Y a-t-il un lien indissociable entre la violence et Dieu ? Chaque jour, en Centre Afrique, au Pakistan, en Inde, en Syrie, au Moyen-Orient et ailleurs, on tue pour des raisons apparemment religieuses. Mais tous les massacreurs de l’histoire ne sont-ils pas aussi des massacreurs de Dieu ? La chronique du 25 janvier 2014 d’Alain Cabantous
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021, lors de la fermeture du Centre Pastoral.
Il y a quelques jours une étude américaine nous apprenait que le nombre de conflits religieux était au plus haut depuis au moins 2007 dans le tiers des 198 pays passés à la loupe. Elle révélait une augmentation constante des violences sectaires, des condamnations pour blasphème, des profanations de lieux de culte ou de cimetières, des brimades et plus encore une multitude d’hommes, de femmes, d’enfants morts « au nom de Dieu ». Une stigmatisation qui touche les chrétiens, les musulmans et les juifs. Chaque jour, en effet, la situation en Centre Afrique, au Pakistan, en Inde, en Syrie, au Moyen-Orient voire dans certains pays du Maghreb apporte son lot d’exécutions, d’exactions, d’attentats perpétrés pour des raisons apparemment religieuses puisque les victimes sont d’abord qualifiées de « chrétiens », de « juifs », de « chiites » etc. Comme si, désormais, les communautarismes en tous genres se construisaient d’abord à partir d’une identité confessionnelle exacerbée, comme si les bourreaux, plus que jamais, se considéraient comme les uniques détenteurs de l’unique Vérité, et seuls dignes d’imposer la volonté divine par la violence, anticipateurs du châtiment qui attend inévitablement les mécréants… Bien sûr, le rapport au politique n’est jamais loin puisque le religieux a toujours entretenu avec lui des relations ambivalentes et suspectes.
Sans être dupe de cette tragique collusion, le déferlement accru d’une telle frénésie remet au centre de la réflexion la question de la violence comme élément ontologique du religieux. Certes, dernièrement encore, la Commission Théologique Internationale (catholique) a affirmé « qu’au regard de la foi chrétienne, la violence au nom de Dieu est une hérésie pure et simple » et de rappeler la teneur et le sens de plusieurs textes testamentaires, spécialement du Second testament, pour redire que la terreur est « une corruption de l’expérience religieuse ». Ce rappel est indispensable. Mais comment ne pas s’interroger et nous interroger au moins sur trois points. Tout monothéisme n’engendre-t-il pas aisément l’intolérance en faisant de la croyance en un Dieu unique une exclusive et en construisant le profil d’une divinité jalouse ? Comment ne pas entendre nombre de passages bibliques de prime abord vengeurs, icônes d’un Dieu qui, avant d’être source d’amour entre les hommes, fut un dieu armé, prompt à anéantir les ennemis de son peuple ou à châtier ceux qui ne sacrifiaient pas droit ?
Enfin et surtout, une fois encore, l’Histoire dans toute sa cruauté ne nous renvoie-t-elle pas comme une gifle, et sur les deux joues ! une multitude d’épisodes sanglants perpétrés selon des motifs et selon des modalités assez semblables de celles que nous connaissons aujourd’hui ? Sans évincer les Croisades en tous genres et autres conquêtes coloniales, souvenons-nous seulement de ces presque deux siècles (entre 1520 et 1700) où les guerres dites de religion, politiques aussi ! — ont stigmatisé et meurtri les populations de l’Europe. Des pays germaniques à l’Irlande, des Pays-Bas à la France, de l’Espagne à l’Angleterre, Juifs ou Musulmans pourchassés ou brûlés, catholiques et Reformés de toute obédience subissant exactions, représailles, tueries au nom de Dieu. Tout le monde ou presque connaît, ne serait-ce que grâce au cinéma, la saint Barthelémy d’août 1572 et ses 10 000 victimes. Mais qui se souvient du massacre de Wassy (1562), de la Michelade de Nîmes (1580), de la chasse aux catholiques en Angleterre, des conversions forcées d’enfants protestants arrachés à leurs parents, de l’exil souvent dramatique des calvinistes après la suppression de l’édit de Nantes en 1685 ? Là déjà, là encore, les meurtres répondaient aux meurtres, les cadavres étaient atrocement mutilés, les feuillets des psaumes enfoncés dans leur gorge, et les symboles de tous ces « malcroyants » tournés en dérision : de l’iconoclasme protestant destructeur des statues des saints ou des reliques aux défilés de catholiques fichant une Bible à la pointe des hallebardes en criant : « Voilà la vérité pendue, la vérité des huguenots, la vérité de tous les diables. » Au nom de la « vraie » foi.
Tous ces massacreurs de l’histoire ont été et sont toujours des massacreurs de Dieu alors qu’en défenseurs de leur vérité, ils tiennent leurs actes criminels pour un signe d’immanence divine. Ne nous croyons pas pour autant à l’abri de ces sortes de tentations mortifères. Car ni la culture humaniste ni la proclamation des droits humains ni l’affaiblissement sensible de la référence religieuse dans nos sociétés n’ont totalement effacé ces tentations pour le moins ambiguës d’exclusion, de vindicte et d’éradication du croyant « autre ». Comment agir pour qu’au nom de Dieu justement cessent enfin, ici et ailleurs, « les clameurs assourdissantes d’une rixe insensée » (Érasme) ?
le 25 janvier 2014