Il a vendu son droit d’aînesse pour un plat de lentilles : voilà pourquoi il est entré dans la légende. Mais dans l’histoire d’Ésaü et de son frère Jacob, la Bible met surtout l’accent sur le premier des péchés : la faute contre la fraternité. Les lectures bibliques de Jesús Asurmendi
Nous avons tous une image d’Ésaü assez arrêtée : mal lavé, mal rasé, mal coiffé. Une brute épaisse. En plus il n’est pas le préféré de sa mère Rébecca. Elle va d’ailleurs tramer le vol de la bénédiction paternelle au profit de Jacob, son fils préféré. Cette bénédiction est la garantie, la source même de la prospérité matérielle, selon le récit du livre de la Genèse. Cette ruse maternelle est digne d’une série policière. Tant dans la bénédiction que dans la malédiction, l’origine ultime est Dieu. Mais une dimension magique semble s’être introduite au moins au niveau populaire. Ce qui est fait est fait. Il y a une sorte d’automaticité dans la bénédiction et dans la malédiction. Une fois de plus les préférences des parents, souvent inévitables, sont la cause de malheurs à venir, ainsi dans le récit de Joseph et ses frères. Voilà donc Jacob, bénéficiaire de la bénédiction paternelle mais contraint à la fuite. Les beaux-parents sont un bon refuge, pourvu qu’on sache bien se comporter avec eux. Il doit donc, in fine, fuir encore de chez le beau-père, après un arrangement (Gn 31), car une certaine compétition s’est installée entre eux. Reste le frère volé, Ésaü. Jacob doit « réparer ». Genèse 33 narre la rencontre entre les deux frères. La réconciliation suppose la réparation. Jacob doit rendre ce qu’il a volé, ou les fruits de la bénédiction volée. Ce qu’il fait, mais Ésaü, grand seigneur, n’accepte pas (Gn 33, 9). La réconciliation demande la reconnaissance du tort causé, et la réparation du mal provoqué. S’il y a eu vol, on doit restituer, selon les modalités établies. Pour que le pardon offert soit possible, il est indispensable de reconnaître de la faute.
Dans la panoplie de sacrifices prévus dans l’Ancien Testament, il y en a un, le sacrifice d’expiation, le assam, souvent mal compris (Lv. 5, 14-26 ; 7). Ce n’est pas le sacrifice, le rite du assam, qui réalise l’expiation, la réparation. Le sacrifice vient dire liturgiquement que la réconciliation, la réparation, l’expiation a été faite par l’échange qui a permis de « laver » la faute, par exemple parce que le voleur a rendu ce qui avait été volé (Jg 17, 1-6).
Une autre tradition concernant les deux frères ne traite pas les choses dans la même perspective. Certes, Ésaü n’a pas le droit d’aînesse mais parce qu’il l’a vendu à son frère. Chasseur impénitent, il rentre un jour affamé à la maison et trouve son frère Jacob devant un plat affriolant et tentant de lentilles. Poussé par la faim il monnaie les lentilles et échange son droit d’aînesse (Gn 25, 29-34). Qui ne dirait pas dans ces circonstances : « Mon royaume pour un cheval ! »
Ésaü est présenté comme l’ancêtre d’Edom (Gn 36, 9-19.40-43), comme Jacob celui d’Israël. Il y a donc, reconnue, une parenté certaine entre les deux peuples. Edom se situe dans le Néguev et dans le sud de la Jordanie actuelle. Ce qui en fait un voisin incontournable surtout de Juda. David prend Edom dans le but de contrôler les routes commerciales vers la mer rouge. Mais à la mort de David, Edom tente, en vain, semble-t-il, de retrouver son indépendance. La capitale était Boçra, citée assez souvent par les prophètes (Is 34, 6b.63,1 ; Jr 49, 13.22 ; Am 1, 12). Dans d’autres textes prophétiques Edom est l’objet d’attaques virulentes (Ez 25, 12s ; 35, 1-15 ; Al 1, 11s ; Jl 4, 19 ; Ab 10-14) ainsi que dans le célèbre Psaume 137,7 ou Lm 4, 21s. Elles ont comme explication la participation supposée des Edomites dans l’attaque et la destruction de Jérusalem en 587/586. Au milieu du Vème siècle ce sont les Nabatéens qui s’installèrent dans les lieux, contrôlant les routes commerciales reliant l’Inde et la Méditerranée. Avec le temps, Edom devient l’Idumée. Hérode en était originaire.
La rivalité entre les deux peuples est modélisée dans l’antagonisme des deux frères Ésaü et Jacob.
Les disputes entre frères sont devenues paradigmatiques, comme celles de Jacob et de ses frères. Et à un niveau encore plus référentiel celle de Caïn et Abel. Le texte qui en parle (Gn 4, 1-16), fait partie des récits mythiques. Il est à signaler, à ce propos, que le vocabulaire du péché n’apparaît pas avant Gn 4, rien dans le récit de l’expulsion du jardin d’Eden, malgré la transgression d’Adam et Ève. C’est seulement à la suite du meurtre d’Abel par son frère Caïn que les faits sont ainsi qualifiés. Ce qui veut dire que l’acte qui devient paradigmatique du péché c’est la faute contre la fraternité. Ce n’est pas indifférent que le « premier » péché soit une action contre la fraternité.