La gestation pour autrui : un débat pas si nouveau, si l’on en juge par l’histoire d’Abraham et d’Agar, mère porteuse à la place de la stérile Sara.
La série biblique de Jesús Asurmendi
Son nom veut dire « Dieu entend » et il est aujourd’hui encore utilisé comme prénom tant dans le monde musulman que chrétien. C’est le fils aîné d’Abraham, au destin bien particulier. Déjà sa naissance est singulière. Ismaël est un enfant de la GPA. En effet, Sara, la femme d’Abraham, est stérile dans un monde où la maternité est, pour les femmes, le sésame qui leur donne accès à une identité reconnue :
« Et Sara dit à Abraham : « Écoute-moi : le Seigneur ne m’a pas permis d’avoir un enfant.
(Gn 16, 2)
Va donc vers ma servante ; grâce à elle, peut-être aurai-je un fils
(littéralement : « par elle peut-être je serai construite »).
Abram écouta Sara. »
C’est la définition même de la gestation pour autrui. La chose était courante et très réglementée dans le Proche-Orient Ancien. Le système de l’esclavage facilitait les choses, au moins du point de vue juridique. Abraham donc s’exécute et Agar, la servante (esclave) égyptienne, lui donne un enfant qu’Abraham appelle Ismaël. Le nom lui va à merveille. Avec un brin d’humour on peut dire que Sara est la patronne de la GPA. Ismaël n’est pas le destinataire de la promesse dont Abraham a été le bénéficiaire. Mais il est, quand même, descendance du patriarche et, à ce titre, béni de Dieu qui en fera le père d’une grande nation (Gn 16, 10-12), des douze tribus ismaélites.
« Voici la descendance d’Ismaël, le fils d’Abraham que lui donna Agar l’Égyptienne, la servante de Sara… Voilà les fils d’Ismaël et leurs noms selon leurs villages et leurs campements : douze chefs pour leurs clans. Ismaël vécut cent trente-sept ans, puis il expira. Il mourut et fut réuni aux siens. Les ismaélites s’étaient établis de Havila jusqu’à Shour, aux confins de l’Égypte, en direction d’Ashour. Face à tous ses frères, Ismaël se coucha dans la mort. »
(Gn 25,12-18)
C’est à ce titre que les Arabes se considèrent descendants d’Ismaël et donc d’Abraham. Les musulmans d’ailleurs considèrent Abraham comme le premier croyant, le premier « soumis » : c’est ainsi, en effet, que l’on peut traduire le terme « musulman ».
La question de la saga d’Abraham est celle de la descendance, promise par Dieu. L’autre élément de la promesse, la terre/pays, suit d’autres chemins. Étant donné que la descendance ne vient pas, tout le monde s’ingénie à pallier cette défaillance par des moyens légaux : ainsi Abraham qui voulait adopter son serviteur Eliézer de Damas (Gn 15, 3) et Sara par la GPA (Gn 16, 2). Mais, peu de temps après, Dieu intervient car le système GPA ne lui convient pas tellement. Il faut que les choses soient claires : le véritable père du fils d’Abraham, c’est Dieu.
« Dieu intervient en faveur de Sara, comme il l’avait dit, et elle donna un fils à Abraham, dans sa vieillesse… Abraham appela Isaac le fils qui lui était né, celui que Sara lui avait enfanté. » (Gn 21, 1-7)
Dorénavant le conflit entre les deux enfants, voire entre les deux femmes, est inévitable. L’épouse, Sara, exige de son mari qu’il expulse la servante et l’enfant de celle-ci. Chose faite, mais c’est sans compter avec la protection divine. Agar et Ismaël sont sauvés par l’intervention d’un ange :
« Dieu entendit la voix du petit garçon ; et du ciel, l’ange de Dieu appela Agar : « Qu’as-tu, Agar ? Sois sans crainte, car Dieu a entendu la voix du petit garçon, sous le buisson où il était. Debout ! Prends le garçon et tiens-le par la main, car je ferai de lui une grande nation. » Alors, Dieu ouvrit les yeux d’Agar, et elle aperçut un puits. Elle alla remplir l’outre et fit boire le garçon. Dieu fut avec lui, il grandit et habita au désert, et il devint un tireur à l’arc. »
(Gn 21,17-20)
Comme il est écrit dans le texte déjà cité (Gn 25, 12-18) Ismaël est considéré comme le père des Ismaélites. Ils réapparaissent de nouveau lors du récit de Joseph et ses frères (Gn 37, 25-28) comme des caravaniers et chameliers et comme pillards (Jg 8, 24). Le nom d’Ismaël et de ses descendants apparaît dans les généalogies du premier livre des Chroniques (I Ch 1, 29-31). Il faut attendre le Nouveau Testament, pour voir exploité d’une manière quelque peu typologique le personnage d’Ismaël et son entourage.
