège des Arts visuels signifiant la Résurrection furent souvent très fortes. Exprimer le cœur de la foi est passé par tous les registres de la sensibilité et de l’interprétation.  Mais avant toute chose, l’artiste devait affronter l’espace, grand et complexe, de l’église.

Six œuvres en dix ans

2010 : Damien Pasquier-Desvignes, Passage

La Résurrection – 65 x 50 cm et Le Christ en croix-65x50cm

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Damien Pasquier-Desvignes, Passage, 2010

Une œuvre minimaliste, silencieuse, donnant toute la place à la vie, à la joie vécue. Un face-à-face avec le visiteur dans le Claustra.

Deux plaques de marbre noir de Volos (Grèce) entaillées, des lignes épurées, relevant du dessin à main levée, immédiat et définitif à la fois.

Des traits blancs révélés au cœur même d’une matière plane, noire et mate.

Des signes qui surgissent du mur du claustra, se lèvent et se lisent en mouvement, en visage, en personnage, en symboles …

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2014 : Anne Gratadour, Résurrection


Sept grands panneaux (240×120 cm), abstraits, intensément colorés en rouge , dont six réalisés pour la nef de Saint-Merry.

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Anne Gratadour, Résurrection, 2014

La nef entière pour exprimer un autre passage dans la douleur, celui d’un enfantement.

L’artiste témoignait de deux choses : de son expérience de croyante, viscéralement peintre, et de son expérience de femme donnant la vie.

Elle s’en souvenait comme un moment d’intense violence pour l’enfant (et la mère) qui passe du sombre de l’utérus à la clarté du monde ; une femme nouvelle, un homme nouveau jaillissent de l’obscurité.
Les panneaux ne traitent pas de la mort, mais d’une mise à la vie qui ne peut échapper au choc de la délivrance.

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Les panneaux 5 et 6 étaient intitulés Résurrection. Le rouge envahit tout, l’horizontalité recule, le vert et bleu sont emportés, il n‘en reste que des traces. Une mandorle ou une forme organique apparaissent, glorieuses par la densité de lumière.

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2017 : Maxim Kantor, Résurrection


Un tableau  de très grand format, aux formes des arcades.

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Maxim Kantor, Résurrection, 2017

Une église entière résonnant de l’intensité de la foi d’un artiste « expressionniste existentiel », une œuvre débordant tous les codes, au sein de l’exposition « De l’autre côté »

Dix ans après sa première interprétation de la crucifixion http://www.maximkantor.com/bruss/bruss2.jpg , au couvent des Dominicains de Bruxelles, Maxim Kantor abordait l’expérience personnelle de la Résurrection, la sienne, mais sans reprendre l’iconographie traditionnelle. Il peint un homme, seul, décharné comme après un temps de souffrance, nu, avec un simple périzonium. Ses mains, sur les rames, sont proches du corps, évoquant les descentes de croix. Contrairement aux personnages de bon nombre d’autres tableaux de Maxim Kantor, l’homme ne regarde pas le visiteur, mais ailleurs. L’homme passe d’une rive à l’autre, comme dans le mythe ancien du Styx. La mer et le ciel se confondent. Les arbres sont ceux de l’Île de Ré, où vit et crée cet artiste, avec un petit personnage rouge, Jérôme le traducteur de la Bible. La barque a les contours d’une mandorle, le cadre traditionnel de la représentation du Christ en gloire.

Résurrection est l’expression d’une expérience personnelle de l’artiste, le passage, la Pâque. Après l’invasion de la Crimée, il a rendu son passeport, et a obtenu la nationalité allemande en 2015. En 2017, il considère avoir quitté définitivement, dans la douleur, son pays d’origine, la Russie. Il renaît dans l’île de Ré. Si la symbolique utilisée par Maxim Kantor est multiple, le corps occupe une place centrale, la mandorle-barque étant une traduction du qualificatif glorieux utilisé en théologie. Le caractère très concret du tableau renvoie à la fois au vécu intime et récent de l’artiste ainsi qu’aux récits des apparitions dans les Textes qui insistent sur la corporéité du Ressuscité.

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Un tableau récent « Les trois Marie » pour la Chapelle de la Résurrection à Luxembourg aborde très différemment le sujet. Il ne s’agit plus de son expérience personnelle, mais de l’expérience collective des premiers témoins et de la grande question « Comment en parler ? Avec quel régime de culture dire la foi ? ». Non plus passer, mais se tenir tous les jours face au vide du tombeau.

2019 : Olivier Balvet, Passion


Ensemble de 18 tableaux (80×80), dont les quatre derniers sont assemblés sous l’expression « Et après… »

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Olivier Balvet, Passion, 2019

Une œuvre radicale pour le carême, en forme de chemin de croix, un récit en peintures soutenues par des versets des Évangiles. Dans le sillage de l’art concret.

