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Débat : La résurrection pour nous, aujourd’hui

Méditation à plusieurs voix dans une perspective œcuménique et artistique.
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Débat 16 Mars 2

Méditation de Dominique Hernandez, pasteure

Résurrection aujourd’hui

Il y a longtemps, je croyais que la résurrection c’était loin. Entre celle du Christ, presque 2 000 ans avant et celle du jour de la parousie, dans longtemps, forcément dans longtemps, ou celle de l’au-delà de la mort, et aussi avec cette dimension du tous, tous les humains de tous les temps, concernés… Je ne me sentais pas beaucoup concernée.
Ressusciter, résurrection était des mots trop extraordinaires, trop grands, trop inaccessibles, des mots que je ne pouvais pas accueillir dans ma petite existence et ce que ces mots représentaient restait à distance.
Et puis, j’ai entendu que ressusciter, résurrection était des mots ordinaires, et que ce qu’ils traduisaient dans leurs majuscules d’Église, de Pâques, de célébrations, relevait du langage commun et de l’expérience la plus partagée : se relever, relèvement, se réveiller, réveil. Ce que je faisais, ce que nous faisons tous chaque jour. 
Tout d’un coup, la résurrection pouvait devenir familière, elle n’était plus réservée au langage de l’Église, à la fête de Pâques, à des récits de miracles de la Bible hébraïque et du Nouveau testament. La résurrection pouvait me concerner, concerner chaque personne. N’avais-je pas moi-même été relevée, réveillée ? D’autres ne l’étaient-ils pas ?

Replonger dans les textes bibliques a transformé mon regard et j’ai lu des résurrections là où je ne les avais encore jamais lues, et des liens sont apparus avec d’autres expressions.
Relire le récit dit de la résurrection de Lazare et comprendre que certes, Lazare est réanimé, mais que c’est Marthe qui ressuscite.
Relire le récit des disciples d’Emmaüs et comprendre qu’ils ressuscitent eux aussi, dans un processus qui commence sur le chemin pour s’accomplir au moment où le Ressuscité rompt le pain et disparaît.
Relire le récit de la conversion de Paul dans le livre des Actes et le comprendre comme mort du pharisien et résurrection en apôtre.
Relire ce que Paul écrit de lui-même dans l’épitre aux Galates ou celle aux Philippiens par exemple
et comprendre que la révélation qui l’avait saisi l’a relevé, ressuscité dans une vie nouvelle.
Et tout cela, ce n’est pas d’hier, ni d’avant-hier, c’est d’aujourd’hui ; ce n’est pas du passé,
c’est du présent, le nôtre.

Je passe par la Bible
C’est mon chemin de vie, et celui de bien d’autres, je passe par la Bible pour comprendre ce que je vis, et j’ai compris que je suis ressuscitée, que j’ai été réveillée, relevée par la grâce inconditionnelle, et que nous sommes nombreux ! J’ai été rendue vivante, dans une vie qui ne devait rien à ma volonté, ni à mes qualités, par une puissance de vie qui n’était pas la mienne, mais celle de Dieu en Christ vivant, avec/parmi d’autres vivants.
Lire les textes bibliques conduit à une transformation du regard. Il ne s’agit pas seulement de voir,
ni de savoir, mais de recevoir ce qui est donné dans le texte biblique déjà donné. Un don dans le donné des Écritures, un don comme une révélation. Si je passe par les Écritures, c’est que quelque chose y passe qui me rejoint et me donne, me donne à moi-même. Ce qui passe me recueille et me porte au-delà de moi-même, dans une présence qui est la mienne, mais nouvelle car reliée, reliée en Alliance, reliée à la source, l’origine, la transcendance reliée à autrui. Malgré les limites et les déficiences de la vie, à travers les capacités, les héritages, les déterminations et les fatalités, au-delà du voir et du savoir, une advenue qui survient.

