L’entre-soi serait-il une des spécificités du Centre pastoral Saint-Merry ?

J’ai entendu à plusieurs reprises le reproche de l’entre-soi pour qualifier la communauté du Centre pastoral de Saint-Merry, formulé notamment par nos deux derniers curés, mais rarement par des visiteurs de passage (même si lors de célébrations certains ont été surpris, alors que d’autres étaient enthousiastes), ou par nos relations « extérieures », chrétiennes, en recherche spirituelle ou impliquées dans des combats pour un monde plus juste, sans s’affirmer pour autant chrétiens. Ce que les uns et les autres ont retenu, en témoignent les 12 000 retours de la pétition, c’est l’accueil inconditionnel, notamment en direction de personnes aux marges de l’institution (divorcés, homosexuel-le-s…), en direction des migrants, des chômeurs, de frères de pays en développement, des autres religions (Nuit sacrée), des artistes (musique, expositions d’œuvres d’art témoins d’une recherche spirituelle…), en réponse à l’invitation des évangiles. Est-ce cela de l’entre-soi ?

Pour plus de clarté, venons-en à la définition communément donnée à ce terme. 

  • Définition du Larousse : « situation de personnes qui choisissent de vivre dans leur microcosme (social, politique, etc.) en évitant les contacts avec ceux qui n’en font pas partie. »
  • Le Robert considère l’entre-soi comme le « fait de rester entre personnes d’un même milieu ».
  • Pour Sylvie Tissot[1] : « Il existe au moins un dénominateur implicite qui est commun à ces deux définitions : la consanguinité, favorisée d’abord par la mise à l’écart de l’autre (que d’aucuns nommeraient exclusion), puis par l’endogamie, un vieux réflexe de classe protectionniste, souvent héréditaire. »
    « La notion d’entre-soi désigne le regroupement de personnes aux caractéristiques communes, que ce soit dans un quartier, une assemblée politique, ou encore un lieu culturel. Elle sous-entend l’exclusion, plus ou moins active et consciente, des autres. Cette mise à distance d’autrui peut être revendiquée au nom de la supériorité d’un groupe. »

La constitution d’une communauté

Un des reproches fait à notre centre pastoral est celui d’une communauté dont les membres se choisissent alors qu’il n’en est rien pour les fidèles fréquentant une paroisse. Et pourtant oublie-t-on la sociologie urbaine ! Le choix du lieu de résidence, chacun le sait, n’est pas le fait du hasard, mais très habituellement le fait d’une décision réfléchie. Ne dit-on pas que tel quartier est bourgeois, populaire ou bobo, exprimant une certaine forme de ségrégation et d’homogénéité de population ? Alors les paroissiens qui se retrouvent à l’office, en milieu urbain notamment, sont déjà dans une forme d’entre-soi ?
Or la constitution d’une communauté comme le Centre pastoral de Saint-Merry se fait, non sur la localisation de ses membres (venant de toute l’Ile-de-France voire bien au-delà via notre site internet), mais sur cet accueil inconditionnel, la recherche de sens, et le partage de foi manifestés notamment lors des célébrations et dans la quarantaine de groupes d’implication du centre pastoral.
Ce qui donne corps à notre communauté, ce sont nos enracinements et implications dans le monde d’aujourd’hui ; celui-ci, souvent ignorant du message de l’évangile, le confond avec les impératifs formulés par la « doctrine », jugés souvent trop en décalage avec leurs vécus, alors que beaucoup se reconnaissent dans les valeurs prônées par les Évangiles. C’est cette passerelle que nous souhaitons lancer, en traduisant ce message de façon concrète avec les mots de notre temps, comme cela a été fait tout au long de l’histoire de la chrétienté, souvent il est vrai en décalage avec leur société contemporaine. Est-ce de l’entre-soi !

Il est vrai que la façon dont les uns et les autres vivent leur foi, les théologies sur lesquelles ils s’appuient pour en décrypter le chemin et le sens, peuvent ériger des barrières. Poser que son approche est la Vérité ou qu’elle procède de l’autorité ôte toute possibilité de partager, toute opportunité de s’interroger mutuellement. Ne sommes-nous pas appelés à formuler chacun les socles qui fondent ces « croyances », pour aller de l’avant dans le respect d’intuitions et de convictions différentes ? Celles-ci « bougent » toujours au fil du temps, de part et d’autre, quand il y a volonté de construire ensemble. Certes, ne pas adhérer à cette pratique conduit à se sentir exclu ! Il est vrai qu’il faut être « solide » pour oser partager, oser être remis en cause dans ses convictions, quand on se perçoit plutôt « seul contre tous » !

