La décision du diocèse de Toulon d’inviter la jeune Marion Maréchal-Le Pen, blonde et catholique, à l’université d’été de la Sainte-Baume le 29 août 2015 nous renvoie aux collusions récurrentes d’une partie des acteurs institutionnels de l’Église de France avec l’extrême-droite. Même ripoliné en bleu marine, c’est toujours le refus de la fraternité, de l’accueil de l’autre, l’appel à la haine, à l’exclusion, le repli sur soi et la revendication d’un pouvoir autoritaire qui dominent dans le discours du Front national.
La chronique d’Alain Cabantous du 8 septembre 2015
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021, lors de la fermeture du Centre Pastoral.
Pour être fidèle à l’orientation habituelle de cette chronique, il n’est pas besoin aujourd’hui de chercher trop loin dans les siècles passés. La décision du diocèse de Toulon d’inviter la jeune Marion Maréchal–Le Pen, blonde et catholique, à l’université d’été de la Sainte-Baume le 29 août dernier nous renvoie immanquablement aux collusions récurrentes d’une partie des acteurs institutionnels de l’Église de France avec l’extrême-droite.
C’est bien là l’une des tendances fortes qui ont marqué et continuent de stigmatiser le catholicisme français. Au nom de quoi en fait ? Au nom d’un combat idéologique et d’un rejet de ce qui constitue la démocratie républicaine. Au moment de l’affaire Dreyfus, dans la décennie 1890, un nombre important de catholiques, lecteurs des articles haineux et enflammés de La Croix ou du Pèlerin a allègrement mêlé le soutien à l’armée, la défense de la patrie et l’antisémitisme. Mouvement de fond auquel n’a répondu que le très long silence des évêques qui ne voulurent pas condamner tous ces anti-dreyfusards qui revendiquaient leur appartenance à une « France catholique ». Née dans le sillon de « l’Affaire » justement, l’Action française devint vite contre-révolutionnaire, anti-républicaine même monarchiste et antisémite sous l’influence d’un Maurras agnostique mais qui souhaitait s’appuyer sur l’Église-institution pour unifier la nation. Là encore, et jusqu’à la condamnation de Pie XI en 1926, beaucoup de catholiques, il est vrai malmenés par la République anticléricale, se reconnurent dans ces valeurs d’ordre, d’autorité et de tradition. Ils se sentaient soutenus par bon nombre d’évêques, dont le cardinal Billot, lesquels, favorables à l’Action française, mirent bien peu de zèle à faire appliquer les décisions romaines. On pourrait évidemment évoquer encore certaines déclarations épiscopales parfois délirantes en faveur du régime de Vichy. Certes, et heureusement, une petite minorité de chrétiens s’en distingua au prix de bien des entraves.
En 2015 et sans forcer le trait de la comparaison, l’initiative aux justifications fumeuses prise par Dominique Rey n’étonnera que celles et ceux qui ne suivent pas de près sa gouvernance depuis qu’il est évêque du lieu, brandissant l’étendard de la nouvelle évangélisation et de « l’identité catholique » en s’appuyant sur des mouvements charismatiques plus que douteux. Comme ses confrères d’hier, il ne semble pas s’être posé la question d’une incompatibilité irréductible ni d’une contradiction frontale entre le contenu d’un discours politique extrême et les valeurs du christianisme. Même ripoliné en bleu marine par l’habileté des héritières du Front, c’est en fait toujours le refus de la fraternité, de l’accueil de l’autre, l’appel à la haine, à l’exclusion, le repli sur soi et la revendication d’un pouvoir autoritaire qui dominent. Au lieu de proposer préalablement un dialogue critique et sans complaisance, Rey s’est empressé d’offrir une tribune à Marion Maréchal–Le Pen, confortant un peu plus cette droitisation du catholicisme hexagonal, deux ans après l’instrumentalisation cléricale de la Manif pour tous. Dans la perspective des élections régionales à venir, notamment en P.A.C.A., l’occasion était d’ailleurs trop belle. Rey a ainsi cautionné le parti d’extrême droite et par là rendu le discours du Front acceptable. Cette légitimation épiscopale est coupable d’avoir rompu sciemment et idéologiquement une digue, permettant de balayer les derniers scrupules de catholiques d’ici ou d’ailleurs qui hésitaient hier encore à voter FN. Mais puisque Monseigneur montre désormais l’exemple, alors…
« L’Église doit être l’éthique vivante du politique » écrivait Paul Ricœur. L’affaire de Toulon, le bref communiqué langue de buis du porte-parole de l’épiscopat français ou le nouveau silence des évêques, comme si souvent dans l’histoire dans son rapport à l’extrême droite, montre que le chemin vers l’éthique est beaucoup plus long à parcourir qu’on ne pouvait le penser il y a encore dix ans.
le 8 septembre 2015