Il y a quelques jours, je faisais partie d’un jury testeur de miels, chargé de distribuer des médailles d’or, d’argent ou de bronze à des apiculteurs. Un jury partagé en deux : les experts, eux-mêmes apiculteurs et les ignares, simples amateurs de miel. J’étais de ce lot.
Des centaines de pots de miel, de tilleul, de châtaignier, de forêt, de bruyère, de tournesol, d’acacia, de fleurs d’été… J’ai goûté dix huit miels différents, liquides, crémeux, cristallisés, ambrés, bruns, pâles, frais, boisés, fruités, épicés, au goût floral… Tous fruits d’un travail acharné des apiculteurs et des abeilles (il leur faut 1.500 voyages de 1 à 3 km pour produire 28 g de miel) et d’une lutte opiniâtre contre les frelons asiatiques, arrivés en France il y a vingt ans et responsables d’environ 20 % de la mortalité dans les ruchers. (Estimations d’un rapport du Sénat publié en avril)
Ce jour-là fut jour de surabondance et de douceur.
Surabondance et douceur, deux mots qu’on n’associe guère à notre temps où surgit la violence et s’étale la pauvreté.
Le goût du miel m’a d’abord renvoyée à Moïse et à la promesse de Dieu. Devant le buisson qui brûle sans se consumer, Moïse entend comme un appel : « J’ai vu la misère de mon peuple en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel… Va, je t’envoie le faire sortir d’Égypte. » (Exode 3, 7-10).
Une note de la TOB précise que l’expression “pays ruisselant de lait et de miel“ est très ancienne. Elle donne l’exemple d’un mythe cananéen qui célèbre le retour de l’abondance dans la nature en ces termes : « les cieux ont fait pleuvoir la graisse, les ruisseaux font couler le miel. »
J’ai commencé par prier le Dieu de Moïse de nous donner un gros coup de pouce et même de ses bras, s’il en a, pour faire de notre monde entier une terre ruisselant de lait et de miel, une terre de surabondance et de douceur.
En ancienne ânière, je me suis alors souvenu qu’abeilles et ânes, entrés dans notre vie depuis une soixantaine de siècles, avaient un point commun. Les abeilles et les ânes sont exceptionnels, les abeilles davantage même que les ânes. Ils fécondent un être d’une autre espèce. C’est Gilles Lapouge, un peu géographe, un peu philosophe, journaliste et écrivain qui insiste sur cette anomalie dans son livre L’âne et l’abeille (Albin Michel, 2014). Il affirme que les abeilles et les ânes sont les seuls animaux qui désobéissent à la loi des espèces en ayant une sexualité “aventureuse”.
Ânes et chevaux appartiennent à la famille des équidés mais ne sont pas de la même espèce. Or l’âne s’accouple avec la jument, procréant une mule ou un mulet, l’ânesse avec le cheval, donnant le bardot ou la bardote. Il arrive même, certes rarement, que mules ou mulets ne soient pas stériles !
L’abeille est bien plus “débridée“. Son audace marie la faune et la flore. Elle féconde des fleurs, des plantes, des arbres. À chacun de ses voyages, en transportant le pollen depuis l’appareil reproducteur mâle d’une fleur vers l’organe femelle, une abeille en pollinise 1.000 à 1.500.
Mais l’ânesse, a un autre atout, d’importance. Son lait, remarquable, le plus proche du lait maternel, a sauvé de nombreux bébés trop chétifs, orphelins et ceux que leur mère ne pouvait allaiter. J’en suis.
Un pays ruisselant de lait et de miel.
Le Dieu de Moïse, tel un gastronome raffiné, pensait, certes, au miel, cette merveille, mais aussi, j’en suis sûre, au lait d’ânesse, le meilleur de tous.
Oui, on peut le dire, le Dieu de Moïse, probable gourmet, est un père soucieux, attentif aux besoins de ses enfants. À leurs besoins vitaux, le lait, à leur désir de bien-être, le miel.