Peut-on accepter la fermeture de notre Centre pastoral, décidée par l’archevêque de Paris, sans se poser la question des droits des fidèles bafoués ? Si l’évêque est le garant de l’unité dans l’Église, que dire alors de cet abus de pouvoir qui engendre la division et considère que plus d’un millier de chrétiens sont indignes d’être écoutés ou consultés ? Confiants dans le droit de l’Église, une quarantaine de fidèles de Saint-Merry Hors-les-Murs ont engagé une démarche de recours canonique.
Jean-Philippe Browaeys nous en explique le sens.
Le 7 septembre dernier, le groupe juridique de Saint-Merry Hors-les-Murs présentait
sur notre site l’historique des possibilités offertes aux fidèles de notre Église de recourir administrativement contre une décision de leur évêque, dès lors qu’elle leur causerait un grave dommage spirituel[1]Voir Décisions d’Église : quels sont nos recours ?.
Aujourd’hui, en tant que membre de cette équipe, j’aimerais vous présenter les difficultés et perspectives actuelles de cette démarche de recours canonique qu’une quarantaine de fidèles de notre communauté ont engagée fin mars dernier, suite à des décisions de notre évêque datées
du 7 février 2021 qui visaient à mettre fin à la vie de notre communauté, et dont beaucoup estiment qu’elles reflètent un abus de pouvoir.
L’objectif général de notre démarche est de contribuer à restaurer une communion ecclésiale rompue avec notre évêque, d’obtenir justice de décisions qui ont brisé notre communauté, et, en réparation, d’avoir à nouveau un lieu au sein de notre diocèse où pouvoir témoigner ensemble de l’Évangile à la rencontre de tous ceux qui nous manquent tant avec qui nous espérons partager notre chemin vers Dieu, notre Père à tous.
Que faire concrètement après de telles décisions ?
D’abord, réagir très vite après la décision, car, « avant d’engager un recours, il faut demander par écrit à l’auteur du décret – comprenez de la décision [2]Canon 48 : « Par décret particulier on entend l’acte administratif … par lequel … est prise une décision » – sa révocation ou sa modification…
Cette demande doit être faite dans le délai péremptoire de dix jours utiles à compter de la notification régulière du décret »[3]Canon 1734, § 1 et 2, en l’occurrence pour nous à compter du 7 février.
Ignorants de ces délais à l’époque, c’est ce que nous avons fait par lettre du 11 février, adressée à l’évêque lui-même. Notons que « avant de porter un décret particulier (= décision – voir note 2), l’autorité (l’évêque en l’occurrence) doit rechercher les informations et les preuves nécessaires et, autant que possible, entendre ceux dont les droits pourraient être lésés »[4]Canon 50…
Chercher alors très vite un conseil juridique compétent en droit canonique.
Demander par exemple au doyen d’une faculté de droit canonique (ou à un enseignant) le nom d’un conseil. Certains peuvent être hésitants à vouloir vous aider, de peur, peut-être, de s’exposer à des « rétorsions » ecclésiales …
Vous n’avez pas forcément beaucoup de temps, car, si l’évêque répond négativement à votre demande de révocation de sa décision, votre recours « doit être présenté dans le délai obligatoire de quinze jours utiles » à compter de la réponse négative de l’évêque[5]Canon 1737, §1 et 2 ensemble avec canon 1735. « Le recours peut être formé devant l’auteur même du décret qui doit le transmettre aussitôt au Supérieur hiérarchique compétent »[6]Ibid.. En ce qui nous concerne, l’évêque n’a pas répondu.
Que faire alors ? « Si dans ces trente jours il (l’évêque) ne décide de rien, les délais (de quinze jours – voir ci-dessus) courent à compter du trentième jour »[7]Canon 1735. Donc, à compter du 11 février, date de notre première lettre, 30 jours + 15 jours nous amenaient au 28 mars 2021. Nous avons déposé nos recours individuellement[8]Notre communauté n’ayant pas de statut juridique (contrairement à une paroisse),
nous ne pouvions le faire individuellement qu’à titre de « fidèle ». auprès de notre évêque les 25 et 26 mars, par lettre recommandée, en lui rappelant qu’il « devait le transmettre aussitôt au Supérieur hiérarchique compétent »[9]Canon 1737. La lettre de recours doit présenter certaines conditions de forme : noms et adresses postales des requérants, références de la décision contestée, objet du recours … Continue reading. Mais, au fait, qui est le « supérieur hiérarchique » de l’évêque ? C’est le préfet-cardinal de l’un (au moins) des dicastères ou congrégations de la Curie Romaine (voir la liste à La Curie Romaine (vatican.va)). Concrètement, l’évêque qui reçoit le recours va le transmettre à la secrétairerie d’État (qui transmettra a priori à son tour au dicastère qu’elle estime compétent)[10]Et vous n’êtes pas informés de ces transmissions ….
