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8 mai 2020

Après Contraception : la réponse de l’Église (2000) Michel Aupetit, ordinaire de Paris, publiait, quelques semaines avant le début du confinement, une nouvelle défense et illustration de l’encyclique toujours aussi controversée de Paul VI Humanae Vitae. Mais son idéologie vitaliste et son opposition frontale et « décisive » (?) à la pilule l’ont conduit à formuler une proposition particulièrement controuvée au regard de la sainte doctrine dont il doit être le garant. En lieu et place de la pilule et sans prôner directement la continence conjugale à tout crin, l’archevêque de Paris invite à prendre exemple sur nos grands-pères qui pratiquaient le coït interrompu sans qu’apparemment nos grands-mères, une fois de plus, aient eu quelque chose à dire ! Rappelons juste pour mémoire sa phrase d’anthologie : « Nos pères et surtout nos grands-pères pratiquaient majoritairement le coïtus interruptus, plus difficile certes, mais plus écologique ». Parole d’expert — médicalement parlant ! Mais, sait-il, le malheureux, que ce genre d’invitation à la lubricité, fût-elle « verte », n’est ni plus ni moins qu’un énorme péché mortel dans lequel il risque d’entraîner ceux qui le prendraient encore au mot pour « sauter en marche », selon une joyeuse expression du XIXe siècle ?

Pour avoir fréquenté, en tout bien tout honneur, un certain nombre de manuels de confesseurs, d’ouvrages de casuistique et lu, pour les besoins de la cause, quelques encycliques, il est de mon devoir de confirmer la totale illicéité du coïtus interruptus au moins selon l’enseignement de l’Église romaine. Ce que l’on a appelé le péché d’Onan[1]le crime d’Onan désignera aussi la masturbation à partir du début du XVIIIe siècle, du nom de cet obscur personnage de la Genèse qui refusa de s’unir à la femme de son frère pour perpétuer la lignée, a fait l’objet d’une condamnation constante, des pères de l’Église, ou à tout le moins de certains d’entre eux (Augustin en tête) jusqu’au au XXe siècle. Concrètement, c’est surtout au cours du XVIIIe siècle que ce « vice abominable » (dénoncé par le concile de Trente au XVIe siècle) se répand dans la société, à commencer chez les élites avant que les gens des campagnes eux-mêmes ne connaissent et pratiquent « ces funestes secrets » (Moheau). Devant le désarroi grandissant des confesseurs (fallait-il condamner fermement ou ignorer ?), plusieurs clercs, en attente d’une réponse, ont alerté les congrégations romaines. En 1822, l’abbé Bouvier, futur évêque du Mans, reçoit celle de la Sacrée Pénitencerie qui autorise une absolution pour les femmes qui ne font que subir la dérobade maritale. Première inflexion sensible en 1846 où Rome refuse de dépénaliser le crime d’Onan même pour les épouses « qui s’y prêtent » mais demande aux confesseurs de ne pas interroger les pénitents sur les formes du devoir conjugal ! Magnifique exemple de circonvolutions ecclésiastiques. C’est à partir de 1851 que le Saint Office intervient de plus en plus fréquemment pour dénoncer « le mal contraceptif » (Claude Langlois), clef de voûte d’une morale conjugale tout entière orientée vers la seule reproduction.

Très officiellement l’encyclique de Pie XI, Casti connubii, publiée le 31 décembre 1930 (soit cinquante ans jour pour jour après la condamnation du divorce par Léon XIII), est très précise sur ce point fondamental : « Aucune difficulté extérieure (santé de la femme, conditions économiques) ne saurait surgir qui puisse entraîner une dérogation de l’obligation créée par les commandements de Dieu qui interdisent les actes mauvais par leur nature même. Les époux doivent toujours préserver leur chasteté conjugale de cette tâche honteuse ». Il convient de rappeler à ce sujet qu’au terme de la Grande guerre, la dépopulation de l’Europe demeurait la grande hantise dénoncée par de nombreux évêques et que le texte pontifical se faisait l’écho inversé de la décision des autorités anglicanes qui, après la conférence de Lambeth en juin 1930, avaient autorisé la contraception.

Ces prises de position catholiques catégoriques ont des causes multiples. Peut-être la sacralisation de la semence, source de vie, mais plus assurément la peur surtout à partir du XIXe siècle de voir disparaître les familles nombreuses pourvoyeuses de tant de vocations religieuses, l’affirmation d’une identité catholique hiératique face aux confessions réformées et toujours, toujours cette volonté de contrôler la sexualité des baptisés, autre déclinaison du pouvoir clérical. C’est la raison pour laquelle le récent rappel de l’archevêque est troublant et contradictoire. D’une part il suggère de passer outre les sempiternelles injonctions du magistère, encore en vigueur au moins normativement ; d’autre part, c’est, avec la défense d’Humanae Vitae, une nouvelle prétention à poursuivre la surveillance de la sexualité de personnes adultes et responsables. Vu l’impact très probablement insignifiant de ce texte sur la vie des couples, n’eût-il pas mieux valu que l’auteur nous évitât cette saillie ?

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1 le crime d’Onan désignera aussi la masturbation à partir du début du XVIIIe siècle
Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

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