Il y a un vieux dicton qui dit : « En route ne demande pas ton chemin à qui le connaît, tu ne pourrais pas te perdre ! »
Se perdre en chemin
Il n’y a pas très longtemps, un été, je retrouve une amie à la gare de Lyon, quelques minutes avant le départ du train. En haut de l’escalator, sur le quai, il y a un train à gauche, un train à droite. Nous montons dans celui de gauche ; nous trouvons la voiture et nos deux places libres aux bons numéros. Le train se met en marche, curieusement trois minutes avant l’heure inscrite sur nos billets, puis l’étonnement grandit lorsque nous entendons la voix de celui qui accueille les voyageurs nous annoncer que le prochain arrêt sera à Draguignan…
Nous devons nous rendre dans le centre de la France. Nos surprises échangées à haute voix font sourire tout le compartiment, vite mis au courant de ce qui nous arrive. Comment faire, on nous attend près d’Autun, en revanche personne ne sera à la gare de Draguignan pour nous accueillir en fin de journée. Nous voilà bien décontenancées lorsque le contrôleur passe.
– En soirée, à Draguignan il y a un train qui remonte vers Paris.
– Ah ! Non, pas à Paris, on est parties pour des vacances, on ne rentre pas chez nous !
Le contrôleur, sans doute ému par notre aventure, nous confie un mot de recommandation qu’il rédige à son collègue du train que nous prendrons à Draguignan. Ce qui est écrit nous touche profondément, il est question de deux pauvres femmes qui se sont trompées de train, et qu’il faut prendre en considération, et surtout être assez aimable pour ne pas les accabler en leur faisant payer un trajet supplémentaire. Le petit mot fut accueilli par le collègue avec grande compréhension envers ces deux pauvres malheureuses que nous étions et qui n’avaient pas bien regardé les panneaux indicateurs. Pas très dégourdies et sans doute peu habituées à voyager, voilà de quoi nous avions l’air. Mais on a du cœur à la SNCF !
La nuit est tombée sur Draguignan, mais pas sur le moral. Puisque, après de multiples communications téléphoniques, nous remontons en train jusqu’à Avignon, pour être accueillies chaleureusement par la famille de mon amie. Une de leur voiture, mise à notre disposition, nous permettra de découvrir cette magnifique région et bien sûr de nous perdre sur les chemins secs et rocailleux, pour atteindre les villages haut perchés. Se perdre ne nous faisait plus peur. On avait le temps. Tout nous était offert généreusement, alors que rien n’avait été programmé.
En fin de balade, tandis que nous sommes assises tranquillement sur le bord d’un talus ombragé, pourquoi suis-je transportée tout à coup sur un autre chemin que celui où nous sommes
Du coup, je raconte à mon amie une aventure qui remonte seulement à une soixantaine d’années. Je l’embarque avec moi vers le soleil levant qui se montre dans toute sa splendeur dès l’aurore.
Ne pas se perdre en chemin
Dans cet immense espace désertique où j’ai vécu avec des compagnes, nous avions compris que les habitants du village où nous vivions, n’avaient pas envie qu’on ait de relations avec les autres villages du désert n’appartenant pas à la même religion. Il fallait donc attendre le moment propice pour aller les rencontrer.
L’occasion s’est présentée, un matin, à la suite d’une bataille ! Des cris et des bruits sourds de pierres projetées dans un nuage de poussière à l’entrée du village font sortir les gens de leurs maisons Des silhouettes noires de femmes s’agitent, sur les toits, elles lèvent leurs bras appellent le ciel à l’aide.
Les hommes d’un village sont venus régler des comptes. Le motif ne nous est pas révélé mais dans une région de semi-nomades une histoire de troupeaux n’est pas exclue. La moisson est terminée et le blé engrangé est à l’abri, ce n’est sans doute pas une question de récolte. Heureusement, ici, il n’y a pas de blessés graves. Mais « là-bas » chez les autres que se passe-t-il ?
Dès le lendemain, nous partons « là-bas » en direction du village en question. Il est caché par quelques collines, mais nous apprenons qu’il se situe à l’est.
Le soleil est à peine levé, nous nous faufilons le long des murs, discrètement. Nos voisins n’ont pas le temps de regarder, entre les pierres, ce que nous faisons à cette heure indue et de nous demander comme à l’ordinaire : « Où allez-vous ? » A cette heure matinale, les femmes sont dans les fours qui sentent bon le pain chaud, les hommes, crient après les troupeaux impatients.
Nous nous dirigeons vers l’orient. La fraîcheur de l’aurore nous caresse agréablement, nous sommes légères dans ce désert qui est nôtre.
Mais tout à coup… Le bruit de galop d’un cheval qui résonne sur le chemin pierreux, puis une voix connue, derrière nous.
– Où allez-vous ? Demande Brahim, notre voisin.
– « Là-bas », en montrant par un geste de la main la direction du village.
– À Kasser ? …Et pourquoi ?
– Soigner les blessés d’hier.
Brahim ne fait aucun commentaire.
– Il vaut mieux passer par là, c’est plus facile et rapide.
Il repart, nous empruntons alors le chemin, mais très vite nous réalisons que ce n’est pas un raccourci. Nous revenons alors sur nos pas en souriant et préférons inventer notre marche en nous fiant au soleil et à notre intuition.
J’ai encore le souvenir tout frais de cette première marche vers Kasser. Je n’avais peur de rien, abandonnée à tout ce qui pouvait arriver dans cet espace grandiose. La terre prenait les couleurs du soleil au fur et à mesure qu’il montait dans le ciel. Pas un être humain, pas une plante, seulement des pierres. La première apparition du village, construit sur une hauteur, ne se distinguait de la montagne que par de minuscules rectangles noirs. C’était les portes ouvertes des maisons où se faufilaient de toutes petites silhouettes colorées.
On était observées. Le chemin monte et descend, on voit le village, on ne le voit plus, on le revoit, et chaque fois un peu plus grand. Parfois une colline, un sentier qui descend nous cachent tout horizon, on avance quand même, dans l’inconnu.
Soudain, apparaît Kasser dans toute sa splendeur, il s’est rapproché. Il est là si haut perché qu’il faut vraiment relever la tête pour le voir complètement. Nous remarquons que les rectangles noirs ont disparu ; les portes viennent de se fermer.
Après une bonne grimpette, nous voilà sur une petite place vide, absolument vide et silencieuse comme abandonnée.
Alors, en passant dans les ruelles sans vie, nous crions :
– Nous sommes venues pour vous soigner, y a-t-il des blessés ?
Juste au moment où nous allions redescendre, une voix derrière nous, celle-là bienveillante, appelle :
– Je suis le chef du village,
Vous êtes les bienvenues !!!
Les habitants de notre village n’avaient pas apprécié que nous ayons soigné les blessés de « la bataille de pierres », comme ils n’aimaient pas nous voir partir vers les tentes des nomades de passage.
Mais, peu à peu, ils finiront par accepter jusqu’à voir débarquer dans leur village les caravanes d’ânes et de chameaux qui avaient leurs ennuis de santé, eux aussi. Je les soignais, bien entendu, ainsi que leurs propriétaires.
Mon récit est terminé, mon amie revient sur terre plus vite que moi et me dit, il est bien tard, il faut vite rentrer, je vais regarder, sur la carte, la route la plus rapide, ma famille va peut-être s’inquiéter… Si jamais on se perdait à nouveau !