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Comment poser la question de l’autorité aujourd’hui ?

L’autorité en crise

Plus les pouvoirs constitués parlent d’autorité et se lamentent de la défiance qui les ronge, plus la crise de l’autorité est évidente. C’est vrai dans toutes les institutions, pourquoi en irait-il autrement dans l’Église ? Pour s’imposer l’autorité nécessite légitimité et reconnaissance. Or en modernité, les individus donnent quasi-systématiquement la priorité à leur for intérieur. Ils n’obéissent plus aux  injonctions extérieures qui disent le permis et le défendu, le mal et le bien. Du coup, le monde contemporain n’admet plus d’emblée l’autorité des traditions, du savoir ou du sacré. On peut avoir du mal à accepter ce constat mais, décidemment, obéir est devenu une « chose trop pénible » (Nietzsche).

L’autorité autorise

« Par quelle autorité fais-tu cela, qui te donne ton autorité » demande-t-on à Jésus (Mc 11, 11-33). À ceux qui veulent le piéger il ne répond pas. Il assume une légitimité fragile, contrairement aux scribes qui s’auto-justifient par la tradition. Mais ses proches sont vivement frappés par la puissance de ses paroles et de ses actes qui font autorité pour eux.

L’étymologie d’autorité provient du latin auctoritas et en amont du verbe augere, qui signifie faire naître, augmenter, grandir, ouvrir à l’existence, initier quelque chose d’inédit, poser un acte fondateur. L’auteur (auctor) est celui qui fonde une parole et s’en porte le garant. La figure paradoxale qui convient est donc celle de l’autorité qui autorise et non pas l’autorité qui impose. Celui qui exerce l’autorité permet à un groupe de construire du neuf et à chacun de prendre confiance en soi.  Le « maître est celui qui maintient le chercheur dans sa route, celle où il est le seul à chercher et ne cesse de le faire … Qui enseigne, sans émanciper, abrutit » (Jacques Rancière).

Ce sont donc les figures de l’autorité et leur mécanisme de reconnaissance qui sont en crise, plutôt que l’autorité elle-même. Le « mode autoritaire », c’est-à-dire l’obéissance forcée, est devenu un contresens. Une autorité contestée est une autorité déchue. L’autorité demande reconnaissance plutôt qu’obéissance, « mise en résonnance » de la parole d’autorité avec l’attente de l’auditeur plutôt que son aliénation (Hartmut Rosa). Autre contresens, l’autorité se distingue du pouvoir, elle n’en est absolument pas synonyme (Max Weber).

L’autorité nécessaire

Soyons clairs, l’individu se voulant totalement autonome est une fiction au moins aussi néfaste que celle de la doctrine se prétendant immuable. Nous avons besoin de l’autorité qui permet à une collectivité ou à un groupe de fonctionner et de prospérer. Nous avons absolument besoin du moteur fondamental des institutions qu’est la confiance en une autorité reconnue. Nous avons besoin que le bien commun de toute société soit clairement établi, c’est-à-dire que le fondement moral et spirituel du vivre-ensemble fasse autorité. Par exemple dans le champ politique, faute de légitimité clairement reconnaissable dans le jeu démocratique, on voit bien que le défaut d’autorité ouvre la porte aux populismes les plus dangereux et aux violences sans fin.

On assiste à l’individualisation des démarches spirituelles et religieuses sans la moindre contrainte. La foi semble consister à choisir dans un « stock » de croyances disponibles celles qui conviennent le mieux à chacun, sans aucune « hiérarchie des vérités » prédéterminée. La validation sociale de ce « croire » reste absolument nécessaire mais elle se fait par l’attestation des semblables, non plus par l’institution. Autrement dit, globalement, on est passé d’une autorité de surplomb à l’autorité du témoignage validé de façon mutuelle et affinitaire.

Matteo da Milano, Jésus exorcisant, 1515-1525, Clevenand Museum of art, Ohio

Ainsi la seule bonne autorité est celle de la parole faisant sens, celle de Jésus, d’un prophète ou d’un maître de sagesse, celle de la cohérence en face à face entre la parole et les actes. Les pères du désert parlaient de la parrêsia du maître spirituel, la faculté de tout dire, l’ouverture de parole, d’esprit et de langage, une manière d’être qui manifeste que le maître est lui-même comme ce qu’il dit, et, de ce fait, permet que sa parole soit reçue comme vraie par le disciple. La parrêsia est une éthique de la vérité qui associe transformation de soi et accès à la vérité (Michel Foucault, 1982). Y-a-t-il meilleure façon de comprendre le fondement de toute autorité positive dans le contexte d’aujourd’hui ?

