La bonne interprétation d’Amoris laetitia selon François ?
Amoris Laetitia, relu avec attention, propose une ouverture aux divorcés remariés, qui peut aller jusqu’à la réception des sacrements, faut-il encore trouver le code !
Quel est « le code » ?
Les mouvements et groupes qui accompagnent les personnes divorcées et les personnes engagées dans une nouvelle union depuis plus de vingt ans pour certains ont rapidement trouvé le bon code. Le voici : AL305, note 351, EG 44-47. Pour ceux qui ne sont pas très familiers de ces abréviations, je décode : AL305 est un des paragraphes du chapitre VIII d’Amoris Laetitia qui aborde les normes et le discernement. La note 351 explicite la notion de ce que peut être « l’aide de l’Eglise » et EG 44-47 renvoie à « Evangelii Gaudium », exhortation apostolique du pape écrite rapidement après son élection en 2013 dont les paragraphes de 44 à 47 nous appellent à vire l’Evangile avec toutes nos limites humaines. On y trouve les phrases qui ont fait mouche « L’Eucharistie…n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles. » et « même les portes des sacrements ne devraient pas se fermer pour n’importe quelle raison » . Nous étions donc convaincus que des chemins existaient, souhaités par le pape François, mais nous ne trouvions aucune indication du « comment ? »
Alors comment ?
De notre côté, dès le début, et avec l’aide des personnes divorcées engagées dans une nouvelle union, nous avons élaboré un processus de cheminement de discernement pour un éventuel retour aux sacrements, en nous basant sur l’Évangile et notamment sur les récits des rencontres de Jésus. Comme par exemple la rencontre avec Bartimée.
Au même moment, les évêques de la région de Buenos Aires ont envoyé au pape François leur « orientation pastorale ». Le pape leur a répondu qu’ils avaient une bonne interprétation d’Amoris Laetitia et que c’était « la seule » ! Quelque temps après, les évêques de Maltes, Mgr Scicluna et Mgr Mario Grech (tiens est-ce un hasard si ce dernier est maintenant Secrétaire général des synodes) ont également envoyé des orientations pastorales ouvertes et basées sur le discernement. Mais lorsque nous avons appris que le pape François avait fait inscrire son échange de lettres avec les évêques argentins dans les « Acta Apostolicae Sedis » , le 5 juin 2017, donnant ainsi à cette interprétation une valeur de « magistère authentique de l’Eglise catholique » par un rescrit pontifical, nous savions que nous étions sur le bon chemin.
Cheminement de discernement : une première réalisation
Une paroisse, qui avait déjà bien travaillé par l’envoi de contributions inter synodales, a fait le choix d’un projet paroissial basé sur l’intégration de tous, et en particulier l’intégration des personnes « divorcées engagées dans une nouvelle union ». Dès septembre 2016, une équipe a été constituée de personnes en demande, de témoins de la paroisse, d’un couple accompagnateur et du curé. Au bout de 18 mois, une célébration dominicale rassemblait toute l’équipe et les personnes étaient accueillies à la table du Seigneur avec toute la communauté. Ce fut un grand moment de joie et de communion ecclésiale ! Depuis, plusieurs propositions ont vu le jour dans quelques paroisses voisines en déclinant le processus pour l’adapter à la réalité de la paroisse concernée.
En France, d’autres « retours aux sacrements » ont été vécus au sein de mouvements. À notre connaissance, quelques diocèses ont mis en place des prêtres « missionnaires de la miséricorde », qui ont cheminé avec des personnes ou des couples pour reprendre la pratique eucharistique. Mais, après ces accompagnements, certaines de ces personnes n’ont pas nécessairement été bien accueillies dans leur paroisse d’origine, sans doute parce que le cheminement n’avait pas été « paroissial » et la communauté pas préparée à les accueillir, tant est encore prégnante l’idée de l’excommunication dont ils étaient frappés !
Dans ce cheminement, c’est la communauté qui accueille et intègre d’abord.