Par ailleurs le caractère sacré du clerc, c’est-à-dire « séparé » des fidèles, conduit à générer un « corps social », un groupe d’appartenance (un entre-soi), comme dans bien d’autres groupes sociaux (les magistrats, les médecins, les artisans… tous organisés face aux autres groupes sociaux, dans des instances de représentation, de fonctionnement de leur corps social). Pour les clercs, le « groupe social » prend un sens plus impératif puisque, dans la doctrine catholique, le clerc est l’intermédiaire pour aller vers Christ, notamment via les sacrements, même si Jésus en son temps a rappelé qu’il n’y a pas obligation d’aller au temple pour parler à Dieu son Père. Le clerc, en responsabilité de paroisse, voire de communauté, est le passage obligé avec l’Église institution quand il est mandaté par l’évêque auprès d’un groupe de fidèles. De là à s’inscrire dans le risque d’une dérive autoritaire, quand le curé est à la fois le lien avec l’évêque et le responsable de la paroisse devant les autorités civiles (le grand écart entre le guide spirituel, la mission pastorale, la mission de faire adhérer les fidèles aux corpus élaborés par l’Église institution et la responsabilité de gouvernance) !

Toute recherche, toute innovation, dans l’Église institution comme dans les institutions « civiles » fait difficulté à être reçue, l’institution ayant comme premier réflexe d’assurer sa continuité dans ce qui est connu et acté. Là encore, on peut y déceler une tentation d’entre-soi. Mais ceux qui « innovent », se considérant uniques et d’avant-gardes, peuvent aussi s’isoler dans une forme d’entre-soi et aller jusqu’à un certain mépris pour ceux qui ne partagent pas leur approche.
Mais pour appartenir à l’Église faudrait-il abdiquer sa capacité de discernement dans le souci de l’évangélisation ? Un discernement qui peut aussi être bousculé, éclairé comme cela est souvent lors de partages dans nos différents groupes du centre pastoral, où l’on est amené à changer et plus encore à se retrouver différents, mais unis par le Christ dans nos incarnations propres, notamment lors de la célébration de l’eucharistie.

Pour illustrer et conclure, je propose l’allégorie du couple dans une approche sans doute schématique : il peut être fusion, patriarcal ou fondé sur l’altérité.

Le couple fusion est l’image du parfait entre-soi : il se suffit à lui-même, sans le besoin d’être interrogé, enrichi par d’autres ; l’entre-soi est recherché, les relations sociales écartées ou formelles. Une fois la fusion mise à mal, il explose le plus souvent. Ne peut-on y trouver une similitude quand notre institution église recherche une unité nivelante au mépris de la diversité des chemins pour vivre le message des Évangiles ? 

Le couple patriarcal se définit par la domination de l’homme, du mari sur son conjoint, du père sur ses enfants. L’entre-soi est contraint (cf. les situations d’inceste au sein de la famille, on ne peut plus explicites). L’homme est celui qui sait et décide. N’est-ce pas, pour bonne part l’image du positionnement imposé aux femmes dans l’Église institution, plus largement celle des laïcs dans la gouvernance de l’Église ?

Le couple « altruiste » reconnaît chacun de ses membres dans sa spécificité et cherche l’épanouissement de l’autre. Le couple est ouvert sur le monde. Il s’inscrit dans la complémentarité de ses membres (dont les enfants auxquels il est fait confiance pour découvrir leur propre chemin de vie). N’est-on pas là, l’allégorie d’une Église ouverte, synodale ? N’est-ce pas cette approche « aventureuse », mais régénératrice de vie qui donne sens et fonde l’Église universelle ?

Par bonheur François fait exploser l’entre-soi : il est proche de notre humanité bien au-delà du monde catholique (écologie, fraternité…) ; il est soucieux que le peuple des fidèles participe à la gouvernance de l’Église (apports lors des synodes, écoute de toutes et tous, réforme de la curie et des finances…), et demandeurs que fidèles et clercs s’impliquent dans ce grand chantier, dans une dynamique de complémentarités.

André Letowski


[1]  Sociologue au CRESPPA (Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris)
et auteure de Les espaces de l’entre-soi, Seuil, Actes de la recherche en sciences sociales, 2014/4

CategoriesActualité
  1. Blandine Ayoub says:

    Merci, André. C’est le bon côté de ce qui vient d’arriver de si triste pour notre communauté : ces milliers de signatures de soutien et ces centaines de témoignages qui nous ont montré qu’à l’évidence, Saint-Merry maintenant Hors-les-Murs ne représente pas que lui-même. Ce qui reste préoccupant, c’est l’homogénéité sociologique de l’Eglise de France. J’espère bien que le Paradis fera voler l’entre-soi en éclats !

  2. Jules Arthur MASSART says:

    Merci pour ce commentaire judicieux et bien approprié
    Bonne continuation vous avez le soutien d’un grand nombre
    Courage

  3. aurenche guy says:

    Merci André pour ces lignes bien éclairantes. Elles éclairent ce que peut signifier “vivre en église” dans la relation et l’ouverture qui ne sont pas une manie ni un trait de caractère mais des éléments constitutifs de ce peuvent vivre l’ecclésiastique, le groupe de celles et ceux qui demandent à Jésus “où demeures tu ?”

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