À ce moment, vous pouvez souffler, vous avez du temps… le « supérieur hiérarchique » a trois mois pour répondre[11]Canon 57 §1 – Il ne nous a pas été facile d’obtenir confirmation que ce canon s’appliquait effectivement ici., mais il peut dépasser (voir ci-dessous). À dater de sa réponse, ou, à défaut, à dater de la fin de ce délai de trois mois, vous avez un délai de 60 jours[12]Art. 74 §1 de la Lex Propria, règlement de procédure du tribunal suprême (Litterae Apostolicae Motu proprio datae) pour engager une procédure devant le Tribunal Suprême du Vatican, la « Signature Apostolique » et il vous faut alors un avocat ecclésiastique habilité[13]C’est un impératif. Nous n’avons pas trouvé en France ni en Belgique de spécialistes de cette procédure spécifique, ni d’ailleurs d’avocat habilité. Nous n’avons pas trouvé … Continue reading à agir devant ce tribunal.
Pendant ces trois mois, il convient de :
- Conseillé par votre spécialiste en droit canonique, adresser au(x) préfet(s) de(s) dicastère(s) que vous estimez le(s) plus en rapport avec votre recours un mémoire de recours exposant vos motifs, précisant vos demandes, appuyé par des références aux canons du droit. Il importe que ce mémoire soit envoyé bien avant la fin du délai de trois mois, afin que la réponse du préfet soit bien basée sur les arguments de votre mémoire. En ce qui nous concerne, nous l’avons envoyé le 3 juin, soit neuf semaines après nos recours formels des 25 et 26 mars.
- Poursuivre toutes tentatives[14]En ce qui nous concerne : demandes réitérées de rendez-vous à notre évêque, lettre au président de la CEF, réunion avec le nonce, édition d’un livret de témoignages et … Continue reading de dialogue et de médiation avec votre évêque, en vous adressant à toutes les instances de l’Église « pour éviter le litige ou le régler par un moyen adéquat » ; le droit précise explicitement que « le Supérieur qui doit examiner le recours encouragera (à la fois) la personne qui fait recours et l’auteur du décret, …, à rechercher des solutions de ce genre »[15]Canon 1733 §1 et 3. ; à cette fin, il pourrait exister dans l’Église un organisme ad hoc, sachant que « la conférence des Évêques (en France, la « CEF ») peut décider que soit constitué de manière stable dans chaque diocèse un organisme ou un conseil dont la charge sera de rechercher et de suggérer des solutions équitables selon les normes établies par la conférence » et que « l’Évêque peut constituer un conseil ou un organisme de ce genre » au niveau de son diocèse[16]Canon 1733 § 2. La Commission Accueil-Médiation (CAM) de la CEF n’est compétente que pour les religieux. À Paris, l’évêque a institué en 1997 un « groupe de … Continue reading.
Une procédure longue et coûteuse
Puis arrive la réponse du préfet sous forme d’un décret. Parvenu le 5 octobre[17]Donc bien après le délai de trois mois du canon 57 §1., il signifiait un rejet de notre demande, basé sur des arguments de droit. Nous avons alors soixante jours pour engager le « procès contentieux administratif » contre ce décret[18]Et non pas contre la décision de l’évêque, ce qui ne serait pas recevable par le tribunal.. Soixante jours pour rassembler tous les documents aptes à soutenir les arguments de notre avocat, pour récolter des fonds (1 500 € pour la Signature Apostolique, quelques milliers d’euros pour les honoraires d’avocat) et c’est parti !
Et il peut arriver heureusement à ce stade, que l’évêque, soucieux d’éviter les « remous » que pourraient lui occasionner ce « procès contentieux » devant un tribunal romain, s’ouvre à une médiation qui, si elle aboutit, met alors un terme à l’affaire.
La procédure (en latin) devant le tribunal est longue[19]Un an selon notre avocat, mais la jurisprudence montre que cela peut atteindre trois ans ! Voir Eric Besson, Aperçu de la jurisprudence de la signature apostolique … – … Continue reading, elle commence par une étude de recevabilité faite par un « congresso »[20]Qui désigne la réunion du préfet, du secrétaire, du promoteur de justice et du défenseur du lien, en présence du chancelier. En cas de non-recevabilité, les requérants ont dix jours pour … Continue reading. Puis vient l’examen quant au fond par le collège des douze cardinaux-juges qui compose le tribunal. Le dicastère dont le décret de rejet est en cause est informé du jugement final pour exécution, tout comme le sont tous les requérants.
Bien entendu, toute cette démarche n’a de sens que si d’autres (et nous-mêmes) travaillent parallèlement à faire vivre notre communauté : voir toutes les activités sur notre site[21]Exemples : partages de la Parole en visio tous les dimanches à 11h, célébrations tous les deuxièmes dimanches du mois à 18h à Notre-Dame d’Espérance, débats thématiques en … Continue reading.