En effet, le sous-titre du chapitre VIII d’Amoris laetitia est « accompagner, discerner, intégrer la fragilité ». Ces trois verbes d’actions à qui s’adressent-ils ? C’est bien aux communautés ! Ce sont elles qui doivent accueillir, accompagner et intégrer les plus fragiles et en particulier les personnes « divorcées et divorcées-remariées ». Pour le discernement, Amoris laetitia nous rappelle qu’il doit être « personnel et pastoral ». La personne accompagnée par la petite équipe apprend à discerner : c’est le discernement personnel. Et de son côté, le pasteur et la communauté font un discernement pastoral pour réaliser au mieux cette intégration, en ayant souci de faire grandir la communion ecclésiale et ainsi, le corps du Christ. Comme le père du fils prodigue, le pasteur et son équipe ont parfois du mal à faire entrer le fils ainé dans la salle du festin.
Que veux-tu que je fasse pour toi ?
Cette question de Jésus à l’aveugle Bartimée, nous sommes invités à la poser à notre tour aux personnes qui se sentent « au bord du chemin ». Pour les personnes divorcées, engagées dans une nouvelle union, la première réponse est une demande de reconnaissance de leur couple et de leur amour, un souhait d’intégration dans la communauté et, lorsqu’elles participent aux rassemblements dominicaux, un vif désir de participer à l’eucharistie et de recevoir le sacrement du pardon. La préparation à la nouvelle union et à la vie de famille recomposée peut se vivre dans un cheminement vers un temps de prière qui met ainsi leur amour sous le regard et la bénédiction du Seigneur, sans être un mariage sacramentel.
La demande sacramentelle peut également être vécue après un cheminement de plusieurs rencontres effectuées avec une petite équipe de la paroisse, un couple accompagnateur et le prêtre de la paroisse. Ce sont les cheminements Bartimée évoqués plus haut. Si le couple souhaite s’engager dans une réflexion plus spirituelle, il peut rejoindre des équipes de spiritualité conjugale, les équipes Reliance, proposées par les Equipes Notre-Dame selon le charisme du père Caffarel. Il est clair que les demandes sont différentes d’un couple à l’autre, les réponses doivent donc s’ajuster.
Nathalie et Christian Mignonat
Pour poursuivre les échanges, une proposition…
Une « année des familles » plutôt qu’une « année de la famille » ? Pourquoi pas.
Ils ne savent pas et ne sauront jamais avoir une parole publique qui dit tout le bon, le beau, l’heureux, la joie de ce que vivent celles et ceux qui ne vivent pas selon les normes qu’ils défendent . Ce bon, ce beau, cet heureux, ne parait être un horizon que pour celles et ceux qui suivent son immuable enseignement, conduisent leur vie selon la loi naturelle et divine, sont engagés de belle manière dans des relations traditionnelles.
L’année de la famille qui s’ouvre en mars prochain démentira-t-elle ce constat ? On voudrait l’espérer. On voudrait le croire. Mais la Congrégation pour la doctrine de la foi vient de réaffirmer que l’homosexualité est un « péché » et de redire l’impossibilité , pour l ‘Eglise, de bénir des unions de personnes de même sexe. « Seules les réalités qui sont en elles-mêmes ordonnées à servir (les) plans (de Dieu) sont compatibles avec l’essence de la bénédiction donnée par l’Eglise … Dieu ne bénit pas le péché ».
Peut-on dés lors espérer encore une « année de la famille » qui soit une « année de toutes les familles » : familles homoparentales, familles monoparentales, familles recomposées ? …
L’Église a les ressources pour les accueillir toutes, autrement que de manière condescendante et culpabilisante. Est-il impensable qu’elle puisse se présenter autrement que comme un juge qui dispense des « pénitences » qu’il sait intenables, une « police » qui délivre des laissés-passer sous le manteau ?
Est-il impossible qu’elle renonce à infaillibiliser ses déterminations morales comme si elles étaient des vérités de foi, et fasse , de cette année de la famille, « offertoire » des histoires concrètes des familles, de toutes familles – et pas seulement de la famille « un papa, une maman, un enfant » – qui s’efforcent de vivre l’écoute, l’attention , l’apprivoisement, le pardon mutuel, l’oubli de soi et le don de soi , la fidélité et la volonté de se réajuster sans cesse pour poursuivre longtemps ? Et pourquoi cette année voulue par le Pape François, ne célébrerait-elle pas aussi les couples, tous les couples qui savent que la tendresse passe aussi par la chair et que la chair peut être don, offrande, confidence, révélation, ouverture, façonnement de l’autre, confiance en la vie ?
