L’histoire de l’Église montre qu’il a été possible de modifier ce que d’aucuns appellent un dogme pour couper court à tout changement. Dès lors on voit combien certains arguments de la frange conservatrice du récent Synode sur la famille deviennent fragiles. La chronique d’Alain Cabantous du 20 octobre 2014.
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Et pour commencer une petite devinette. Qui a écrit : « On ne doit pas juger répréhensible que changent parfois les décrets des hommes en raison du changement des temps surtout lorsque le demande une nécessité urgente ou une utilité évidente puisque Dieu lui-même a modifié dans le Nouveau Testament certaines choses qu’Il avait décrétées dans l’Ancien » ? Un évêque du synode extraordinaire sur la famille qui vient de s’achever ? Vous n’y êtes pas. Le texte émane des pères du concile de Latran IV (1215) qui, entre autres choses, ont dû se pencher sur les impossibles interdits conjugaux pour raison de degré de consanguinité (jusqu’au 7e degré inclus). C’est aussi ce concile qui, avant d’autres (Lyon en 1274, Florence en 1438), a posé le mariage comme sacrement.
C’est donc très tardivement, au moins treize siècles après l’avènement du christianisme, que l’union d’un homme et d’une femme prend un statut sacramentel mais plus lentement encore que les fidèles le considèrent comme tel. D’où l’insistance du concile de Trente lors de sa 24e session en 1563 à rappeler aux ouailles la nature du mariage catholique. Il faut dire que Luther était aussi passé par là et que, dans un texte magistral et superbe de modernité, La captivité babylonienne de l’Église publié en 1520, il avait démontré pourquoi le mariage ne pouvait prétendre à cette qualification. Parmi les nombreux et solides arguments avancés, il reprend la parole de Paul (Éphésiens V,1) pour souligner que le terme de sacrement employé ici comme « partout dans l’Écriture » désigne « non le signe d’une chose sainte mais la chose sainte elle-même ». C’est donc le terme de mystère qu’il convient de comprendre.
Dès lors on voit combien certains arguments de la frange conservatrice des hommes qui viennent de se réunir à Rome deviennent fragiles. L’histoire de l’Église, pour peu que l’on soit curieux, montre qu’il a été possible de modifier ce que d’aucuns appellent un dogme pour couper court à tout changement. Alors qu’en fait, pour plagier Olivier Clément, un dogme n’est qu’une mauvaise réponse à une bonne question. Même s’il ne s’agit pas pour François et d’autres prélats de remettre en cause l’union indissoluble d’un homme avec une femme et le mariage-sacrement, le blocage des minoritaires, autour de Burke, Caffarra ou Müller, au sujet de l’accès aux sacrements — justement ! — des divorcés-remariés ou de l’accueil des homosexuels, souligne au moins trois choses : leur ignorance coupable et volontaire de l’histoire ; leur attachement viscéral au dogme faute de mieux ; leur incapacité à la miséricorde face aux situations humaines douloureuses ou simplement réalistes, qu’ils opposent toujours à la tarte à la crème qu’est la loi naturelle et, pour les plus malins, à la Vérité. S’il n’est pas assuré que les pères synodaux qui souhaitent un réel changement connaissent mieux l’histoire que les autres, au moins ils éprouvent une sensibilité évangélique évidente afin de ne pas alourdir un peu plus le fardeau que l’Église a fait et fait parfois si lourdement porter à celles et ceux qui s’éloignent du dogme sans pour autant s’éloigner de la foi. Alors oui, frères évêques, encore un effort. Des hommes et des femmes vous espèrent.
Le 20 octobre 2014