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La grâce et la pesanteur

Dans ce livre paru le 2 octobre 2024, La grâce et la pesanteur, aux Éditions Desclée de Brouwer, Marie-Jo Thiel s’attaque à un sujet sensible : le célibat obligatoire des prêtres. À l’aune de l’histoire, de la sociologie ainsi que des ressources théologiques, scripturaires et spirituelles, elle analyse les limites de l’association systématique entre vocation presbytérale et célibat. Celui-ci est avant tout une grâce, un don qui ne prend son sens que lorsqu’il est choisi librement pour chercher à construire le royaume de Dieu. Guy Aurenche nous propose quelques résonances à la lecture de ce livre.

livre Marie-Jo Thiel 2024

Un grand merci à l’auteure de nous décomplexer et de nous responsabiliser, en nous offrant les moyens d’aborder, sous l’angle théologique, une question ecclésiale difficile. Et ce, sans attendre que nous soyons doctement diplômés en ce domaine. La lecture de l’ouvrage, puis son étude, tout spécialement en petit groupe, permettront de vérifier si, en imposant le célibat aux prêtres, l’Église catholique est fidèle au texte et à l’esprit de l’Évangile ; ou si elle ne le dénature pas en prétendant en déduire des dogmes ou des pratiques aujourd’hui incompréhensibles. 

Je ne peux que proposer quelques résonances après la lecture de ce livre très riche, tout en restant accessible.
Deux écueils à éviter : confondre le célibat avec la chasteté qui impose à toute personne le respect de l’autre, y compris dans son activité sexuelle. Mettre en cause la sincérité et la joie de ceux qui répondent à l’appel de Dieu à travers le sacerdoce.

Les premiers disciples de Jésus n’étaient pas soumis au célibat. Pierre était marié. Pendant les premiers siècles de l’Église, la question fut discutée et les pratiques diversifiées, même si, peu à peu, l’image de la femme « impure », les désordres provoqués par certaines situations matrimoniales et l’assimilation des prêtres au Christ, poussèrent à recommander l’abstinence sexuelle. Si la réforme grégorienne, au XIe siècle, a posé la règle du célibat, celle-ci ne fut pas toujours appliquée. Le concile de Trente, au XVIe siècle, réaffirma cet impératif dans un climat d’accentuation du cléricalisme, de sacralisation des prêtres, d’une ecclésiologie reposant sur le pouvoir hiérarchique … et de riposte stratégique autoritaire à la Réforme protestante.

Les textes issus du Concile Vatican II (1962-65) insistèrent sur un autre modèle d’Église plus horizontale, synodale, mais ne remirent pas en cause l’obligation du célibat qui prend sa source « dans le mystère du Christ ». Le pape Jean Paul II durcit plutôt la position tandis que le pape François affirma que « l’exigence du célibat n’est pas d’abord théologique, mais mystique ; personne n’a le pouvoir de changer la nature du sacerdoce et personne ne la changera jamais, même si les modalités de son exercice doivent nécessairement prendre en compte les évolutions de la société actuelle et la condition de grave crise vocationnelle que nous connaissons aujourd’hui ». Comprenne qui pourra !

Le drame subi par les victimes des abus sexuels dans l’Église, ne peut être dissimulé, même si, selon la sociologue D. Hervieu-Léger : « L’abus sexuel n’est pas  la conséquence directe du célibat, mais il est à coup sûr le pire résultat de la culture de l’intrusion que celui-ci a contribué à rendre légitime dans l’Église ». Ambiguïté, malaise ?

L’auteure tient à affirmer qu’« il est indéniable que de nombreux prêtres exercent leur ministère de manière appropriée et témoignent d’une force de vie authentiquement célibataire. » Certains sont épanouis, d’autres « font contre mauvaise fortune, bon cœur ». Certains chiffres proposent de fixer « à 10 %, le nombre de prêtres vivant la continence chaste » ou révèlent que « près de 40 % des clercs ont une vie sexuelle active (hétérosexuelle et/ou homosexuelle, avec des adultes et/ou des enfants) ». Que devient l’interdiction affichée universellement, et comment défendre la crédibilité de l’Église, d’autant plus en ces temps de sécularisation ?

Un peu de théologie. « Quand on tire le fil, toute la pelote suit ! Que l’on commence par le célibat ou les femmes ou la gouvernance ou l’ecclésiologie… et tout le reste se met en convoi… ».

