Jacques Mortier
Dans mon bureau il y a un gros tiroir où je plonge souvent. J’y ai déposé, sur des feuilles volantes, des copies de textes d’auteurs divers. Ces feuilles se sont comme sédimentées et forment une couche épaisse mais je les tourne et les retourne souvent pour qu’elles prennent l’air, l’air du temps, et parfois je vais chercher les plus anciennes, celles qui sont restées collées au fond du tiroir. Textes d’aujourd’hui , d’hier et de jadis, signés de noms connus et parfois textes anonymes, éclats, confidences, illuminations, prières, cris…
Voici deux textes de Jacques Mortier , poète saint-merryen, mort à la fin du siècle dernier. Je ne l’ai rencontré qu’une ou deux fois, mais je le revois dans notre église Saint-Merry : grand dans son manteau noir, des lunettes, une voix douce et je suis frappé par l’actualité des lignes qu’il écrivait il y a un quart de siècle. Mais, vous le savez, longtemps après que les poètes ont disparu leurs chansons courent encore dans les rues ! Entendez-vous celle-ci alors que, hors les murs, devenus nomades, nous sommes à la recherche d’un lieu et que nous nous demandons ce que sont devenus nos amis ?
Attente d’Emmaüs
…mon espérance est restée enracinée
dans ce lieu de rencontre
vers lequel
nous continuons d’avancer,
compagnons des longues routes,
amis inconnus
que je rencontrerai peut-être demain
à un carrefour, vous tous que j’aime.
Avec vous,
je désire toujours partager le pain,
que ce soit
les soirs de lassitude
ou dans l’attente joyeuse
de nos renouveaux.
Et cette autre page où se dit l’accueil du passant inconnu, quand nous étions dans nos murs, mais toujours « gens de rue et gens de maison » :
Passant
Il approche, l’anonyme.
Il vient celui qui ne sait pas
qu’il va franchir un seuil.
Il ne trouvera qu’un carré d’hommes et de femmes*
autour d’un tapis vide.
Il ne trouvera qu’une phrase
inscrite sur la feuille légère
posée sur le lutrin,
une phrase qui s’adresse à qui,
il ne le sait,
une phrase qui vient de qui,
il ne le sait.
Et nous qui sommes à la fois
dedans et dehors,
selon l’heure,
gens de rue et gens de maison,
et nous qui parfois disons
des paroles sans les comprendre,
nous t’accueillons, Passant,
pour que tu nous révèles
ce que, sans toi, nous ne saurions.
* ajout de JV
Merci beaucoup Jean très touchant ´Mireille