L’Église, dans sa longue histoire, n’a pas commis que des crimes, et a pu aussi engendrer des merveilles de beautés et de bontés (ne jetons donc pas le bébé avec l’eau dégoutante de son bain). Mais nous ne pourrons plus jamais lui faire confiance sans nous montrer irresponsables et complices, si nous n’exigeons pas fermement et sans faillir une réforme radicale de ses modes de fonctionnement et, au-delà, de sa mentalité profonde : les clercs sont des êtres humains, faibles et faillibles comme tous leurs frères, auxquels il n’est plus possible de déléguer aveuglément toutes responsabilités spirituelles et temporelles sans aucun contre-pouvoir équilibré – ne se résumant donc pas à quelques laïcs servant d’alibis… Le côté archaïque et pervers de l’organisation actuelle a été pointé par la recommandation 34 du rapport de la CIASE, Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, qui dénonce « l’identification de la puissance sacramentelle avec le pouvoir ». On se rappelle que le curé est maître en paroisse, du temporel comme du spirituel, et absolument pas tenu de suivre les avis de son « conseil » pastoral ; comme l’évêque est maître en son diocèse, sans autre supérieur que le pape, lequel, comme chacun sait, a quand même d’autres chats à fouetter que d’aller se mêler de la vie interne de tous les diocèses de la planète. Nos évêques n’ont donc de comptes à rendre à personne, même pas à leurs confrères.
Il y a ce qui me laisse sceptique : dans les questionnaires de la démarche synodale, on demande aux membres du Peuple de Dieu comment ils s’y prennent localement pour mieux partager les prises de décision entre prêtres et laïcs dans leurs communautés, dans le but de trouver de bonnes idées à appliquer un peu partout. Or des chrétiens de l’Église de Paris avaient réussi à créer un lieu laboratoire unique, depuis 40 ans, où s’exerçait quotidiennement la coresponsabilité, et qui s’appelait Saint-Merry. Mais le jour où un prêtre, qui n’avait pas choisi ce projet, y a été nommé responsable (par une décision qui pose pour le moins question sur ses intentionnalités profondes) et l’a remis en cause, refusant de travailler en coresponsabilité avec les laïcs élus en invoquant ce fameux « surplomb » des clercs tant dénoncé par la CIASE, l’évêque a non seulement volé à son secours en refusant même d’écouter toute autre version que celle du prêtre, (rappelons que l’Équipe pastorale n’a pas été reçue et n’a toujours aucune réponse à ses différents courriers), mais c’est toute la communauté qui a été dissoute ! L’Église est-elle vraiment prête à mettre en application ses déclarations de bonnes intentions ?
Il y a aussi ce qui me questionne : la CIASE recommande une réforme profonde du droit canonique, pour le mettre peu ou prou en adéquation avec les normes contemporaines du droit, et notamment le respect des droits des parties (droit de choisir son avocat, de faire appel, éviter les situations si courantes dans lesquelles l’Église est juge et partie, etc.) Mais là encore, il va appartenir à ceux qui ont mis en place ce système de le réformer, autrement dit de scier la branche sur laquelle ils sont confortablement installés. A moins que le pape ne mette en place une commission d’experts laïcs indépendants, qui peut y croire ?
Et il y a ce qui m’inquiète : le pape François a bien lancé cette démarche synodale, mais en en confiant d’emblée l’organisation au clergé, et en canalisant notamment toute la remontée des informations recueillies auprès du Peuple de Dieu dans des tuyaux à cent pour cent cléricaux du maillage paroissiale et diocésain. C’est ce que j’appelle savonner la planche, et j’en reviens à ce qui me laissait sceptique. Il reste la possibilité de faire transiter ses réponses par des mouvements religieux, mais combien de milliers de suggestions, y compris si elles vont majoritairement dans le même sens, seront-elles passées à la trappe via le filtre de la pensée cléricale ? Le but de cette consultation étant officiellement de « faire germer des rêves, susciter des prophéties et des visions, faire fleurir des espérances, stimuler la confiance, bander les blessures, tisser des relations, ressusciter une aube d’espérance, apprendre l’un de l’autre, et créer un imaginaire positif qui illumine les esprits, réchauffe les cœurs, redonne des forces aux mains », (sic, discours du pape François du 3 octobre 2018 cité par René Poujol https://www.renepoujol.fr/la-synodalite-au-defi-de-laspiration-democratique/ ), il va falloir faire appel à toutes nos réserves d’optimisme pour s’en persuader. En attendant, ne serait-ce que pour se comporter de façon responsable vis-à-vis des centaines de milliers de victimes de crimes systémiques, on peut déjà tenter d’y participer.
Blandine Ayoub
Dans la cléricalisation de l’Eglise, il y a lieu de noter un effet pervers, sans doute involontaire de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, par ailleurs très nécessaire : cette loi a supprimé les conseils de fabrique, sans lesquels le curé auparavant ne pouvait rien décider. Désormais, il est monarque absolu et seul son évêque peut le déplacer et le nommer ailleurs.
Oui c’est bien pour cela que la communauté de St Luc décide de commencer par le commencement c’est-à-dire obtenir un Conseil diocésain mixte : clercs-laïques, Hommes-femmes pour délibérer et décider des réformes nécessaires après le rapport de la CIASE, si cette condition n’est pas remplie… Rien ne pourra aboutir !
Mais j’ai confiance car nous vivons aujourd’hui une vague de fond qui ébranle et va finir par ébranler toute la hiérarchie. Sauf à se replier dans une attitude schizophrénique le clergé va être obligé de bouger, s’il n’ya plus de fidèles soumis pour écouter une langue de bois religieuse comment faire vivre les institutions ?
Je m’attends à une montée de la violence dans l’Eglise si les clercs continuent comme si de rien n’était !!
Merci Blandine pour cette belle analyse. J’y apprends que la loi de 1905 a créé “le cléricalisme” en supprimant le conseil de fabrique. Je me souviens parfaitement du jour où, répondant à mon interrogation sur une de ses décisions, mon curé ma déclaré texto : “tu n’empêcheras le curé à être maître chez lui !” On a bien essayé un peu partout d’installer un conseil pastoral voire une équipe d’animation pastorale, mais leurs fonctionnements n’a jamais été, sauf peut-être dans certains endroits, une vraie instance de dialogue et de décisions. Il faut aussi soulever la question de la connivence entre pouvoir politique et épiscopat. On doit s’interroger sur les raisons pour lesquelles par exemple on accorde la Légion d’Honneur à tel ou tel évêque, événements récurrents. Une des recommandations du rapport de la CIASE pointe la question de la création consciente ou non de “lieux à risques” dans l’Eglise. Le cléricalisme le provoque en permanence…