Le tombeau est ouvert
La résurrection se dit dans cette ouverture déjà ouverte.
Ce qui avait été fermé, ce qui devait être fermé, clos est ouvert.
Ouvertes ces Écritures pourtant clôturées par leur canon, ouvertes aux interprétations, ouvertes à l’accueil du lecteur, de la lectrice singulière.
Ouverte la personne en ce lieu indéterminé de l’être, une racine imprenable qui touche à la Transcendance qui donne vie.
Ouverte la porte par laquelle passent et repassent les brebis et elles trouvent les verts pâturages.
Ouverte la vie à l’émerveillement, à la reconnaissance, à la rencontre, à la liberté (Francine Carillo : vivre comme artisanat de l’ouverture).
L’ouvert, l’ouverture, la pierre roulée, la clôture brisée, la barrière renversée, le mur écroulé, cela peut faire peur, et les femmes ont eu peur. Tout n’est pas fini et les certitudes sont ébranlées, oui, cela peut faire peur de sortir, d’aller ailleurs, d’être autrement, de laisser vivre en soi une autre vie pourtant devenue sienne, cet éclat, ce germe de christ en l’humain. La résurrection n’est pas une solution, elle relève plus de l’insurrection, depuis la Pâque juive : se lever et partir.
L’insurrection est plus importante que son succès immédiat et visible. Il y a six mois que Mahsa Amini a été tuée. Mais que les tombeaux soient ouverts ! C’est aussi un cri de Pâques, parce qu’ils le sont déjà, même si cela ne se voit pas, ne se vit pas, il n’est pas de tombeau qui n’ait été visité, qui ne puisse être visité par le Vivant : toutes choses nouvelles.

Il y a une vie avant la mort, la mort biologique. 
Il y a une vie malgré la mort, toutes les formes que la mort prend pour empêcher la vie des vivants,
la vie vivante.
Vivre immobile, pétrifié dans des rancœurs, des peurs, des haines, vivre rongé de ressentiment ou de honte, vivre comme consommateur ou comme spectateur, vivre en tournant en rond entre échecs et erreurs, vivre en fuyant la vie dans des addictions ou des refuges illusoires, vivre enfermé dans des deuils, vivre comme reclus dans la fatalité et les évidences, vivre sans confiance, sans reconnaissance, sans amour, c’est ce que les auteurs du Nouveau Testament désignent comme la mort dans la vie.

Sortir de la mort, être relevé, être réveillé, ce passage, cette Pâque est offerte
à tous.

Promesse qui est dite à chaque baptême ; à chaque début et fin de liturgie du culte et aussi en cours de liturgie avec les mots de grâce, de pardon, de bénédiction, de Parole vivante ; celle qui se reconnaît dans chaque geste de bonté où l’on voit que le Christ est ressuscité, celle qui agit dans le plus petit frémissement de vie dans l’âme, le cœur, l’être. « Marie » dit Jésus à Marie, qui est ainsi réveillée de la fascination du corps mort. Un nom suffit, une voix suffit, un écho suffit… La résurrection accueille, recueille, symbolise toutes ces énergies par lesquelles les humains sont libérés, émancipés, rendus capables, transcendés en humains vivants. Renouveau, élan intérieur, courage, la résurrection qui est aussi insurrection passe en nous, par nous, et elle est plus que nous.

Dans le quotidien de l’existence, la résurrection nous attend, aux plis des enfermements, des ténèbres, des peurs, des résignations. Elle qui brille dans les mots simples : relever, réveiller, fait briller d’autres mots ordinaires : malgré, pourtant, cependant, des mots d’ouverture, des mots de promesse, des mots reflétés dans l’aube du matin de Pâques.
La poésie des quatre évangiles tient l’aube, tôt le matin, le jour n’étant pas encore levé, comme le moment symbolique de la résurrection, un commencement de huitième jour, une genèse continue dans le chaos, l’indistinct, la confusion, et toutes les négativités du monde et de l’existence, tout ce qui rabaisse, rétrécit, confine l’humanité de l’humain. Ce moment ténu de l’aube qui rappelle la voix de fin silence que le prophète Élie entend au fond de la grotte où il s’était replié et alors il sort car Dieu est là, vivifiant. 
Mais il y a encore plus dans l’aube de Pâques, elle ne nous est pas extérieure, elle est intérieure, puissance de vie qui sourd en l’humain depuis la divine source enfouie dans les profondeurs de l’humanité de l’humain. Dieu en nous nous oriente inlassablement vers un avenir nouveau, ou pour le dire autrement, Dieu en nous nous suscite inlassablement dans une existence libérée dont Jésus représente la plénitude. Et cela dans l’ordinaire de chaque jour, et c’est cela qui est extraordinaire. La résurrection ne suscite pas des héros ou des héroïnes au-dessus du lot, mais des hommes et des femmes en plein dans le monde, à l’œuvre pour le relèvement, la libération d’autrui.
Expo David Hockney (je ne sais pas s’il est chrétien) : la vie vivante malgré des épreuves, la vie chatoyante, foisonnante dans des scènes absolument quotidiennes, des représentations dynamiques, colorées de l’ordinaire et du quotidien et ce dynamisme, cet élan vital, ces couleurs vivantes passent de l’œuvre à ceux qui les contemplent : cela m’a évoqué la résurrection. 

