Umberto Allegre Boulange, vicaire général dans les Andes, est séduit par le projet de synode. Il nous explique pourquoi grâce à ses échanges avec André Letowski.
Prêtre du diocèse d’Amiens envoyé comme Fidei Donum au Pérou (1987/94), revenu en France, il a ensuite été appelé par un évêque du Pérou (2001/2016) pour constituer une paroisse dans un quartier très marginal de Lima-Est. Depuis 2016, appelé de nouveau par un jeune évêque péruvien, dans une Prélature des Andes (Chuquibamba), il en est jusqu’à présent le Vicaire Général.
Une première définition de la démarche synodale
C’est une démarche d’unité, manifestée et construite en mobilisant tous les baptisés, égaux devant Dieu. Elle prend forme d’abord au niveau local pour trouver son point d’orgue dans un synode réunissant laïcs et clercs, notamment les évêques, premiers responsables locaux, porte-paroles de l’expression des baptisés dont ils ont la charge, et tout autant représentants actifs au sein de l’église universelle, constituée de la diversité des communautés en dialogue.
Localement comment peut s’exprimer la démarche synodale ?
Être à l’écoute,
et ne pas imposer ce que l’on aimerait
que les membres de la communauté fassent.
Quand Hubert est arrivé à Campoy pour créer « la paroisse » (70 000 habitants), il a choisi d’écouter ce que les chrétiens avaient mis en œuvre avant qu’il n’arrive. Ils ont cherché à vivre leur foi, à leur façon, sous une forme de piété populaire ; par exemple, la création de la procession du Seigneur des Miracles où ils partagent, lors d’une procession, les souffrances de Jésus, en lien avec leurs propres souffrances. Pour ce faire, ils n ’ont pas eu besoin d’un curé. Pour Hubert, il s’est agi de reconnaître dans cette expression le Souffle de l’Esprit, de donner de la valeur à cette initiative, plutôt que d’imposer sa propre façon de voir.
Bouger ensemble, faire confiance
La démarche synodale, c’est partir de leurs vies au quotidien, de leurs combats collectifs pour plus de justice ; par exemple, se battre ensemble pour installer l’électricité, faire venir l’eau dans le quartier, face à l’inertie des Pouvoirs Publics, ou encore la solidarité avec une famille dont la cabane a brûlé, où 2 enfants sont morts, un moment qui continue à être célébré au fil du temps. C’est reconnaître les attentes, les demandes des gens, au-delà même de celles des chrétiens, aider à exprimer ce que la société ne permet pas de faire. Les encourager, les accompagner. « Leur faire confiance : tu peux le faire ».
Faire que les gens se prennent en main et non les condamner pour des conduites que les doctrines ou une posture hiérarchique jugeraient inappropriées. Quand l’Église condamne certaines de ces conduites, « c’est grave, mais j’ai bien conscience de faire partie de cette Église, dont je suis solidaire ». Pas facile à vivre, mais cela fait aussi partie de la démarche synodale.
Cette démarche c’est ainsi se bouger ensemble dans nos réalités humaines. Car la communauté chrétienne se construit, s’enracine, se développe par ces différents dynamismes et non d’abord dans les liturgies. Reconnaître en chacun le don de Dieu, la pluie de grâces qu’ils reçoivent.
« Être disciple et être citoyen sont deux démarches qui doivent se structurer simultanément. C’est la base d’une véritable inculturation de la foi. »
Conduire chacun à découvrir ses charismes
Ces implications conduisent à ce que ces personnes découvrent leurs capacités à se prendre en main, à partir de ce qu’elles sont, et non faire à leur place. Les accompagner pour qu’elles fassent émerger leur identité collective. Pour ces femmes et hommes, venus de la montagne dans l’espoir de vivre mieux, soi et sa famille, retrouver ses racines culturelles (danses, chants, croyances issues de son histoire…) est un atout essentiel pour se construire, bâtir leurs nouvelles conditions de vie et enraciner leur recherche spirituelle.
« Il est important que le Ministre puisse exercer son discernement pour savoir reconnaître, dans les talents des personnes de sa communauté, les charismes que Dieu nous envoie. Ceci est la base d’une Pastorale des Vocations. »
Lâcher du lest
Le temps du Covid a bousculé les habitudes. Un cycle de conférence sur Laudato si’ était organisé avant la crise sanitaire par les prêtres en présentiel, avec souvent la participation « obligée » des chrétiens les plus proches. Avec la crise, pour poursuivre ce cycle, il a fallu passer par le web fort présent chez les habitants de la ville. L’évêque a « convoqué » les baptisés pour que cela se passe en famille (à ces familles de se prendre en main avec si besoin un appui à distance). Les participants ont été 3 fois plus nombreux, avec un public pour bonne part différent.