L’autorité du service

L’évangile introduit une autre nouveauté : l’autorité est service (Luc 22, 25), entendons le service du bien commun. Celui-ci n’est pas le service de l’intérêt général, mais le service de chacun en commençant par les plus petits. La pensée sociale de l’Église ajoute le principe de subsidiarité : l’autorité « supérieure » n’a pas à intervenir dans ce que peut faire une autorité « inférieure ». Dans l’Église, en principe, l’autorité correctement exercée apporte réconciliation et paix, elle fait signe de Dieu parmi nous. Hélas certaines pratiques d’autorité, adoptées sans discernement, peuvent se révéler tyranniques et destructives. Elles délégitiment l’institution, dans le cas de l’Église, par des dogmes incroyables, leur contradiction flagrante avec le vécu commun des baptisés, les abus de pouvoir et les discriminations insupportables. Le modèle de l’autorité exercé à la manière de Jésus nous appelle individuellement et collectivement en Église à une autre façon de faire (Jean 13, 14-16 ; Ph 2, 3-4). De plus, l’annonce évangélique a pour fondement la contestation de tous les ordres de ce monde, au nom d’une utopie féconde en paroles et en actes. La véritable autorité de l’Évangile et de l’Église peut-elle trouver sa source ailleurs que dans cette critique radicale ?

L’autorité négociée

Dans les entreprises, on sait bien depuis longtemps que le chef ou le manager n’a que l’autorité de sa cohérence reconnue par son équipe, de la confiance mise en lui à ce titre. Sa fonction, sa compétence et son expérience ne servent qu’à conforter cette reconnaissance. Dans la sphère institutionnelle, on sait aussi que l’autorité non fondée sur le bien commun des membres de l’institution ou qui s’en détache subrepticement, perd tôt ou tard sa légitimité. Bref dans tous les cas et malgré les apparences, l’autorité se mérite davantage qu’elle se donne ou se prend.

La quête pathétique d’autorité

Ceux qui se préoccupent le plus d’autorité ne sont-ils pas ceux qui en manquent le plus ? Soit parce qu’ils ont le sentiment que leur autorité n’est pas suffisamment reconnue alors que l’institution leur en promet pleine délégation, soit parce qu’ils ne parviennent pas à l’exercer personnellement. Dans les deux cas, il s’agit d’un problème propre aux récipiendaires de l’autorité. Quand ils se plaignent du défaut d’autorité, c’est en réalité contre eux-mêmes qu’ils récriminent, pas contre les autres. Autrement dit de façon gouailleuse, l’autorité c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale.
Reste le cas de ceux qui subissent un excès d’autorité sous la forme d’une contrainte morale. En général ils en démasquent aisément la cause, sauf dans le cas difficile où l’autorité est le fait d’un pervers narcissique. Ordinairement, ceux qui en souffrent, douloureusement, combattent naturellement l’abus d’autorité par l’inertie des faits quotidiens (Michel de Certeau), et cela finit par une rupture.

Au fond, ce que révèle l’abus ou le défaut d’autorité n’est-ce pas seulement la justification inadéquate de son fondement, ou bien l’incapacité de son détenteur à la mériter ?

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Jacques Debouverie

Ingénieur-urbaniste de métier, conseil auprès des collectivités locales et formateur. Responsable associatif dans le domaine du droit au logement des jeunes. Participant de la communauté de Saint Merry depuis les années 80, en équipe à la Mission de France. Père de famille et diacre.
Parmi ses publications "Dieu vu du bas - lettres à des amis de tous bords", Editions Futurbain, 2020.

  1. Bernadette Capit says:

    N’y a-t-il pas aussi dans le mot “autorité” la même étymologie que celle du mois d’août – celui des moissons, de la récolte- et donc le mot autorité, au-delà de faire naître serait aussi “faire croitre” et “faire parvenir à maturité” ?
    Merci Jacques

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