L’aube de Pâques, ouverture du jour, est aussi un oui, encore un mot ordinaire. Oui à chaque existence. Le théologien Raphaël Picon (décédé en janvier 2016) disait que « le Christ est le oui sans réserve de Dieu à l’humanité », ce Dieu qui, toujours selon Raphaël est « ce oui qui nous met debout et qui croit en nous ». Le oui qui dit oui, et alors nous ne sommes plus mesurés par nos fautes et nos échecs mais par ce oui irréductible, passionné, qui nous ressuscite, nous suscite à nouveau, oui !

Zao Wou Ki, Le Vent Pousse La Mer, 2004
Zao Wou-Ki, Le vent pousse la mer, 2004

Cet imposant triptyque de près de 2 m sur 4 m
a été exposé en 2018-2019 à Paris au Musée d’art moderne : L’espace est silence.
C’est là que j’ai vu cette œuvre.
Et qu’en m’approchant d’elle un peu de biais,
j’ai été saisie.

Par les ailes de l’ange. Pourtant, je ne crois pas que les anges aient des ailes. 
Dans la lumière blanche, un peu effilochée, mais dynamique, venant d’au-delà du bleu sombre, et engendrant la clarté sous elle, dans cette lumière blanche en deux parties sur deux des tableaux du triptyque, j’ai vu un ange, enfin comme un ange, l’ange annonçant la résurrection.
Je n’ai pas vu tout de suite la petite barque, mais j’ai bien aimé qu’elle soit là, encore en difficulté, à la fois petite barque d’une existence humaine, et/ou embarcation commune d’humanité, affrontant des vents contraires, au risque de l’engloutissement. Le Christ n’a jamais dit qu’il serait facile de vivre, même pour des ressuscités. L’apôtre Paul décrit à plusieurs reprises comment il n’a pas été épargné.

La Résurrection est indissociable de la Passion
et que c’est de la mort que jaillit la vie.
Et nous ne pouvons pas oublier celles et ceux qui s’épuisent à ramer.
Mais voilà, il n’y a pas que l’épreuve, il n’y a pas que la peur, et déjà la lumière gagne du terrain, elle va finir par remplir la toile, c’est certain. 
Cette lumière est d’espérance, 
face à l’étendue sombre en haut, sans étoile, sans repère, sans issue, qui pourrait absorber, recouvrir toute possibilité de reconnaissance ;
face à l’étendue opaque d’en bas, un brouillard où l’on peut se perdre, ne plus distinguer d’où l’on vient, ni où l’on va, où tout ne ressemblerait à rien.
Cette lumière est de confiance, 
venant d’au-delà de ce qu’on peut voir, d’au-delà de ce qu’on peut savoir. Elle est insaisissable, hors de portée et pourtant c’est à elle qu’on se tient, c’est elle qui tient, qui donne cette coulée dorée couleur de vie qui s’infiltre malgré le sombre, malgré le flou. Ce n’est pas la plus grande part de l’œuvre, cette lumière et sa coulée, mais elles ne cèderont pas.

La résurrection c’est parfois tout petit, une petite chose,
un geste de bonté, une parole qui rend courage,
un texte biblique qui devient terreau de vie,
un pardon donné, un petit moment de grâce,
et pourtant cela change tout.

