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Où va la France ? Échos du débat

Où va la France ? C’est la question que nous nous sommes posée le 10 octobre dernier, avec Christine Pedotti, directrice de Témoignage chrétien, et René Poujol, journaliste ancien directeur du Pèlerin et animateur d’un blog incontournable Cath’lib (pour « catho en liberté »).

Christine Pedotti diagnostique d’emblée une difficulté du commun, avec de grandes fractures divisant la nation, l’absence d’une âme commune pour avancer ensemble. René Poujol liste les difficultés diverses de notre pays, – montée des pauvretés, ascenseur social en panne, services publics laminés, problème majeur de santé mentale de la jeunesse -, qui compte 70 % de Français pessimistes pour l’avenir de leur pays, malgré un relatif optimisme pour leur cas personnel.

En ce qui concerne la politique étrangère, René Poujol rappelle qu’il faudra bien se mettre autour d’une table, un jour, avec Poutine comme avec Netanyahou ; et que soutenir l’existence d’Israël n’oblige pas à soutenir le gouvernement israélien. Un paradoxe pointé par Christine Pedotti : la France aurait une place particulière pour dire l’honneur, car elle est un pays particulier dans le monde, avec des exigences qui seraient supérieures, mais il lui faut rester dans le cadre européen pour avoir suffisamment de poids ; et René Poujol rappelle que si la France nourrit l’universalité, ce sont nécessairement les autres qui nous renvoient que ce que nous faisons a valeur universelle.

Intervenants du débat

Pour la politique intérieure, Christine Pedotti évoque la crise démocratique, – qui n’est pas que française mais européenne et américaine -, à travers l’exemple de ses administrés, dans le village normand où elle est élue, charmants voisins mais votant en masse pour le Rassemblement National. Et René Poujol note que les sondages indiquent le jugement sévère que portent les Français sur le fonctionnement de leur démocratie, suite à la dissolution : ils se défient du Président, des élus, et des institutions. Il cite Rosanvallon : la démocratie n’est pas qu’un système électoral, mais également une forme de société, qui combine confiance, autorité et légitimité à rétablir. Et il dénonce le manque de culture du compromis, chacun se voulant radical, malgré l’étude CEVIPOF montrant que les Français plébiscitent la démocratie comme système gouvernemental ; notant également que lors du débat sur les retraites, le sérieux et le sens du compromis étaient du côté des syndicats, face aux diktats du gouvernement. Depuis, c’est le Ministre de l’Intérieur qui dénigre l’état de droit et la constitution. Christine Pedotti complète ce diagnostic en notant le rôle du Conseil constitutionnel pour protéger les droits des minorités et l’avenir, ou celui de l’Europe et de ses obligations, car la démocratie de se résume pas à des choix faits en fonction du plus grand nombre d’avis. Mais comment signifier à ceux qui se sentent comptés pour rien qu’ils sont une part du commun ?

Images par Catherine-Marie Vernier

Et comment se tourner vers l’avenir, ensemble ? Quel effort de créativité pourrait nous sortir de ces impasses ? René Poujol a deux propositions : s’inspirer du synode sur la synodalité, dont le but n’est pas directement de changer les choses mais la manière de prendre des décisions pour les années à venir ; et redonner la parole au peuple, au-delà de l’Assemblée nationale. Christine Pedotti note que 65% de Français viennent de s’opposer clairement au RN, et que c’est le système politique qui n’est pas à la hauteur des électeurs ; quant à l’Eglise, elle a un avantage sur les démocraties en quête de sens, c’est qu’elle sait à quoi elle sert et où elle va, elle ne devrait donc pas être en crise si elle savait s’organiser pour fonctionner. Le point commun des électeurs RN, c’est ce sentiment que « l’avenir, avant, c’était mieux », car ils ont perdu le sens du vivre ensemble, n’ont pas d’espérance devant eux, ont envie de quelque chose de neuf.
La montée des populismes coïncide avec celle des réseaux sociaux, illusion démocratique du droit à la parole sans règles, entrainant moult dégâts sur le psychisme. René Poujol se demande pourquoi on ne peut rien contre les GAFAM, pourquoi l’anonymat est autorisé, pourquoi au nom du capitalisme mondial on met toute une génération en grave danger. Christine Pedotti rappelle que l’Europe conçoit les législations contraignantes, à la bonne échelle, mais que son travail est lent et peu visible.