L’artiste né en 1937, un artiste inconnu des milieux artistiques, tenait caché un ensemble de tableaux qui ont été les derniers qu’il a peints. Une œuvre ultime.
Un ingénieur de métier qui a exprimé la rigueur de sa pensée au travers d’une peinture dense, dépouillée, faite de traits et rectangles blancs, gris et noirs

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« Le blanc représente le Christ, l’Humain et la Vie, notre empathie et notre espérance, le noir l’Obscurantisme et la Mort, notre aveuglement, les divers gris sont à l’image de nous-mêmes, versatiles, écartelés entre la Lumière et l’Obscurité. » (Livret conçu par l’artiste)

Les œuvres étaient accrochées dans le transept de Saint-Merry, notamment dans les vides des tableaux d’autel alors en restauration. Le contraste avec le style Rococo de tableaux de cette église était surprenant et permettait d’entrer, à la fin du parcours, dans l’ensemble impressionnant « Et après… »

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Olivier Balvet, Et après…

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2019 : Carole Texier, Christ ressuscité


Dessin au fusain occupant la place d’un tableau d’autel

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Carole Texier, Christ Ressuscité, 2018

Le passage de la sculpture au dessin. Une œuvre dénudée, une réinterprétation d’une statue défilant lors de la Semaine Sainte de Séville.

Dans le cadre de sa grande exposition, « Foules », qui traduisait l’intensité de la fête religieuse internationalement connue, Carole Texier avait aussi dessiné au fusain des sculptures de crucifixion, de flagellation, des Christs assis,  des Pietà d’origines très diverses.

Il en fut une qui attira son attention : elle ne datait pas du XVIe mais de 1973-1976 et avait été réalisée par Francisco Buiza pour la Fraternité de la Sainte Résurrection, une œuvre colorée et réaliste. En l’accrochant avec d’autres grands dessins épurés sur les quatre grands retables alors en restauration, l’artiste a donné à voir, à la même échelle, des Christs vivants ou déjà morts. Avec une grande économie de moyens, elle fit un Christ qui danse sa Résurrection.
Une manière visuelle de lier mort et résurrection.

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Prévu en 2020 : Josep Ricart i Rial. Ressuscité d’après Greco


Peinture de très grand format, 4 x 1m, parmi bien d’autres.

Une exposition poignante préparée pour Pâques 2020, avec catalogue publié, arrêtée par le COVID et refusée ensuite par l’évêché en 2021. Toujours en attente.

Ce plasticien catalan né en 1946 puise dans l’art du roman catalan d’une petite vallée des Pyrénées, Erill la Vall au XIIe, et fait aussi référence à un chef d’œuvre pictural du gothique tardif, au XVIe. Une question initiale l’a conduit : comment l’art peut-il représenter aujourd’hui la douleur, la manière dont elle est perçue et vécue ?

Cette exposition de méditation devait occuper en 2020 et en 2021 de nombreux espaces de l’église. Au milieu du tragique, Josep Ricart i Rial a traduit l’espoir en couleur sur le mode d’un Greco.

Étrangement proche de l’esprit de l’œuvre précédente de Carole Texier, il a lui aussi dessiné un corps dansant de Ressuscité, qu’il faut lire à l’aune de ses mises en croix : une espérance se niche au milieu de la torture. La verticale devient fondamentale, le mouvement du corps est accentué par le contraste des couleurs (le bleu et l’ocre), tandis que le traitement des visages devient accessoire.

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Ces œuvres, chacune avec sa spécificité, expriment visuellement, en toute liberté, une théologie de la Résurrection incarnée dans notre aujourd’hui.

L’espérance des chrétiens est là : la mort n’aura pas le dernier mot, le Christ, premier des vivants, nous ouvre la voie. Illusion ? Consolation à bon marché ? Non, car « la joie chrétienne est une joie tragique, une résurrection à travers la mort », ajoutait Athénagoras. « Le Ressuscité garde la marque des clous à ses mains et à ses pieds. »
Tout sera transfiguré. « Tout ce que nous semons dans l’ordre de la beauté, de l’amour, de la création artistique, portera du fruit et c’est ça, la résurrection », nous disait frère François Cassingena-Trévedy lors du débat de Saint-Merry Hors-les-Murs du 16 mars que l’on peut revoir sur YouTube. Une résurrection qui passe par un tombeau vide, par l’ordinaire et la banalité de nos vies. Et qui bouleverse le cosmos. Pietro Pisarra


[1] Certains peuvent se souvenir encore de l’expo Le Tombeau vide qui a occupé la Chapelle de Communion dans les années 90.

[2] En 2006, un filet à pigeons de protection des orgues a été utilisé de manières très diverses jusqu’à être tendu le jour de Pâques devant la grande porte rouge ouverte et tissé des fleurs qui avaient été distribuées par brassées durant la nuit pascale.

[3] Faute de pouvoir y participer, certaines et certains ont pu vivre ces expositions sur le mode de la frustration.

  1. Jean Verrier says:

    Merci pour ce précieux rappel du passage depuis 2010 de six artistes contemporains dans les murs de Saint-Merry. À quelles portes vont-ils aller frapper aujourd’hui hors les murs?

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