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Charles de Foucauld, le Frère universel

Le 15 mai 2022 au matin, la place Saint-Pierre au Vatican est envahie
par des dizaines de milliers de pèlerins venus fêter la canonisation de
dix nouveaux saints : un laïc, quatre religieuses et cinq religieux :
parmi ceux-ci, Charles de Foucauld (1858-1916). La veille au soir,
l’église Saint-André accueillait pour une veillée les milliers de pèlerins venus pour la canonisation de Charles de Foucauld. Atmosphère recueillie, à l’écoute des nombreux enseignements sur le frère universel.

Un fou de Dieu et de l’autre

Qui était Charles de Foucauld ? [1]Lire l’article de Guy Aurenche dans la Lettre d’info de Saint-Merry Hors-les-Murs, n° 16. Parmi les très nombreux ouvrages et revues : Charles de Foucauld à Tamanrasset, … Continue reading Osons l’écrire : comme Dieu, C. de Foucauld a écrit droit avec des lignes courbes. Le début de la vie ne l’a pas épargné. Ses parents lui donnent le prénom de son frère mort l’année précédente. Psychiatres et psychanalystes connaissent bien le traumatisme qu’engendre un tel choix, mélancolie et pulsions suicidaires comprises. À cinq ans, le décès de ses deux parents n’arrangera rien ainsi que le décès de son grand-père quand il avait vingt ans. Adolescent, il perd la foi. Militaire, il mène une vie de plaisirs qui le laisse insatisfait. 

La découverte de la foi musulmane au Maroc et la recherche intérieure de la vérité lui font redécouvrir la foi chrétienne. Son parcours de “recommençant” rappelle le récit du “fils prodigue”. Son “étrange prière” – « Dieu, si vous existez, faites-le-moi connaître » – sera le terreau d’une expérience spirituelle radicale qui, en 1886, le ramène au “Père” : « Ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi. Dieu est si grand ! ». Dès lors, pour trente ans, l’horizon est clair et les moyens changeants. Son but sera : « Imiter la vie cachée de l’humble et pauvre ouvrier de Nazareth et convertir les pauvres infidèles ». Les états de vie – ermite, moine, prêtre, missionnaire – et les lieux de son engagement seront variés comme le nom sous lequel il signera ses lettres. 

Durant vingt années, il rédigera de très nombreuses Règles pour des religieux, des religieuses puis des laïcs « pour une vie de contemplation, de pauvreté, de pénitence, de travail, de bienfaisance. » Le premier Règlement en trois points sera : « être prêt à mourir de faim, être prêt à se laisser couper la tête, être décidé à m’obéir. » Les versions suivantes s’adouciront mais Dieu ne lui enverra aucun compagnon et n’exaucera même pas son vœu de mourir martyr, il sera tué le 1er décembre 1916 par des pillards. C.de Foucauld, venu pour convertir les musulmans, dans un contexte difficile de domination coloniale et d’Église conquérante, vivra à Tamanrasset, pauvre parmi les pauvres. Il visite, soigne et produit une œuvre linguistique et ethnologique magistrale. 

Sur l’administration coloniale, il porte des jugements sévères. Déjà, à Beni Abbès, il s’insurge contre « la plaie de l’esclavage » : « Nous n’avons pas le droit d’être des chiens muets… Il nous faut crier quand nous voyons le mal ». Devant les exactions de certains militaires, il avancera, en 1912, que les populations pourraient se rebeller et, dans cinquante ans, chasser les Français. Un biographe voit Charles comme le « délégué syndical » des Touaregs.

Durant ces années, C. de Foucauld se laissera transformer par le désert, le Hoggar, la population touarègue. Peu à peu, les visites de plus en plus nombreuses bousculeront son emploi du temps rigoureux d’ermite et les limites de sa « clôture ». En 1908, il vit une véritable conversion. Lors d’une crise sévère de scorbut, en un temps de sécheresse extrême, il doit la vie au lait des maigres chèvres fourni par les femmes d’alentour. Le vicomte de Foucauld, d’éternel donneur, vit l’expérience de l’hospitalité. Venu « apprivoiser », il est accueilli. Homme de feu, souvent accablé mais jamais découragé, toujours le sens de la famille, de l’amitié, de la fraternité rivé au corps, Charles se fait plus que jamais serviteur des Touaregs. Il s’inculture, se laisse conduire par l’Esprit saint, choisit un chemin d’humilité. Le « marabout » ne parle plus de conversions mais « dans la vie quotidienne, de devenir pour tout homme un frère, … être bon et faire voir en soi la bonté de Jésus. » À la fin de sa vie, Charles ne signera plus que de son nom et prénom, abandonnera cœur, croix et chapelet voyant comme vêtement. Aimé et respecté, ses amis le verront apaisé, heureux, le visage radieux. 

