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Noël, c’est pas un cadeau

On nous le serine, surtout si l’on a boycotté le fameux Black Friday : la semaine qui précède le 25 décembre, est celle de la dernière chance afin de trouver un cadeau pour le vieux tonton Robert tandis que mamie Françoise vient d’en déléguer la charge aux parents de Léo et Manon afin qu’ils achètent quelque chose pour ces garnements qui ont déjà tout. Rushs assurés dans les grandes surfaces, longues hésitations sur les choix, objets provisoirement en rupture de stock, fébrilité sur les délais des ventes en ligne, carte bleue en surchauffe et queues interminables aux caisses. Bref la marchandisation de Noël est bel et bien en marche et la machine à consommer tout et n’importe quoi en action au moins depuis la Toussaint.

Cadeaux Arbre De Noël Andrew Neel Sur Unsplash
Photo d’Andrew Neel sur Unsplash

La diffusion de la coutume des cadeaux en cette période de l’année n’est pas très ancienne en dépit du recours à la référence romaine (strena/étrenne). Il semble que ce soit surtout à partir de la fin du XVIe siècle que les enfants et les domestiques, en priorité, recevaient, pour les uns, friandises ou jouets en bois, pour les autres, un peu de nourriture ou une pièce de monnaie. Mais rien de généralisé. En effet, au sein des familles, la présence et la valeur éventuelles des présents ont toujours dépendu de leur condition sociale, de la profusion indécente au rien ou au presque rien. Qui ne se souvient avoir entendu ou lu l’histoire de l’orange dont devaient se contenter, au mieux, les petits pauvres ? C’est seulement dans la seconde moitié du XXe siècle que le cadeau de Noël d’abord réservé aux jeunes changea vraiment de statut jusqu’à leur devenir un dû. D’où la pression tyrannique et insidieuse de la publicité et des enfants sur les parents. D’autant que la crainte d’être privé de présent le 25 au matin n’est plus d’actualité depuis longtemps.

Pour les adultes, le don d’un cadeau à l’occasion de la fin de l’année a longtemps participé d’une action charitable soit entre les maîtres et les serviteurs, soit entre les boutiquiers et leurs clients. Henri Mission de Valbourg, bon connaisseur des mœurs anglaises, remarque qu’à la fin du XVIIe siècle : « Au lieu que les petits présents qui ne se font en France que le premier jour de l’An, ici (en Angleterre) c’est plutôt le jour de Noël qu’on les fait. Non pas tant les cadeaux d’égal à égal, d’ami à ami mais les présents de supérieur à inférieur. Dans les cabarets, les hôtes donnent en partie ce qu’on va boire ou manger chez eux ce jour-là. Ils font payer le vin et disent qu’il n‘y a rien pour le pain ou la tranche de jambon ». Il y a donc à cette occasion, une fonction socio-ségrégative du don que l’on retrouvera jusque dans les années 1930 dans des régions comme la Provence ou la Lucanie.

Baronne Staff Livre

Attitude que la baronne Staffe, dans un ouvrage à succès, Les usages du monde (1891) a quasiment théorisée pour servir de modèle à bien des familles nobiliaires ou bourgeoises : « Les supérieurs par l’âge, la position, l’ascendance, etc., font des cadeaux de Noël et du Jour de l’an, les inférieurs n’en rendent pas. Les gens du même âge, de la même situation, du même sexe peuvent échanger des présents à Noël ». Par là, on est loin de la prise en compte des goûts des possibles destinataires. Pourtant, simultanément à cette dimension sociale, il existe désormais bien des règles invisibles qui déterminent en nous le choix des cadeaux de Noël : le degré de relation familiale, l’intimité, l’environnement culturel, l’espoir d’une réciprocité.

Aurez-vous le temps d’y penser vraiment, en vous ruant, toutes affaires cessantes, le dimanche 24 dans les magasins encore grand ouverts, alors que vous n’avez toujours pas trouvé la moindre idée pour la cousine Juliette ? Reste à souhaiter que seule la joie noëlique d’offrir l’emporte sur toutes les autres considérations.

Joyeux Noël quand même.

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Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

  1. Martine Rigaudière-Real says:

    Merci Alain.
    L’orange de Noël à chacun des dix enfants de sa famille, Juan s’en souvient encore. Sans tristesse. C’était un privilège. Car les oranges espagnoles, au Nord-Ouest de l’Espagne, on ne les mangeait… qu’à Noël ? Non pas. Aux Rois ! Et encore. Une. Et pas plus.
    Mais elles étaient rares dans la société espagnole post-guerre civile, sous Franco, les familles qui avaient les moyens d’offrir plus à leurs enfants. Du coup la frustration existait peu. Et Juan et ses frères et sœurs ne bavaient pas d’envie devant d’autres enfants mieux nantis.
    Puis sans télé et autres et sans pub, c’était plus facile.
    Regrette-t-il ce temps ? Non. La nostalgie du temps d’enfance qui les réunissait tous autour d’une table sous laquelle le brasero tenait lieu de chauffage central ? Peut-être un peu. C’était sans doute un temps béni. Béni pour qui ? Béni qd même 😊. Mais dur.
    Dur. Oui. Mais aucun
    des dix prétendra qu’ils étaient malheureux. Pauvres. Oui. Malheureux
    Non.
    Joyeux Noël !
    🌹🍀🌹

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