Dominique Hernandez

Méditation de frère François Cassingena-Trévedy, moine bénédictin

II se trouve que le village du Cantal où j’habite s’appelle Sainte-Anastasie ! Je n’ai pas fait exprès mais c’est tout un programme. Et quand je regarde ce village qui est au fond dans un creux de vallée au bord de l’Allanche qui descend du plateau du Cézallier, cette vallée comme un sillon dans lequel je suis enfoui, j’aime bien regarder ce village et sa petite église avec un clocher à peigne comme il y en a beaucoup dans le Cantal. C’est là que je suis, et Sainte-Anastasie c’est un programme pour cette suite d’existence de ma vie monastique dans ce monde rural profond, très proche évidemment des réalités des rythmes de la nature. 
J’ai beaucoup aimé tout ce qu’a dit Dominique sur la résurrection et j’y souscris entièrement, il n’y a pas grand-chose à ajouter.

Moi aussi, longtemps j’ai cru que la résurrection était quelque chose d’exceptionnel, de solennel, de très majestueux et en fait c’est quelque chose de très simple. J’oserais dire quelque chose qui va de soi lorsqu’on travaille la terre, lorsqu’on vit tout près des rythmes naturels, oui la résurrection, le printanier, cela va de soi. Ça se fait attendre et parfois rudement. Dans le pays où je suis, l’hiver est long, il y a de la neige, du vent, du souffle, mais le printemps vient. En ce moment dans les plates-bandes de mon jardin je vois des tulipes qui commencent à sortir. Je ne veux pas par-là résumer la résurrection à un phénomène purement naturel, mais c’est si simple au fond, et je ne suis pas à Christian Bobin mais proche de lui – et je pense que lui aussi était sensible à cette simplicité sous ce nom compliqué. C’est quelque chose au fond de très simple, dont l’homme Jésus avait l’intuition profonde. Pour moi il n’y a pas de meilleure image, pas de meilleure promesse de la résurrection que ce que dit Jésus dans le 4e évangile.

« Si le grain ne meurt il reste seul, mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit. »

jean 12, 24

Il ne dit pas simplement « il se relève ». La grande erreur serait de croire que la résurrection est un miracle : elle n’est pas un miracle. Elle est, elle va de soi si on accepte le grain qui meurt, l’obscurité, la perdition de soi, ce que dit encore Jésus : « perdre sa vie ». Si on ne perd pas sa vie on ne la retrouve pas. Et ce qui se relève, ce n’est pas moi, moi tout seul, moi le même. Là aussi grave erreur sur la résurrection, comme si c’était un bonhomme qui ressuscite, qui sortait de sa boîte trois jours après tel quel. Ce n’est pas ça du tout : cet homme se relève, grossit de nous avec nous. Nous sommes, si j’ose dire, le Ressuscité de Jésus. Tous ! Et s’il y a une définition de l’Église, c’est bien cela la communauté chrétienne, la communauté des disciples qui se réclament, qui appartiennent à Jésus sur son corps de résurrection. Nous sommes son corps ressuscité.
« Si le grain ne meurt il reste seul mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit » et le grain se relève à plusieurs. Donc on peut s’inscrire contre une conception individualiste de la Résurrection comme si c’était un privilège. Ce n’est pas du tout cela et bien sûr chacun de nous, et je dirais combien de chrétiens la vivent – on est tous un peu comme ça avec l’espérance de vieillir – comme une retraite après la mort pour laquelle on gagne des points pour se retrouver après dans un petit confort le meilleur possible : ce n’est pas ça du tout. 

Je meurs, je suis enfoui, je me perds
et je me relève à plusieurs
et je me relève autrement qu’avant. 

Porter du fruit, dans l’évangile de Jean (chapitre 15) et « le semeur est sorti pour semer » (Mathieu, parabole du semeur, certainement la parabole la plus importante des synoptiques), c’est la même loi au fond. 
Ce rejaillir autrement tout ce que nous semons dans l’ordre de la vie, de la beauté, de l’amour, du sens, de la pensée, de la création artistique, tout cela porte du fruit et c’est cela notre corps de ressuscité. L’image de l’étincelle m’est évidemment très chère puisque c’est le titre que j’ai donné à une œuvre cursive jusqu’au dernier volume Les propos d’altitude. J’oserais dire que les étincelles c’est petit à petit ce qui restera de moi, la seule chose. Et je pense à l’immense simplicité de l’homme Jésus qui va tout droit vers ce drame de la passion et l’affronte parce qu’il a en lui cette confiance que cette perdition, cet échec, cette tragédie, tout cela va porter un fruit et d’autant plus qu’il s’y livre et qu’il est sans défense. La résurrection est là, dans ces toutes petites choses comme disait Dominique.

