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Bénédiction, non-jugement et accompagnement

En lisant Fiducia Supplicans qui rend possible la bénédiction de “couples en situation irrégulière”, je me suis d’abord souvenu de la petite phrase prononcée par Pape François dans l’avion qui le ramenait des Journées Mondiales de la Jeunesse de Rio, en juillet 2013,  en réponse à un journaliste qui l’interrogeait sur l’homosexualité d’un membre de la curie romaine : « Qui suis-je moi pour juger ? ».

Cette parole nous livrait déjà, je pense, une des clés de compréhension de sa démarche d’aujourd’hui, directement inspirée de l’Évangile. Non seulement mettre en œuvre la parole de Jésus invitant à ne pas juger : « Ne jugez pas ! … Comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi enlever la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi ?» (Matthieu 7, 1-4). Mais surtout, à la manière de Jésus, refuser toujours de transformer une parole qui appelle en une pierre qui tue.

Cela peut coûter cher au Pape François comme cela a coûté cher à Jésus. On voit bien que, pour une partie de l’opinion catholique et des évêques, le Pape François va trop loin en rompant notamment avec son rôle traditionnel de moralisateur universel, énonçant, au nom de Dieu, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.
Mais on voit bien aussi que, quoi qu’il puisse lui en coûter, François s’efforce de mettre en œuvre cette tension dialectique qui traverse les Évangiles : sans jamais renoncer à la radicalité des appels que Dieu nous adresse, se faire proche, au lieu de juger, et surtout  « accompagner » (c’est un des grands mots du Pape François) au lieu de prendre ses distances  et de repousser dans les marges .

On est là au cœur de l’Évangile si l’on se souvient du chapitre 15 de saint Luc :

« Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
“Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux !”
Alors Jésus leur dit cette parabole : un homme avait deux fils … ».

Luc 15

On retrouve cette tension au cœur de la parabole du fils prodigue. Le fils aîné n’entre pas dans ce que le père lui dit et ne comprend pas sa façon de faire. Il a l’impression d’une forme de trahison. Alors que le père s’efforce de lui faire comprendre que l’essentiel est de passer de la mort à la vie et que le rôle moral le plus important est d’être artisan de ce passage, de cette Pâque : « Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! ». Il faut espérer que c’est quelque chose de cette fête que pourront ressentir ceux qui sont le plus directement concernés par ces bénédictions dont le Pape François ouvre la possibilité.

Car, comme Jésus le dit aussi dans l’Évangile de Marc (2,27) : « Le sabbat est fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat ». Le sabbat, une des prescriptions essentielles de la Loi juive ! Ce que Jésus dit du sabbat s’applique évidemment pour lui à l’ensemble de la Loi. Celle-ci est Parole de Vie et non prescription permettant de distinguer ceux qui sont dans le droit chemin des autres. André Chouraqui, familier de l’hébreu, dans sa traduction de la Bible, ne parle pas de « Dix Commandements » mais des « Dix Paroles », et, dans un de ses derniers écrits, les intitule « Dix Paroles pour réconcilier l’homme avec l’humain ».

Au-delà des débats qu’elle suscite, l’ouverture proposée par le Pape François, à adapter selon les circonstances comme l’exprime ce texte plein de nuances, me semble être d’abord une forme de retrouvailles avec ce qui est au centre de l’Évangile : ne plus juger ni mettre à l’écart, faire bon accueil et accompagner au lieu de rejeter dans les marges, ne jamais transformer un appel en une pierre qui tue, agir en fils du Dieu de tendresse et de miséricorde, lent à la colère et plein d’amour.

Et faire sortir de la clandestinité, non seulement ceux qui sont les destinataires de ces bénédictions, mais aussi ceux qui, nombreux, pour les raisons évoquées ci-dessus, ont déjà eu l’occasion de faire bon accueil à de telles demandes.

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Jean-Claude Thomas

Co-fondateur du Centre Pastoral Halles-Beaubourg, avec Xavier de Chalendar, de 1975 à 1983. Particulièrement impliqué dans les relations de solidarité et la défense des Droits de l’Homme.
Président de l'Arc en Ciel de 2003 à 2024, il a invité fréquemment Joseph Moingt et cherche à mieux faire connaître aujourd’hui l’œuvre de ce grand théologien.

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