Saint Paul dans le Nouveau Testament va utiliser le duo Agar/Sara à des fins, disons, « apologétiques ». En effet la descendance de Sara, la femme « libre », est identifiée avec les croyants disciples du Christ et les « disciples » de la loi avec la descendance d’Agar, l’esclave. Quoi qu’il en soit de la pertinence de l’exploitation de ce duo Agar/Sara comme le fait Paul, il est clair qu’Ismaël devient le père de ceux qui suivent la loi et Isaac le père des croyants par la foi, donc, les vrais héritiers de la promesse faite à Abraham. Mais le regard de Paul sur ces deux femmes et son utilisation théologique a eu beaucoup de succès, brodée à l’infini pendant des siècles.
Merci, Jesus, pour cette analyse. Oui, on peut dire que Sara est la patronne de la GPA.
À propos de la phrase “les Arabes se considèrent descendants d’Ismaël”, une remarque : dans le Coran (37, 101-111), Abraham s’est vu en rêve en train d’immoler son fils. Or, celui-ci n’est pas désigné nommément – le Coran dit seulement “le fils” – et les exégètes ont beaucoup discuté -et discutent encore- pour savoir s’il s’agit d’Isaac ou Ismaël. Selon le grand traditionniste Tabari, il s’agirait plutôt d’Isaac, beaucoup d’autres commentateurs pensent qu’il s’agit d’Ismaël, mais le doute subsiste. L’islamologue Pierre Lory estime que le fait que ce fils n’est pas précisément nommé souligne l’universalité du récit (Dictionnaire du Coran, sous la direction de Mohammed Ali Amir-Moezzi, entrée : “Isaac et Ismaël”).
Par ailleurs, tu parles du “conflit entre les deux enfants, voire entre les deux femmes”. Il me semble que c’est surtout entre les deux femmes qu’il y a conflit, dû à la jalousie de Sarah vis-à-vis d’Agar et je n’en vois pas entre Ismaël et Isaac. Ils jouent ensemble, ce que Sara ne supporte pas (Gn 21, 9) et n’ont-ils pas enseveli ensemble leur père Abraham lorsque celui-ci mourut (Gn 25, 9) ? Le psychanalyste Gérard Haddad, dans “Ismaël et Isaac, ou la possibilité de la paix” écrit que si Isaac revient au puits de Lahaï-Roï (“la source du vivant qui me voit”) avant d’épouser Rebecca, c’est pour retrouver Ismaël et sa belle-mère. et “opérer la grande réconciliation des frères”. Sur Gn 25, 1 qui nous apprend qu’après la mort de Sara Abraham prend une seconde épouse légitime, Ketoura, il cite un midrash repris par Rachi de Troyes : “Kétoura, c’est Agar”! “Agar est donc revenue auprès d’Abraham” qui, dans la foulée, lui fait six enfants, se révélant “un prodigieux géniteur” (Lacan). Il est vrai que Gérard Haddad ne fait pas mystère de sa sympathie pour Agar dont Sara était si jalouse parce qu'”elle avait perçu les sentiments que son époux portait à sa servante”.
Peut-être ai-je été influencée par lecture midrashique que fait Gérard Haddad de la Bible… Il y en a sûrement d’autres possibles.
Le rapprochement que vous faites, Monsieur Jesús Asurmendi, avec la politique de gestation pour autrui est indéniable. Malheureusement, vous affirmez aussi, que “Ismaël n’est pas le destinataire de la promesse dont Abraham a été le bénéficiaire. Mais il est, quand même, descendance du patriarche”. Ismaël est, tout aussi incontastablement, descendance du patriarche, mais il est aussi destinataire de la promesse faite à Abraham. Relisez, sinon, Genèse, XII, 1-3, et, Genèse, XII, 7, et, tout spécialement, Genèse XV, 18-21, bien avant la naissance d’Isaac, Genèse XX1, 2, et des promesses subséquentes.
Ismaël est donc non seulement le premier fils de la promesse dans l’ordre de la descendance mais aussi, de la possession de la terre promise.
Lisez aussi, comme preuve corroborative, le Midrash Rabbah, 55, 7, et 61, 7 :
Cordialement,
Sixto Quesada