La résurrection je la lis, je la sens : ce qui est printanier, ce qui est matinal ne trompe pas. Lorsque nous faisons très simplement chaque année, peut-être chaque jour, plusieurs fois dans une vie, l’expérience du matinal, du printanier, de l’aube, tout cela ne trompe pas. Et la résurrection je l’aime aussi – et j’en ai l’obscure certitude – quand j’écoute par exemple le Gloria de la Messe en si de Bach. Qu’un homme ait pu sortir cela de lui-même : mais la résurrection est là ! Et ce qu’il a sorti de lui-même nous demeure toujours et demeure pour nous lieu de résurrection. Toutes ces petites expériences quotidiennes de relation, d’amitié, de vérité, me font penser à l’Évangile d’Emmaüs qui est bouleversant. Le ressuscité ne va pas se montrer à Pilate en grand appareil, triomphal. C’est une sorte, non de va-nu-pieds, mais de randonneur, de marcheur qui rencontre des amis. Et puis le soir tombe, on va casser la croûte et là il fulgure et « notre cœur n’était-il pas tout brûlant ? ». Cette humilité d’Emmaüs, ces récits évangéliques de la Résurrection, soit ceux des synoptiques ou ceux de Jean, ne sont évidemment pas des récits journalistiques : ils sont bien autre chose. Ils sont des récits symboliques, comme tous les récits de l’Écriture du reste, comme la Création, comme le reste mais ils sont pour nous des lieux théologiques et des lieux d’expérience.

Chacun de nous est Cléophas,
chacun de nous est Pierre,
chacun de nous est Jean,
chacun de nous est Marie Madeleine.

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Fra Angelico, Noli me tangere, Couvent Saint-Marc, Florence

Je disais que chacun de nous est Marie Madeleine, et je dois dire que dans mon imaginaire, dans ma piété si j’ose dire, cette image de la résurrection me parle beaucoup.
J’y vois, je ne sais pas ce que vous en pensez,
une déclaration d’amour réciproque, que ce soit celle de Marie Madeleine à Jésus et celle de Jésus à Marie Madeleine.
Il y a dans cette scène une fraîcheur, une jovialité, une lumière qui ne trompent pas, c’est vrai. Et les arbres sont très présents, en particulier cet arbre disposé comme un pinceau au milieu des deux personnages, l’ombre noire à gauche et le vêtement de lumière du Ressuscité. Et surtout à ses pieds, par terre, il y a ce jardin à profusion, le soin que Fra Angelico a mis à représenter toutes ces fleurs de jardin et la joie de Marie-Madeleine qui s’entend appelée par son nom, son petit nom « Marie ». 
Pour chacun de nous cette expérience est possible : trouver au fond de nous dans le silence, dans l’obscurité de la foi, ce lieu où nous sommes appelés par notre petit nom.

Le ressuscité est celui qui connaît la clé de notre cœur mieux que nous-même. « Si quelqu’un m’aime nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. » « Quand tu pries, rentre dans ta chambre, ferme ta porte et ton père dans le secret… » Voilà Jésus, l’homme Jésus, le jardinier, la nuit, est celui qui a la clé, qui connaît mon nom et qui m’appelle. Lui seul est capable de m’appeler de mon petit nom secret. Pour donner une image moderne, je dirais qu’il a nos codes secrets et je ne sais pas encore bien qui il est. Il reste obscur pour moi mais obscurément j’écoute. J’écoute ce que dit en moi le Seigneur mon Dieu comme le dit le psaume 84 : « Les brebis connaissent ma voix » et le pasteur appelle chaque brebis par son nom – chapitre 19 de l’évangile de Jean que nous lisons dans la troisième semaine du temps pascal et qui prend alors tout son sens. Encore une fois tout cela est au-delà du dogmatisme compliqué, c’est une affaire d’expérience et d’écoute de l’Écriture, comme cette petite loge dans laquelle Angelico a dessiné cette résurrection. 

Chacun de nous peut être cette petite cellule, cette petite Portioncule
dans laquelle le Christ ressuscité vient marquer sa lumière dans notre obscur.

