Il y a quelques jours le journal La Croix publiait un article faisant état d’une nouvelle mode repérée sur le réseau social TikTok : l’apparition, c’est le cas de l’écrire, de photos et de vidéos de jeunes filles et de jeunes femmes voilées se déclarant chrétiennes. Elles justifient ce choix qui au nom d’une « autoprotection » (contre qui ?), qui d’une revendication identitaire au nom de la trop fameuse Tradition, qui en référence au verset de 1 Corinthiens 11, brut de littéralité.
Si cette trop fameuse phrase de Paul affirmait bien la subordination traditionnelle des femmes à travers des symboles visibles, l’apôtre des Gentils semble être un vulgaire amateur au regard des textes produits, à sa suite, par certains Pères de l’Église.
Au cours du IIIe siècle, Clément d’Alexandrie, Cyprien ou Tertullien surenchérirent jusqu’à écrire
des traités entiers consacrés au voile féminin. Tertullien, dans De cultu feminarum (vers 202)
écrit avec véhémence : « Ne pouvez-vous laisser en paix vos cheveux qu’on voit tantôt attachés, tantôt dénoués, tantôt relevés, tantôt tombant. […] Inutile de vous fatiguer à paraître en beauté, inutile d’avoir recours aux mains les plus expertes à échafauder une chevelure. Dieu vous enjoint d’être voilées. »
Le port du voile va peu à peu revêtir une dimension morale.
À preuve, Cesare Ripa dans son Iconologie (1593) en fait un élément symbolique de la chasteté dont « le visage voilé empêche que le vice n’entre par les yeux chez les âmes pudiques ».
La référence appuyée à Marie de ces jeunes internautes ne mobilise pourtant que les représentations sulpiciennes et tardives d’une esthétique aussi sirupeuse que douteuse.
En effet, beaucoup de peintres occidentaux, et en dépit de l’influence byzantine, prirent bien des libertés avec le voile de la panoplie mariale.
Souvent les artistes, et non des moindres (Metsys, Van Eyck, Léonard, Raphaël, Caravage, Blanchard et quelques autres), l’ont même ignoré dans des scènes aussi cruciales que les annonciations ou les nativités ou même la mort de la Vierge (Caravage).
Même constat pour la statuaire publique de Marseille au Puy avec une représentation de Marie aux cheveux libres. On ne peut nier cependant que le voile a longtemps accompagné les rituels du catholicisme au féminin : première communion, adhésion à une association pieuse, mariage, enterrement et bien sûr prise d’habit. Pour les religieuses, le port du voile blanc, en simulacre du mariage christique, était aussi là pour signifier « qu’elles ferment volontairement les yeux pour ne plus voir les folies du monde auquel elles ont renoncé. Folies qui cependant menacent jusqu’à la paix des cloîtres » (Dictionnaire de Trévoux, 1742).
Enfin, il ne faudrait pas omettre cette longue habitude des femmes surtout dans les milieux populaires de porter un mouchoir noué sur la tête jusqu’au beau milieu du XXe siècle. Longue habitude pratique puisque, à la fin du XVIe siècle, le voyageur suisse Thomas Platter, de passage à Narbonne, trouve que « la coiffure des femmes est fort disgracieuse surtout celles du commun, leur tête et leur front enveloppés d’un linge blanc ». Réminiscence laïque des prescriptions religieuses ? Mais plus encore « ornement utilitaire par excellence de la féminité pauvre » (Nicole Pellegrin). Protection contre les intempéries de la pluie ou de froid, de la chaleur ou de la poussière lors des travaux des champs (voyez Jean-François Millet ou Pissarro) ou dans les ateliers.
Les jeunes filles ou les jeunes femmes qui s’exhibent ainsi aujourd’hui sur les réseaux sociaux ne se réfèrent bien sûr qu’à la dimension religieuse de ce bout de tissu. Elles confortent quand même une forme de soumission, une confirmation du patriarcat clérical ou non alors qu’au même moment, les débats à propos du synode sur la synodalité ne cessent de vouloir combattre l’une et l’autre. Justement pour mettre les voiles vers d’autres horizons du christianisme.
On se reportera avec profit à l’ouvrage de Nicole Pellegrin :
Voiles. Du Moyen-Âge à Vatican II, Paris, CNRS éditions, 2017.