Dehors, en plein vent, je suis dans le troupeau, en transhumance, nomade, vers d’autres enclos dont le Bon Pasteur a le souci. Une opportunité pour regarder autre part ce que les autres peuvent me dire, me faire comprendre. Il y a plusieurs enclos dans la maison de Dieu, c’est Jésus qui le dit.
Je voudrais être une petite brise légère d’espérance qui a l’avantage de se glisser partout, à travers les barrières, dans les murs, jusqu’aux endroits les plus verrouillés des prisons, sous les mots que j’écris et sur les touches de mon clavier. Ouvrir l’enclos de mon cœur pour laisser la place au Bon Pasteur, être de son côté et pas de celui du loup.
Un troupeau, en transhumance, a l’œil ouvert, l’oreille attentive. Le pays traversé n’est jamais le même, il y a les coups de cœur de la rencontre inattendue, la fleur toute seule au fond du pré. Puis, c’est la montée vers les hauteurs des sommets, l’eau joyeuse qui s’amuse en escaladant les pierres, les bruits inconnus… Soudain le troupeau a disparu. La peur… Grande solitude ! Les chemins de traverse, combien attirants, ont fait oublier l’essentiel : le Chemin, qui est Jésus, pour quelques touffes d’herbes odorantes, enivrantes dont on aurait sacrifié sa toison de laine. Brebis perdue, devenue…
Je suis abandonnée, désespérée, en descendant de plus en plus bas dans l’abîme, le ravin me donne le vertige. Je me suis perdue. Ma vie est ratée, trop tard pour être sauvée de la mort ! Mais non, il n’est jamais trop tard, me murmure une petite voix, l’Espérance qui veut étouffer le désespoir. Elle est plus résistante que tout ce qui est mortifère, elle tient le coup, elle ne désespère jamais. Alors, j’appelle, malgré mes craintes.
Le Bon Pasteur, inquiet de ma disparition, viendra me récupérer, il me prendra sur ses épaules, réchauffera mon cœur. Il me dira qu’il m’aime. C’est pour nos manques et nos faiblesses qu’Il est venu par amour, sur terre, pour nous aider. Il s’est fait chair, Il s’est fait frère, aussi. Chaque jour est donc un jour nouveau. Un premier jour… Une renaissance… Mais c’est merveilleux ! Il n’y a que Dieu qui peut se permettre de dire cela et de créer à tout instant un jour nouveau…
Le Bon Berger est capable de laisser, sur place, ses quatre-vingt-dix-neuf brebis pour aller à la recherche d’une qui s’est égarée. Il met tout le monde en danger, lui-même, puis le troupeau qui va rester sans protection, car les chiens vont parcourir les champs, les prés et les forêts pour une brebis qui a fait des bêtises. Jésus prend des risques incroyables et Dieu, son Père, semble trouver cela normal. Son amour n’a pas de limites… Il y a bien d’autres récits dans l’Évangile qui en témoignent… Le père de l’enfant prodigue en est un, qu’on ne peut oublier.
Je pense à ma grand-mère, aujourd’hui ; je devine que si elle avait choisi le dimanche du Bon Pasteur, pour communier, une fois l’an, ce n’était pas le fruit du hasard. C’était un évènement qu’elle nous signalait la veille, le samedi, juste avant d’aller se confesser. Elle avait un air grave et mystérieux qui nous faisait comprendre qu’il ne s’agissait pas de lui demander la raison du choix du Bon Pasteur. Elle n’aurait sans doute pas répondu… Alors qu’elle nous faisait de longs récits de sa vie, qu’elle racontait à merveille. Elle accompagnait les passages plus tristes d’un léger soupir, en disant : « Ah ma vie n’a pas été ordinaire ! » Et puis très vite elle repartait sur un sujet plus gai.
Plus tard, après sa mort, nous avons appris que sa vie avait été marquée par des choix audacieux mais aussi par des évènements dramatiques, dont elle a voulu garder le secret de son vivant. Son désir était qu’un jour nous soyons mis au courant.
Dans sa peur d’être écartée, de ne pas être aimée, de ne pas pouvoir rejoindre l’enclos, Jésus, Bon Pasteur, avait dû être pour elle, celui qui pouvait la comprendre, l’aimer et la ramener au bercail.
Ma grand-mère aimait Thérèse de Lisieux car elle avait exprimé son désir de « passer son ciel » à faire du bien sur la terre. Une grand-mère passionnée par l’amour qu’on peut apporter aux autres dans la peine et la détresse.