F. cassingéna-Trévedy

Méditation de Maxim Kantor, peintre et écrivain

Le miracle de la Résurrection commence par le sentiment de la perte. La scène avec les trois Marie qui s’approchent du tombeau vide et ne voient que le vide noir et les couvertures laissées par Jésus est le point culminant de la tragédie. Ce n’est pas la Crucifixion elle-même, pas la Couronne d’épines, pas le retrait de la Croix et pas le deuil de Marie du corps du fils – tout le monde ressent le chagrin le plus amer quand ils viennent au tombeau, et il est vide.

1600 Les 3 Marie
Maxime Kantor, Les Trois Marie, 300 x 330, prédelle, 80 x 333

Le plus désespéré est le sentiment de vide. 
Les voilà, trois femmes. Venues au tombeau, où le corps de Jésus a été déposé, et il n’y a rien là-bas. Tout était en vain. Quand j’ai peint la tombe, j’y ai représenté des bas-reliefs, des représentations sculpturales de rois et de guerriers se rapportant à tous les royaumes et à tous les systèmes sociaux utilisant l’homme comme moyen. Le Dieu libre est un homme, plongé dans un sarcophage qui représente des esclaves. Jésus a vécu en parallèle avec plusieurs puissances puissantes. Ici sur la tombe il y a aussi des analogies avec les bas-reliefs babyloniens, persans, égyptiens, romains. Il y a une rangée d’esclaves, de guerriers, de rois. C’est-à-dire : la métaphore de la tombe est que le corps de Dieu, l’Homme qui s’est rebellé contre le règlement, abaisse précisément les entrailles de la culture qui dissolvent l’individu au sein du système général.
Ce qui est important, c’est que la « culture de l’esclavage » en tant que telle n’existe pas. Toute culture a ses propres conceptions de l’esclavage et de la liberté, et toute culture autoritaire se considère comme un modèle de liberté. Le contraire est important. Jésus s’est rebellé (si le sermon sur la Montagne est perçu comme une rébellion) non pas contre le système politique, mais contre l’algorithme général de la foi. Le rebelle politique était plutôt Var Ravan. Jésus n’était pas un homme politique, et ne protestait pas contre le pouvoir de l’État ; s’il contestait quelque chose, alors seulement un algorithme général pour les croyances religieuses. Mais dans ce cas, Jésus n’était pas un hérétique. Son « blasphème » est très relatif (« Je ne suis pas venu pour abolir la loi de mon père, mais pour l’accomplir »). L’essence de l’action de Jésus est qu’il traduit le symbolique – dans le réel il traduit le conditionnel – dans la vie. Il ne suffit pas de suivre le Canon, dit Jésus, il faut aujourd’hui être. Il est vrai que la foi de Jésus dans l’amour, qui est plus forte que l’idéologie, est offensante – mais à quel point cette foi est-elle durable ? Et cet homme (ce Dieu), dont la faute est qu’il ne suit pas la règle générale, ne soumet pas son comportement à la norme générale, est abaissé dans le sarcophage qui incarne l’État, est abaissé dans les entrailles de la société qui le dissout. Et la terreur est que le corps de Jésus disparaît vraiment là. Les femmes s’approchent de la tombe avec des rois et des esclaves – et le corps de Jésus n’est pas là. 

Nous devons laisser la question du miracle ouverte, car chacun de nous vivra
lui-même la compréhension de ce miracle. On peut dire que nous sommes tous debout tous les jours près d’une tombe vide. Nous savons que nous avons abaissé la foi là-bas. La foi en la liberté, la morale, la démocratie, mais quand on s’approche du sarcophage, c’est vide. Est-il ressuscité ou n’est-il pas ressuscité ?

J’ai peint l’apôtre Jean sur Patmos au moment où il écrivait l’Apocalypse. Comme nous nous en souvenons, il a observé un ange qui lui envoyait des signes et ceux-ci racontaient ce qui allait arriver. Je voulais représenter Jean comme un jeune homme, presque un garçon, qui dessine des images inspirées. 
Quant à Jérôme, cet homme, qui a traduit l’Écriture en latin, a reproduit dans un certain sens le phénomène de la Résurrection, a animé le texte et l’histoire, les a introduits dans notre environnement culturel avec vous. 