Même approche pour la catéchèse qui a été confiée aux cellules familiales. A tour de rôle, les familles organisent la prière de leurs maisons fort modestes, entrant ainsi dans la vie de ces familles. Le chef de famille (femme ou homme selon) est alors le ministre qui conduit la prière. Il se crée ainsi tout un nombre de petites communautés vivantes, prises en main par les laïcs.
Faire émerger ensemble la Bonne Nouvelle
Mais c’est bien souvent parce que l’on partage les bonnes et plus encore les mauvaises nouvelles, que la Bonne Nouvelle de l’Évangile se fait jour. Les apôtres, suite à la crucifixion de Jésus sont dans la panade, paumés, cachés par peur des juifs. Et pourtant, c’est en partageant, dans le temps, cette terrible situation que le Christ vient à eux et leur donne la force pour annoncer l’amour de Dieu pour les hommes. Les mauvaises nouvelles ainsi partagées deviennent le terreau de la Bonne Nouvelle.
L’institution ou la communauté des communautés
L’institution, l’organisation religieuse, dont la tendance est de cadrer souvent de façon réductrice pour faire unité, doit s’effacer devant le pluralisme des communautés. Les personnes sont plus importantes que l’institution. La paroisse de Campoy est composée de sept communautés « géographiques », mais il est aussi d’autres communautés de vie, fondées sur les partages de vies au quotidien, ponctuelles ou plus pérennes. « La paroisse » est alors une communauté de communautés. Leurs diversités enrichissent et fondent la célébration de l’eucharistie, partagée ensemble, réunie au nom du Christ. Concrètement la préparation de la célébration par chacune des communautés, dans leur expression propre, est bien plus nourrissante qu’une équipe liturgique permanente affectée à cette tâche.
« Faut-il agréger l’idée que la paroisse doit passer d’une Communauté de Communautés à une COMMUNION de Communautés. Ce qu’on appelle (en grec) KOINONÍA . Il n’y a Communion avec le Christ que s’il y a une communion aussi entre les membres de la communauté humaine. »
La mission du prêtre
Il se doit d’être l’homme du discernement, celui qui reconnaît le Souffle de Dieu à l’œuvre. Il se doit tout autant de valoriser les baptisés dans leurs initiatives et les encourager dans le développement de leur charisme, pour découvrir l’action de l’Esprit en eux. Il est aussi l’homme de la communion, celui qui travaille inlassablement à l’unité en Christ, non à une unité formelle, mais à ce que les communautés partagent leurs diversités en Christ. Mais cela ne prend corps que si le prêtre est un des leurs, chrétien certes et non clerc d’abord mais aussi proche de la vie des communautés, reconnu comme un membre de la société locale toute entière, « au point que l’on ne m’appelle plus padre, mais par mon prénom, Humberto ». Comme Jésus a été un juif, parmi les juifs.
Au-delà d’une organisation (le synode attendu en octobre 2023), la démarche synodale, enracinée localement dans ses cultures propres et ses vécus, partagés en communauté, non sans difficulté, n’est-ce pas qui fera ou non réussir ce pari ?
Le projet d’Assemblée d’Église qui se déroule actuellement en Amérique du Sud
« Les Évêques (les plus ouverts) auraient souhaité qu’il y ait une sixième Assemblée des Épiscopats d’Amérique Latine (à la suite de Río 1955 – Medellín 1968 – Puebla 1979 – Saint Domingue 1992 et Aparécida 2007). Le pape François ne l’a pas souhaité car :
- Les fruits d’Aparécida ne sont pas encore visibles …
- Il faut cesser de penser que seuls les évêques représentent l’Église …
Donc en 2021, en forme virtuelle, nous entrons dans le temps de l’ÉCOUTE où tous les groupes chrétiens peuvent s’exprimer, et même les personnes individuellement, sans exclure les ministres (diacres, prêtres et évêques) car ils font partie du Peuple de Dieu à part égale avec tous les baptisés.
C’est très clairement un préambule au Synode sur la Synodalité prévu pour 2022/23. »
Umberto Allegre Boulange
recueilli par André Letowski