Célébrer les familles, toutes les familles, cette année de la famille, ce serait dire à toutes et tous, proches , éloignés du catholicisme, indifférents, critiques, hostiles, ou partageant d’autres visions de la vie, que Dieu n’est pas le contre-maître sévère de l’exécution d’un d’un « programme » de vie, n’est pas l’éternel objecteur, contradicteur, contempteur des manières de vivre, d’aimer, de se projeter, de s’inventer de nos contemporains . Ce serait dire que surtout que Dieu s’enrichit peut-être de l’histoire des femmes et des hommes pour mieux lui ouvrir un avenir.
Mais pour célébrer toutes les familles mais aussi toutes les sexualités quand elles sont rencontres, lieux de surabondance de vie , apprivoisements, dépassements , l’année de toutes les familles serait bien inspirée de changer son rapport aux divorcés-remariés et de leur possibilité ou non d’accéder à la communion. Cette question ne concerne que relativement peu de personnes mais pour reprendre l’expression du cardinal Schönborn, elle a un « caractère emblématique » et si enfin l’Église bougeait sur cette question, d’autres dossiers aujourd’hui verrouillés pourraient être ouverts.
Pour que l’« année de la famille » soit une « année des familles », il faudra bien que si l’Église consente à un réexamen de l’enseignement de Paul VI, de Jean-Paul II et de Benoît XV sur les normes morales auxquelles, quelles que soient les circonstances, on ne peut « moralement » déroger, sur les « actes intrinsèquement mauvais » qui sont « péchés mortels, » sur la conscience qui en aucune circonstance n’a le droit de faire exception à ces normes morales , sur « la loi naturelle »… Il lui faudra aussi revenir sur la légitimité d’une certaine « infaillibilisation » de l’enseignement du magistère pontifical, des textes publiés par la Congrégation pour la doctrine de la foi et du droit canon soutenu tout particulièrement par Jean-Paul II et Benoît XV.
Il lui faudra interroger l’anthropologie culturelle, la ou des théologies qui sous-tendent les positions défendus par ces papes, en évaluant les arguments alors donnés, interroger l’identification à la doctrine de l’Église de cette ou de ces théologie. Il lui faudra encourager la confrontation, le dialogue entre la doctrine et l’expérience de tous les laïcs et pas seulement des couples choisis pour être auditionnés par les pères synodaux… et pas seulement des femmes religieuses ou des femmes qui font de leur vie une expression de la vision traditionnelle du « sexe différent » par l’Église… et pas seulement des hommes qui aiment les femmes mais des hommes qui aiment des hommes, des femmes qui aiment les femmes. . .
Il lui faudra inviter à une certaine prudence sur l’utilisation de l’argument scripturaire, le recours aux références bibliques et aux paroles de Jésus sorties de leur contexte, la valorisation de modèles de la femme ou de la famille qui ont fait les beaux jours d’hier pour asseoir des certitudes théologiques et doctrinales et prescrire des conduites .
Il lui faudra , en un mot, interroger sa doctrine . Les accommodements et subterfuges pastoraux ne satisfaisont personne, ni les partisans des statu quo, ni les promoteurs, plus ou moins discrets, de la miséricorde pastorale. La doctrine de l’Église a une histoire, elle n’est pas immuable , la « compréhension de l’homme change avec le temps » , reconnaît le Pape François.
Ne pas tout accepter en bloc des enseignements de l’institution sur les sexualités et les familles , ce n’est pas tout rejeter et pas tout renier, ce n’est pas , surtout, quitter la foi , délaisser les vérités de la foi.
Posons les questions , débattons, toutes et tous, et pas seulement les clercs célibataires :
– à partir de quand ( entre le XIe et le XIIe siècle ?) l’Église a- t-elle développé une théologie du mariage comme sacrement ? Et pourquoi ? Pourquoi l’Église, alors que des formes civiles du mariage existent, ne renonce-t-elle pas à légiférer , à avoir compétence, à avoir juridiction sur le mariage ? Pourquoi ne se satisferait-elle pas d’accueillir une réalité humaine déjà constituée pour en révéler et proclamer la signification par rapport au Christ et à l’alliance avec Dieu, pour en dire le projet, l’horizon ?