3D
Jérôme, prédelle // Le Dernier repas, prédelle // Moïse, prédelle

Ensuite, suivant les interprétations des Pères de l’Église, j’ai représenté Moïse et le buisson ardent, dans lequel Dieu est apparu comme « Le berger Moïse » ; si vous cherchez dans les branches, vous verrez le nom de Jéhovah, écrit en lettres hébraïques. Moïse – c’est ainsi que j’ai voulu dessiner – ne voit pas seulement un buisson ardent ; il semble passer à travers elle, et porte sur ses épaules une brebis, la protégeant des flammes. Dans ce cas, l’image du Berger Moïse et l’image de Jésus, compris comme Le bon Berger, se rejoignent. 

L’image suivante – et encore une fois selon les interprétations acceptées (voir l’Évangile de Matthieu) est l’image de Jonas dans le ventre d’une baleine. Comme vous vous en souvenez, Matthieu indique que Jonas, qui a passé trois jours dans le ventre de la baleine, a déterminé le délai mesuré à Jésus pour la Résurrection. J’ai imaginé une baleine comme un Léviathan, un monstre qui incarne l’État.
Ici, dans cette interprétation du Léviathan, je me réfère non seulement à Thomas Hobbes (qui comprenait le Léviathan et le Taureau comme une opposition de l’État et de l’ochlos), non seulement à l’interprétation de William Morris, mais aussi à sa propre compréhension du Léviathan, en tant qu’élément d’État absorbant l’individu. À cet égard, j’ai dessiné une symbiose de la baleine et de la tour de Babel – c’est-à-dire un symbole généralisé de l’État. Jonas est englouti par Léviathan, comme le judaïsme est englouti par l’Empire de Babylone ; voici le type de Jésus. Vous voyez que même dans le ventre de la baleine (à l’intérieur de l’Empire), Jonas poursuit ses études. J’ai dessiné le schéma juif de l’arrangement de l’âme, l’Arbre soi-disant Sefirot, accepté dans la Kaballa par l’adhésion aux Sefirot, qui sont l’essence de l’émanation de Dieu. Ce fragile morceau de papier avec un dessin avalé par Léviathan s’épanouit par la suite – comme une Croix Florissante. 

Le destin de Jonas et de Moïse avec le buisson ardent sont des symboles évidents et reconnus de la Résurrection, mais j’y ai ajouté deux autres images. 

3 G
Jonas dans le ventre de la baleine, prédelle, // Le Déluge, prédelle // Jean, prédelle

Le Premier est Le Déluge. Je voulais imaginer la Terre comme un œuf sur la main de Dieu, un œuf fragile et fissuré. Et Noé, qui sauve les vivants, dans cet acte, agit à la fois comme Jésus et comme Moïse et comme Jonas. 
Le dernier tableau est une représentation assez inhabituelle et non canonique de La Cène. J’ai imaginé une table vide laissée après le repas. Les apôtres viennent de quitter la table, laissant quelques objets, ils peuvent déterminer qui était assis où. Peut-être que Jésus est déjà arrêté à ce moment-là. Le vide de ce tableau est lié au vide de la tombe, à laquelle s’approchent trois Marie. 
 Il ne me reste plus qu’à ajouter. Parmi les romans du grand écrivain Tolstoï, je distingue le roman Résurrection, qui valorise encore plus La Guerre et la paix. L’intrigue du roman est la suivante : un noble devient un juge et rencontre accidentellement une prostituée accusée de vol au tribunal. Il y découvre une paysanne autrefois séduite par lui. Le péché, assez typique pour le noble, retourne soudainement son âme. Je reviendrai à l’endroit où j’ai commencé mon histoire. Seule la prise de conscience de l’ampleur de la perte rend la foi possible. Le noble, décrit par Tolstoï, abandonne sa propriété et part en Sibérie. Ici, il est inapproprié de raconter un roman, il vaut mieux le lire.

Je dirai seulement que, dans ma compréhension de la Résurrection
– comme le phénomène du Dernier Jugement –
elle est miséricordieusement donnée au croyant plus d’une fois,
donnée par l’effort de sacrifice. Il faut sacrifier sa vie ambitieuse et mouvementée pour trouver une vie authentique. C’est maintenant, en notre temps,
il est important de ne pas juger, mais de trouver la miséricorde qui ressuscite.

Maxime kantor

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