« Aventurier christique », prêtre libre, savant et spirituel,
à la fois homme de son temps et visionnaire,
Charles de Foucauld reste un mystère
et « une interpellation pour la conscience musulmane
tout autant que pour la conscience chrétienne. »

Ali Merad
Zahra Targui et Najem Bassaoui à Rome, photo Jean-Marc Noirot

Un saint, un anti-héros

Le lendemain, dimanche 15 mai, devant une foule immense et enthousiaste, sous un soleil généreux, le pape François consacre son homélie à la sainteté comme horizon et d’abord comme chemin, offert à tout chrétien. Il commente « le testament que le Christ nous a laissé, le critère fondamental pour discerner si nous sommes vraiment ses disciples ou non : le commandement de l’amour : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13, 34)

« Tout d’abord, comme je vous ai aimés. Comment Jésus nous a-t-il aimés ? Jusqu’au bout, jusqu’au don total de lui-même… Un maître spirituel de notre époque a écrit : “Avant même qu’un être humain puisse nous voir, nous étions vus par les yeux aimants de Dieu”… C’est notre identité : aimés de Dieu. C’est notre force : aimés de Dieu. »

Le pape poursuit : « Cette vérité nous demande de nous convertir sur l’idée que nous nous faisons souvent de la sainteté. Parfois, nous avons de la sainteté un objectif inaccessible, nous l’avons séparée de la vie quotidienne au lieu de la rechercher et de l’embrasser dans le quotidien, dans la poussière de la rue, dans les efforts de la vie concrète et, comme le disait Thérèse d’Avila à ses sœurs, “parmi les casseroles de la cuisine“ » … 

Pour le pape François : « Aimer signifie ceci : servir et donner sa vieServir, c’est-à-dire ne pas faire passer ses propres intérêts en premier ; se désintoxiquer des poisons de la cupidité et de la concurrence ; combattre le cancer de l’indifférence et le ver de l’autoréférentialité … La sainteté n’est pas faite de quelques gestes héroïques, mais de beaucoup d’amour quotidien… C’est le chemin de la sainteté, si simple ! Regarder toujours Jésus dans les autres… »

« Servir l’Évangile et les frères…
Offrir sa vie sans retour, sans chercher la gloire mondaine :
nous sommes, nous aussi, appelés à cela.
Nos compagnons de route, canonisés aujourd’hui, ont vécu la sainteté
de cette manière : en embrassant leur vocation avec enthousiasme,
un reflet lumineux du Seigneur dans l’histoire.
Faisons-le aussi : le chemin de la sainteté n’est pas fermé, il est universel…
Oui, le Seigneur a un plan d’amour pour chacun de nous,
il a un rêve pour ta vie, pour ma vie, pour la vie de chacun de nous.
Et faites-le avancer avec joie. »

pape François

Le lendemain 16 mai au matin, à Saint-Jean de Latran, les « foucauldiens » se retrouvent pour une messe d’action de grâces, pour la fécondité posthume de Charles et sa vingtaine de familles religieuses, séculières et laïques. L’Évangile de Jean (15, 9-17) est psalmodié en arabe par Mgr Abboud de Damas. La sortie fut plus que joyeuse grâce aux retrouvailles de toutes sortes. Personnellement, j’ai salué Claude Rault, évêque émérite du Sahara, qui travaille actuellement au Secrétariat national pour les relations avec les musulmans, relié à la Conférence des évêques. Autour de lui, des paroissiens des oasis d’Algérie, des musulmans de Tamanrasset dont, Zahra, la guide qui, depuis douze ans, fait visiter le bordj qu’avait fait construire C .de Foucauld. C. Rault, à Paris, fréquente souvent le Forum 104, rue de Vaugirard, où se tiennent régulièrement de nombreuses et nourrissantes rencontres interreligieuses que des membres du Réseau Spiritualités Fraternité de Saint-Merry Hors-les-Murs manquent rarement.

Mgr Claude Rault, photo JM N.

« Un rêve pour chacun d’entre nous… »

En conclusion, je citerai le dernier paragraphe du dernier chapitre de l’encyclique Fratelli tutti intitulé les religions au service de la fraternité dans le monde où le pape François renouvelle le contenu, révolutionnaire pour l’époque, de Nostra Aetate (1965). Il y cite Charles de Foucauld : 
« Dans ce cadre de réflexion sur la fraternité universelle, je me suis particulièrement senti stimulé par saint François d’Assise, et également par d’autres frères qui ne sont pas catholiques : Martin Luther King, Desmond Tutu, Mahatma Mohandas Gandhi et beaucoup d’autres encore. Mais je voudrais terminer en rappelant une autre personne à la foi profonde qui, grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et femmes. Il s’agit du bienheureux Charles de Foucauld. Il a orienté le désir du don total de sa personne à Dieu vers l’identification avec les derniers, les abandonnés, au fond du désert africain. Il exprimait dans ce contexte son aspiration de sentir tout être humain comme un frère ou une sœur, et il demandait à un ami : « Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de toutes les âmes […] ».
Il voulait en définitive être « le frère universel ». Mais c’est seulement en s’identifiant avec les derniers qu’il est parvenu à devenir le frère de tous. Que Dieu inspire ce rêve à chacun d’entre nous. Amen ! »

Jean-Marc Noirot  

Notes

Notes
1 Lire l’article de Guy Aurenche dans la Lettre d’info de Saint-Merry Hors-les-Murs, n° 16. Parmi les très nombreux ouvrages et revues : Charles de Foucauld à Tamanrasset, Antoine Chatelard, Salvator, nov. 2021 ; Charles de Foucauld, 1858-1916. Bibliographie, Salvator, oct. 2020 ; Charles de Foucauld et les musulmans, Dialogue, n°14, oct 2020, Service national des relations avec les musulmans, CEF. 
  1. Jacqueline Casaubon
    Jacqueline Casaubon says:

    Merci cher Jean-Marc, pour ton beau témoignage sur Charles de Foucauld. Il fallait donner beaucoup d’informations pour comprendre ses étapes et sa transformation. C’es très humain. Certains de ses admirateurs et admiratrices qui se sont inspirés de sa spiritualité ont dû eux aussi évoluer et devenir plus humains dans leurs différentes familles religieuses. Grandir en humanité, un chemin spirituel. Prendre soin de l’autre en lui offrant que du bien. Bienveillance.

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