Aujourd’hui comme hier, l’attitude du pouvoir clérical au sujet des femmes, quelle que soit la religion, est souvent la peur. Dans sa chronique du 23 mai 2014, l’historien Alain Cabantous revient sur la question abordée lors d’une conférence-débat à Saint-Merry.
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021, lors de la fermeture du Centre Pastoral.
Lors de la récente conférence-débat à Saint-Merry sur la discrimination féminine dans les religions monothéistes, les trois témoignages aussi forts que différents que nous avons entendus se sont tous conclus par un maître mot qui n’était rien moins qu’une excuse explicative : la peur. L’attitude des hommes du pouvoir clérical était, est dictée par la peur de celles qui pourraient apporter des bouleversements, de nouvelles manières de penser, d’envisager d’autres structures, de proposer d’autres modes de faire religion. Mais plus globalement encore, peur des femmes même parmi les responsables religieux qui ont loisir de se marier. Alors que dire des autres !
C’est cette peur de la/des femmes faute d’éducation, d’expérience aussi, que l’on cherche à justifier à travers les textes sacrés ; c’est cette peur qui paralyse toute forme de changement de fond, et par laquelle l’institution religieuse continue d’assigner à l’autre moitié du ciel des tâches bien précises et intangibles. « Si tu ne l’habitues pas à tout faire, elle deviendra un bon petit morceau de chair », conseille saint Bernardin de Sienne à l’époux.
Or cette peur des femmes de la part de bien des clercs est encore vivace aujourd’hui. Dans nombre de paroisses seuls les garçons sont autorisés à entrer dans le chœur pour servir la messe, saine initiation à la prêtrise, et seuls des hommes, exempts de souillure probablement, sont autorisés à donner la communion. Réflexe qui s’enracine dans une histoire longue que n’a pas inventé le christianisme mais que nombre de pères de l’Église, de prédicateurs et de saints ont entretenu avec délice. À travers la tentatrice Ève, par qui « l’orgueil et la concupiscence » (saint Augustin) seraient entrés dans le monde, ce sont toutes les femmes qui ont porté ensuite le poids des turpides originelles. Une raison, parmi d’autres, pour laquelle les clercs ont pendant longtemps privilégié « la virginité et la chasteté qui remplissent et peuplent les sièges du paradis » et mis en garde les hommes qui « auraient le cœur soulevé s’ils voyaient ce qu’il y a sous la peau des femmes » (Odon, Xe siècle). D’aucuns, après saint Thomas d’Aquin, réaffirmant jusqu’à il y a peu, que c’est seulement chez les hommes « qu’abondent davantage le discernement et la raison », viatiques contre la faute.
C’est surtout à partir du XIIIe siècle que se développa la diabolisation de la femme au travers de discours structurés, de manuels d’inquisiteurs, diffusés par la parole et l’image. « Amazones du diable qui s’arment de pied en cap pour faire la guerre à la chasteté », selon saint Jean Eudes (XVIIe siècle). Et saint L.-M. Grignon de Montfort au début du XVIIIe siècle fait chanter un cantique de son cru :
« Femmes, filles, que vos charmes sont cruels
Que vos beautés infidèles font périr de criminels
Vous paierez pour ces âmes que vous avez fait pécher
Que vos pratiques infâmes ont enfin fait trébucher
Tant que je serai sur la terre, idoles de vanité
Je vous déclare la guerre armé de la vérité. »
Tenues pour les principales collaboratrices de Satan, « portes du diable » (Tertullien), plusieurs dizaines de milliers d’entre elles furent les grandes victimes de la chasse aux sorcières qui déferla sur l’Europe entre 1560 et 1700.
Si toutes n’étaient pas des sorcières, toutes partageaient les caractères propres « aux personnes du sexe » comme les désignaient les clercs. Fragiles, inconstantes, tentatrices, sensuelles, trompeuses, « débiles », elles ne pouvaient prétendre qu’à la soumission, qu’à l’exclusion de toute responsabilité religieuse, supérieures de monastères mises à part. Il est vrai que les médecins, les juristes, les hommes de plume dans leur très grande majorité relayèrent le discours des ecclésiastiques au moins jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Mais, alors que tout ce petit monde laïc masculin évolua peu à peu vers des considérations plus positives, les hommes d’Église, spécialement dans l’Église romaine, continuèrent à entretenir et à s’entretenir, frustration aidant, de la peur de la femme, subversion du genre humain.
D’ailleurs les propos assez récents d’un cardinal archevêque, instigateur à son corps défendant du « Comité de la jupe », prouve que le retour du refoulé n’est jamais bien loin dans ce monde de pouvoir masculin et fier de l’être… Peut-être parce que Jésus était un homme et le Christ présenté comme l’époux de l’Église ? On attend sur ce sujet majeur la réflexion théologique promise par François…. et les conséquences qui ne manqueront pas de s’imposer.