– l’indissolubilité du mariage a une histoire, laquelle ? Pourquoi le mariage serait-il le signe absolu de l’union de Dieu et de son Église ? Une réalité humaine peut-elle être signe parfait d’une réalité divine ? Quand une relation conjugale n’est plus , ne peut plus être l’expression de l’amour de Dieu pour son Église et que cette réalité peut s’avérer destructrice pour les individus, homme et femme , enfants , doit-elle être poursuivie coûte que coûte ? En renonçant à la poursuite d’une union dont aucun bénéfice, aucun fruit ne peut venir et en cherchant dans une seconde union à vivre la beauté , la force du lien , les personnes remariées ne laissent-elles pas à voir quelque chose de l’amour de Dieu pour son Église qui souvent faillie ?
– que recouvrent véritablement les mots « indignité » et « scandale » du droit canon à propos des divorcés-remariés ? Indignité pour qui, scandale pour qui ? … Pour les clercs célibataires ? Pour les personnes que l’Église a maintenu dans des unions destructrices et sans horizon ?
– que signifie cette « obligation » faite aux personnes divorcés remariés de rendre compte , de se mettre en état d’accepter une « miséricorde » accordée non sans condescendance par des clercs célibataires , une « corporation » éclaboussée par des scandales à répétition ? Qu’en est-il du respect de la conscience des intéressés et de leur liberté de prendre la décision de s’abstenir de communier ou de communier ?
– que fait l’Église quand elle recommande l’annulation d’un mariage qui a donné naissance à des enfants ? Et s’érige en juge des conditions de cette annulation dans des instances où seuls les clercs ont voix délibérative ?
– que fait et que donne à voir l’Église quand elle conduit à l’égard des divorcés remariés, des lignes pastorales différentes :
le retour aux sacrements, après un discernement personnel et pastoral , (réseau «SéDiRe» de la Mission de France, Équipes Reliance (issues des Équipes Notre-Dame), association Chrétiens divorcés, chemins d’espérance de Guy de Lachaux, cheminement Bartimée, proposé par les Équipes Reliance) plus ou moins long ;
l’accompagnement personnalisé ne proposant pas un retour aux sacrements mais une communion spirituelle (parcours Miséricorde et Vérité de Gérard Berliet du diocèse de Dijon, issu d’Amour et vérité, de la communauté de l’Emmanuel ; Cana-Samarie – la branche de Cana, du Chemin-Neuf) ?
– que disent les catholiques divorcés remariés qui délibérément partagent avec les autres membres de l’Église le repas eucharistique ? Ne méritent-ils pas d’être entendus ? Pourquoi ont-ils cessés de « transgresser » une disciple incompréhensible et source de souffrance , un « interdit » qui, en dépit des ajustements de vocabulaire, a été maintenu ? Pourquoi ne veulent-ils plus être « infantilisés » par des parcours souvent conduits par des groupes cléricaux , non exempts parfois de dérives graves (emprise des « bergers ») , rigoristes et fondamentalistes ?
– qu’ont à dire ces catholiques dont le premier mariage a failli, a parfois causé beaucoup de souffrance sinon de malheur, et qui ont trouvé dans une seconde union un apaisement, une renaissance, et une foi renouvelée dans l’amour, des discours et des parcours du magistère qui voudraient les ramener à leur première union ? La vie s’ouvre à nouveau , le partage du repas eucharistique les nourrit , pourquoi laisseraient-ils la loi étouffer ce désir, cet engagement, cette volonté de renouveau qui , dans la difficulté et la souffrance, a beaucoup appris ? Pourquoi faudrait-il qu’ils reconnaissent dans l’échec d’une première union forcément une faute, un péché ? Pourquoi seraient-ils condamnés à s’avouer « pêcheurs publics » pour être « réadmis » ? Pourquoi devraient-ils accepter que soit considérée comme « scandale » leur seconde union ? Pourquoi faudrait-il que le ou (la) divorcé(e) remarié(e) accepte de reconnaître qu’il (qu’elle) vivrait maritalement avec une personne qui ne serait pas son conjoint « dans le Seigneur » ? accepte d’avoir avec elle, avec lui une relation qui soit privé de la rencontre du corps de l’autre pour pouvoir accéder au corps du Christ ?
L’année de la famille doit être aussi l’année des familles recomposées , l’année de l’accès des divorcés-remariés qui le souhaitent à la communion.
Ouvrir l’accès à la communion des divorcés remariés, ouvrira les espaces nécessaire pour que l’année de la famille soit une année de toutes les familles.
Patrice Dunois-Canette