« Originellement, le terme “népotisme” désigne la faveur accordée à des membres de leur famille par les papes ou les grands dignitaires de l’Église catholique. Mais le pouvoir princier et laïc des autres États européens fit souvent de même ». Le regard de l’historien dans la chronique d’Alain Cabantous. Des papes du Moyen Âge à l’affaire Fillon.
Chronique du 23 février 2017.
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L’affaire du Pénélopegate va-t-elle nous autoriser à inventer un néologisme ? Comme « népotisme » vient de l’italien nipote (neveu), faudra-t-il dire désormais « mogliétisme » (la moglie, cette épouse italienne) pour évoquer les passe-droits, les émoluments conséquents d’attachées parlementaires et autres indemnités de licenciement excessives dont bénéficient certaines épouses de « représentants du peuple », sans évoquer leurs fils ou filles ?
Le candidat LR à la présidentielle, (gaulliste et) « chrétien » préférera sûrement l’ancienne désignation puisque le népotisme est directement issu du vocabulaire ecclésiastique romain. Originellement, il désigne la faveur accordée à des membres de leur famille par les papes ou les grands dignitaires de l’Église catholique. La pratique est ancienne et fleurit, semble-t-il, au XIe siècle, avec les premiers gestes sans scrupules de Benoît VIII. Mais ces papes médiévaux n’étaient que des enfants de chœur à côté de leurs lointains successeurs.
De Calixte III (mort en 1458) à Innocent X (1658), les évêques de Rome ont usé et abusé du système. Paul III, par exemple, crée le duché de Parme pour son fils, Pierre Louis, et nomme deux de ses petits-fils cardinaux. Deux des neveux Carafa de Paul IV deviennent par sa volonté l’un cardinal, l’autre duc de Paliano. Il n’est pas jusqu’à l’un de ses sévères successeurs, Pie V, icône des intégristes, qui succombe, un peu contraint et forcé, à la tradition en élevant au cardinalat Michel Bonelli, l’un de ses petits-neveux, faute de mieux. Car ces papes qui règnent avant et bien après le concile de Trente (1545-1563) ont pris l’habitude d’avoir auprès d’eux un collaborateur direct et de confiance, sorte de chef suprême de la Curie appelé d’abord cardinal-neveu puis à la fin du XVIe siècle cardinal padrone. C’est d’ailleurs dans cette fonction occupée à l’âge de vingt-trois ans, en 1561, que Charles Borromée fit son apprentissage ecclésiastique sous le gouvernement de l’oncle Pie IV. Bien entendu, la fonction n’était pas sans risque face aux différentes factions curiales et à leurs luttes d’influence. Ainsi Carlo Carafa, cardinal-neveu de Paul IV, fut exécuté avec son frère sur l’ordre de son successeur. Mais elle comportait quelques sérieux avantages matériels : terres, prébendes, offices réservés, bénéfices multiples, etc.
Le pouvoir princier et laïc des autres États européens, jamais en reste pour plagier les bons côtés du gouvernement de l’Église, fit souvent de même sans pour autant institutionnaliser la chose. Les petits arrangements entre membres de la famille et les revenus que certains en retirent aujourd’hui en sont-ils le lointain héritage ? C’est possible même si les sommes avancées et acquises n’ont pas la même ampleur qu’une pension ou un revenu alloués jadis à un fils ou une nièce. Il n’empêche. Les chiffres annoncés par les gazettes et relatifs aux salaires et autres indemnités de madame Fillon (soit près de 900 000 euros bruts perçus entre 1998 et 2007) sont pourtant loin d’être négligeables. Surtout touchant la famille d’un candidat qui s’était un peu vite présenté comme un élu vertueux, étranger aux « affaires » de son ancien patron ou de son rival Copé. Et tellement soucieux de l’argent public qu’il compte bien faire travailler les fonctionnaires 39 heures payés 37, entre autres propositions salutaires pour « les assistés de l’État ». Alors bien sûr, les conseils à 3 000 € mensuels des enfants Fillon, futurs avocats mais rémunérés (presque) comme de vrais professionnels, les deux notules rédigées pour la Revue des Deux Mondes facturées 100 000 euros font quand même un peu désordre dans le discours et surtout au regard du programme d’austérité martelé.
Jusqu’à preuve du contraire, nous dit-on, rien d’illégal à cela. Mais comme aimaient à nous le répéter les membres de Sens Commun, indéfectible soutien de François Fillon, devant d’autres décisions qu’ils contestaient lors des manifs pour tous : « tout ce qui est légal n’est pas moral ». Et c’est bien d’une question d’éthique démocratique qu’il s’agit. Le candidat officiel des Républicains à la présidentielle ne semble pas encore s’en être aperçu contrairement à nombre de ses électeurs potentiels. Le résultat du premier tour le lui enseignera peut-être… Juste trop tard ?
le 23 février 2017