D’abord ce fut le ton (et le fond) des dernières Conférences de carême, un ramassis de bondieuseries dignes de ces magazines qui vous racontent par le menu les mésaventures de rois, reines et princesses déchus de leur trône, dans une prose qui se veut grandiloquente, érudite même, et ce n’est que le reflet d’une ignorance encyclopédique. Puis, d’autres signes : les protestations pour le « droit à la messe » lors des premiers confinements, le retour des ostensoirs, des chasubles dorées et des processions, à défaut de spiritualité.
Les néo-tradis…
L’heure est au tradis et aux néo-tradis, curieux oxymoron, ces communautés nouvelles qui montrent au grand jour les bienfaits du catholicisme de l’émotion, le mépris du monde, foncièrement mauvais, le catéchisme de saint Pie X remplaçant l’étude des Écritures et de la théologie. Tout cela avec la bienveillance, d’autres diront la complicité, de quelques évêques en manque de culture théologique et d’imagination pastorale. Jadis limité à deux trois villes, minorité excentrique confite en dévotion, le mouvement gagne Paris. Enfin, « gagne » : le mot est mal adapté. Occupe, plutôt, quelques paroisses, délaissées par des paroissiens atterrés par les scandales et l’incapacité de l’Église à se réformer, et confiées par des pasteurs zélés à ces groupes que la tourmente pourtant n’a pas épargnés.
C’est le catholicisme spectacle en version néo-tradi : une séance de guérison, trois alléluias, des monologues multiples en sabir ésotérique, deux pèlerinages à Medjugorje, et une obéissance à toute épreuve à l’autorité en place.
Avec quel empressement on a salué dans les Années ’80 et ’90 cette nouveauté-là ! Avec quels aveuglements on a voulu y reconnaître le renouvellement de l’Église, avant de déchanter face aux dérives, aux abus spirituels, au manque de discernement ou simplement de bon sens. Certes, il ne faut pas généraliser. La bonne foi et la générosité de la très grande majorité ne sont pas en question. Ce sont l’idéologie cléricale, la mise au placard d’une pensée personnelle, ce que Georges Bernanos appelait une spiritualité de perroquet, qui appellent à la révolte. C’est la caricature du christianisme, la mal nommée « évangélicalisation ».
…et la diversité des charismes
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’attiser, à peu de frais, de nouvelles guerres fratricides, de pointer du doigt telle ou telle autre communauté. Car chaque chrétien doit balayer tout d’abord devant sa propre porte. Mais de dire fraternellement et fermement les exclusions et les souffrances engendrées par la fièvre identitaire allumée par ce courant du catholicisme, un « amour » qui ne connaît pas de miséricorde, un amour abstrait, au nom de principes immuables et de valeurs non négociables, fait de soumission et rarement de désir. C’était difficile de le rappeler quand le vent gonflait les voiles des communautés nouvelles. C’est encore plus difficile aujourd’hui que de ces communautés on voit les limites, malgré la confiance toujours aveugle de quelques autorités. C’est difficile, mais indispensable, car il y va de l’avenir de l’Église, auquel nous tenons tout autant qu’eux. Et autant que les évêques qui ont choisi de confier des paroisses, faute d’autres moyens, à ces communautés qui ne sont pas « faites pour », car elles ont d’autres charismes. Depuis longtemps, désormais, on en voit les conséquences : la paroisse, qui par définition est le lieu de tous, devient la chasse gardée d’un groupe qui impose sa spiritualité, ses conceptions théologiques et liturgiques, et fait fuir les autres. À la diversité, succède l’uniformité : de classe (bourgeoise, tendance Versailles ou Bordeaux), de culture (un traditionalisme bon teint, mâtiné de quelques écarts spectaculaires dans la forme), de sensibilité (avec l’émotion qui prend le dessus sur la raison), de choix politiques (de la droite républicaine à l’extrême droite).
Il n’est pas trop tard pour reconnaître les dégâts psychiques et spirituels provoqués par de tels choix : il suffit d’avoir vu Les éblouis de Sarah Suco (2019), avec Camille Cottin et Jean-Pierre Darroussin, récit autobiographique d’une emprise sectaire, subtil, douloureux et accablant pour ceux qui ont fermé les yeux et qui ne voulaient pas savoir. Il suffit de mesurer la distance grandissante entre l’Église officielle et les classes populaires ou les milieux intellectuels, car l’anti-intellectualisme est une constante de ces mouvements.
La liberté de l’Esprit
Des voix se lèvent, pourtant. De laïcs et de prêtres de la génération du Concile, si décriée. Des témoignages, comme celui que nous publions dans ces mêmes pages. Des doutes et des réserves de quelques évêques.
Alors oui, tous, faisons confiance à l’Esprit, car il n’appartient à personne, il n’est pas le monopole d’un courant, il n’embrigade pas, il libère. Et il nous conduit au Christ et à l’évangile, parole toujours nouvelle et créatrice. Toute réforme de l’Église serait vaine sans cette confiance en l’Esprit. Sans l’audace de se mettre à son écoute, et de le reconnaître là où nous ne l’attendions pas, car il souffle où il veut. Comme au temps du Concile, il faut alors ouvrir les portes et les fenêtres, laisser rentrer l’Autre, l’inattendu, l’étranger, celui qui dérange nos rites et nos convictions. Et nous pousse sur la route, en marche. Car il reste encore tout à découvrir et à inventer.
Merci pour cet article intéressant et éclairant
“Le principe instituant (l’Esprit-Saint) vient sans cesse bousculer l’institué (l’Église). Le pape François, dans ses propos et dans ses actes, illustre bien cette tension.” (Dieu, un détour inutile ? Entretiens – Louis-Marie Chauvet)
Merci pour cet article…
Au moment de faire mon service militaire, mon père qui avait de l’humour m’avait donné deux conseils pour ne pas avoir de problèmes : dans l’armée, l’humour existe, mais il circule du haut vers le bas. Et aussi : dans l’armée, quand on parle à un supérieur, on se tait !
J’ai écrit à mon évêque que contrairement à ce que certains peuvent croire, il arrive dans l’Eglise que l’Esprit Saint circule du bas vers le haut (en particulier dans un synode)… Je n’ai pas eu de réponse… J’aurais sans doute mieux fait de me taire…
J’avais pensé, sans doute à tort, que l’Eglise ne devait pas être gouvernée comme une armée… qu’il faut distinguer pouvoir et autorité, magistère et ministère….
Quand on m’a donné mon baccalauréat (latin/grec) en mai 1968,
mon père m’a dit 3 choses :
1) “on va manquer de sots” (= obéissants)
2) “il est plus facile d’obéir que de commander”
3) “j’ai horreur d’être commandé par plus sot* que moi”
Aujourd’hui ce qui est grave, ce n’est pas d’être sot*,
c’est de ne pas reconnaître que je le suis
quand je le suis et de persévérer dans ma sottise.
*sot = un mot de trois lettres commençant par la lettre c
un mot trop riche qui appauvrit l’expression
mais qui a le mérite d’être parlant.