La suite du débat permet à Christine Pedotti d’évoquer brièvement la question de la décentralisation et de la vie locale, avec ses fortes contraintes administratives. René Poujol cite la doctrine sociale de l’Église, son principe de subsidiarité et de dignité de la personne qui prend ses responsabilités. Il souligne le dynamisme de la société française, de ses entreprises créatives, ses syndicats, ses associations ; le développement de nouveaux modes de vie par des jeunes en recherche d’autres équilibres de vie plus respectueux de l’environnement, moins consuméristes. Mais comment arriver à donner une dimension politique à ces initiatives pour les fédérer et les transformer ? Il suggère une utopie : confier la gestion du pays à l’administration pour un temps, et demander aux politiciens de réfléchir seulement à un projet à proposer, pour déterminer vers quoi aller, et aider à retrouver un sentiment collectif.

Images par Catherine-Marie Vernier

Au terme de la soirée, Christine Pedotti évoque encore la faiblesse des corps intermédiaires, et la crise de la représentation : chacun veut s’exprimer, au lieu de s’en remettre son élu, à qui l’on donne un mandat impératif ; tandis que par ailleurs, les politiques nous déshonorent. Une initiative citoyenne serait nécessaire, justement dans la mesure où notre pays, dans sa spécificité historique, a des devoirs à l’égard du reste du monde. Pour René Poujol, les cathos ne sont pas là pour faire la morale, mais pour agir en chrétiens, et parfois en tant que chrétiens (pour reprendre la distinction de Jacques Maritain) – sans renier l’Église ; car Pasolini lui-même disait que l’Église doit être fière de défendre l’être humain.

Le lundi 14 octobre, une quinzaine de personnes se sont retrouvées en visio pour continuer à échanger sur ces questions, à partir des éclairages de nos deux intervenants.

Les principaux thèmes débattus à cette occasion :

  • La recherche de sens, ensemble, face à la perte du commun.
    (Mais faut-il toujours chercher le sens de la vie ?)
  • Les réseaux sociaux, la responsabilisation par la suppression de l’anonymat.
  • Le rôle des associations. Plutôt que vivre ensemble, faire ensemble.
  • Les conventions citoyennes (sur le climat, la fin de vie…) ont été peu exploitées. Sont-elles une piste ?
  • Quand on va commencer à nous demander de vrais efforts pour ralentir le réchauffement climatique, qui impacteront notre quotidien, les vraies difficultés vont commencer.
  • Les conventions et synodes peuvent nous apprendre à échanger et accepter les compromis.
  • Il faut sortir de la routine et inventer du neuf, au lieu d’adapter l’ancien.
  • Le RN fait du commun à partir de la peur, pour la survie, pas pour la vie ; comment ouvrir des perspectives d’avenir qui ne soient pas une fuite ? On se mobilise plus facilement « contre » que « pour » ; or il s’agit de tenir nos engagements, nos valeurs, en s’associant avec d’autres, en tissant des liens.
  • Beaucoup n’ont pas la parole (SDF, migrants…) ; le pape parle des périphéries ; mais l’Église de France : des riches qui parlent pour des riches ?
  • Ce qui nous a manqué dans le débat (sujets absents ou trop rapidement évoqués) : l’importance d’être dans l’Europe, la crise climatique, les exilés-réfugiés (qui nous font réfléchir).
  • Les phrases qui nous ont frappé.e.s : « L’avenir, c’était mieux avant », « les guerres ne seront pas éternelles ».
  • Citation de Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté. » Retrouver le combat !

Débat Saint-Merry Hors-les-murs du 10 octobre 2024 : "Ou va la France ?"
CategoriesActualité
Blandine Ayoub

Engagée depuis plus de 40 ans dans la communauté de Saint-Merry, dans des domaines et à fonctions diverses, elle est actuellement coanimatrice de l'équipe Communication. Jeune retraitée, elle a longtemps été responsable d’un pôle de ressources documentaires dans un centre de formation professionnelle de la filière éducative et sociale.

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