Une communion ecclésiale à reconstituer
À propos de ce « service de l’administration de la justice » dans l’Église auquel nous avons donc fait appel par notre démarche, le pape Benoît XVI parlait « d’un service de première importance » ; dans son discours[22]Voir le lien : Aux participants à l’Assemblée plénière du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, 4 février 2011, Benoît XVI de 2011 devant la Signature apostolique, il précisait : « … l’activité du Tribunal suprême vise à la reconstitution de la communion ecclésiale, c’est-à-dire au rétablissement d’un ordre objectif conforme au bien de l’Église. Seule cette communion rétablie et justifiée à travers la motivation de la décision judiciaire peut conduire dans la communauté ecclésiale à une authentique paix et concorde… La restauration difficile de la justice est destinée à reconstruire des relations justes et ordonnées entre les fidèles et entre eux et l’autorité ecclésiastique. En effet, la paix intérieure et la collaboration volontaire des fidèles dans la mission de l’Église proviennent de la conscience restaurée d’accomplir pleinement leur vocation.
La justice, que l’Église recherche à travers le procès contentieux administratif, peut être considérée comme début, exigence minimum et à la fois attente de charité, dans le même temps indispensable et insuffisante, si elle se rapporte à la charité dont vit l’Église. Néanmoins, le Peuple de Dieu en pèlerinage sur terre ne pourra pas remplir son identité de communauté d’amour s’il ne respecte pas les exigences de la justice ».
Espérons que ce service « de première importance » apporté par l’Église depuis 1967 est réellement en mesure de contribuer efficacement à limiter les abus de pouvoir en son sein !
Rendez-vous à l’issue du procès dans un an … ou plus ?
Jean-Philippe Browaeys
Notes
↑1 | Voir Décisions d’Église : quels sont nos recours ? |
---|---|
↑2 | Canon 48 : « Par décret particulier on entend l’acte administratif … par lequel … est prise une décision » |
↑3 | Canon 1734, § 1 et 2 |
↑4 | Canon 50 |
↑5 | Canon 1737, §1 et 2 ensemble avec canon 1735 |
↑6 | Ibid. |
↑7 | Canon 1735 |
↑8 | Notre communauté n’ayant pas de statut juridique (contrairement à une paroisse), nous ne pouvions le faire individuellement qu’à titre de « fidèle ». |
↑9 | Canon 1737. La lettre de recours doit présenter certaines conditions de forme : noms et adresses postales des requérants, références de la décision contestée, objet du recours (révocation ou modification de la décision…) et ses raisons (en quoi le requérant est-il lésé…). |
↑10 | Et vous n’êtes pas informés de ces transmissions … |
↑11 | Canon 57 §1 – Il ne nous a pas été facile d’obtenir confirmation que ce canon s’appliquait effectivement ici. |
↑12 | Art. 74 §1 de la Lex Propria, règlement de procédure du tribunal suprême (Litterae Apostolicae Motu proprio datae) |
↑13 | C’est un impératif. Nous n’avons pas trouvé en France ni en Belgique de spécialistes de cette procédure spécifique, ni d’ailleurs d’avocat habilité. Nous n’avons pas trouvé non plus d’annuaire d’avocats habilités, bien qu’il doive en exister un à Rome (en tout cas selon les règlements du tribunal). |
↑14 | En ce qui nous concerne : demandes réitérées de rendez-vous à notre évêque, lettre au président de la CEF, réunion avec le nonce, édition d’un livret de témoignages et d’articles en lien avec les valeurs qui fondent notre communauté, envoi de ce livret à chaque évêque de France, etc. |
↑15 | Canon 1733 §1 et 3. |
↑16 | Canon 1733 § 2. La Commission Accueil-Médiation (CAM) de la CEF n’est compétente que pour les religieux. À Paris, l’évêque a institué en 1997 un « groupe de médiation ». |
↑17 | Donc bien après le délai de trois mois du canon 57 §1. |
↑18 | Et non pas contre la décision de l’évêque, ce qui ne serait pas recevable par le tribunal. |
↑19 | Un an selon notre avocat, mais la jurisprudence montre que cela peut atteindre trois ans ! Voir Eric Besson, Aperçu de la jurisprudence de la signature apostolique … – L’année canonique, 57, 2016, p. 159-184. |
↑20 | Qui désigne la réunion du préfet, du secrétaire, du promoteur de justice et du défenseur du lien, en présence du chancelier. En cas de non-recevabilité, les requérants ont dix jours pour former un recours (art. 84 → art. 42). |
↑21 | Exemples : partages de la Parole en visio tous les dimanches à 11h, célébrations tous les deuxièmes dimanches du mois à 18h à Notre-Dame d’Espérance, débats thématiques en ligne, travaux pour la « consultation » en vue du synode 2023 sur la synodalité… |
↑22 | Voir le lien : Aux participants à l’Assemblée plénière du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, 4 février 2011, Benoît XVI |