L’ouvrage montre clairement combien la question du célibat n’est pas anecdotique, mais conduit à s’interroger sur certains aspects fondamentaux du christianisme, tel qu’il est parfois présenté. Et donc, sur les conditions à réunir pour partager la Bonne Nouvelle à nos contemporains. Marie-Jo Thiel constate que : « La mise en place du célibat obligatoire des prêtres a dû faire face à de nombreuses résistances, que l’on retrouve aujourd’hui ». Il y a d’ailleurs des prêtres catholiques non célibataires (communautés orientales ; anciens pasteurs anglicans).

  • La tendance à identifier tout prêtre à la personne du Christ célibataire n’est théologiquement pas justifiée.
  • Suivre le Christ ne consiste pas à se prendre pour le Christ. Et cela est vrai pour tous les disciples.
  • Jésus n’eut de cesse de dénoncer la démarche de sacralisation des personnes ou des rites.
  • Comment respecte-t-on la liberté et la dignité de ceux qui aspirent, aujourd’hui, au sacerdoce en imposant cette règle ?

Pour le bibliste Daniel Marguerat, Paul, lui-même célibataire, ne veut rien imposer. Il « ne résout jamais une question morale en fixant une règle, mais en appelant au discernement ». Le célibat, comme signe d’une plus grande disponibilité, est-il audible aujourd’hui ? On peut en douter. De même peut-on mettre en cause le choix du célibat comme le sacrifice suprême auquel le prêtre devrait se soumettre. Ou comme signe précurseur du futur Royaume. « Le ciel se prépare non dans l’ascèse mortifère, ni l’oppression imposée, mais dans la liberté dont se saisissent les enfants de Dieu pour poser des actes bons, justes, fraternels ». Ou bien le souci absolu de se protéger de l’impureté que provoquerait la relation sexuelle. Pourquoi tant de haine envers celle-ci ? En quoi l’Évangile la qualifierait-elle de fondamentalement impure ? Certes, la sexualité est par excellence le lieu de la « pesanteur et de la grâce », le lieu du discernement en conscience au cœur d’une grande « vulnérabilité » et du total respect de la pleine dignité de la personne prise dans son intégralité. La sainteté n’est pas la perfection, mais l’accueil de l’invitation que nous lance Dieu à vivre en filles et fils de Dieu, et donc, en sœurs et frères de nos contemporains. Ne serait-il pas préférable de mettre l’accent sur la formation des futurs prêtres, leur vulnérabilité et le développement de leur capacité individuelle à vivre pleinement leur sexualité et leur humanité ? Tout en leur laissant le choix du célibat ?

L’ouvrage évoque plusieurs questions qui font ou pourraient faire l’objet de pistes de réflexion au sein de l’Église catholique. L’une d’entre elles est privilégiée comme première étape : l’ordination d’hommes mariés, des « viri probati » ayant fait leurs preuves dans leur communauté. Le synode sur l’Amazonie avait évoqué le problème, mais le pape n’a pas retenu cette proposition, sans pour autant l’exclure ! Pourquoi priver les chrétiens d’eucharistie, essentielle dans leur vie ? Ne pas enfermer le prêtre dans la figure de l’homme-orchestre de qui tout dépend alors que la crise des vocations s’étend. Le prêtre comme « tisseur de liens, éveilleur d’apôtres », doit-il être mis à part de la société et de l’humanité dans laquelle il vit ? Il est urgent de sortir du « cléricalisme » qui se caractérise par une certaine supériorité sacralisée et encourage les dérives sexuelles.

Éclairer le choix du sacerdoce, comme celui du mariage, par le don de l’Alliance que Dieu propose à tous permettrait d’en diversifier les modalités, la périodicité et d’en faciliter l’accès. L’appel à la sainteté que signifie le commun baptême, ne vise pas la perfection morale mais l’acceptation de la grâce bien vivante en chaque personne au cœur des pesanteurs qui l’habitent aussi. Les « temps ont changé ». Le discours sur l’amour, la sexualité, le service de la société aussi.

« Certes l’amour est risqué.
Mais, dans la suite du Christ, 
peut-on ne pas courir ce risque ?
La pesanteur peut être traversée par la grâce ».

CategoriesCulture Livres
Guy Aurenche

Avocat honoraire, membre de la Commission Droits de l’homme de Pax Christi, ancien président de l’ACAT et du CCFD-Terre solidaire. À lire de Guy Aurenche : « Droits humains, n’oublions pas notre idéal commun ! », éd. Temps présent, 2018.

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