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Ce sermon qui renverse la sagesse

Michel Deheunynck, prêtre retraité du diocèse de Saint-Denis et membre de Saint-Merry Hors-les-Murs, a bien voulu nous permettre de partager sur ce site quelques-unes de ses homélies, dont vous pouvez retrouver l’intégralité publiées sous le titre La périphérie : un boulevard pour l’Évangile aux éditions du Temps Présent (et dont il reste des exemplaires disponibles à la vente chez l’éditeur).
Il commente ici Mt 5, 38-48 (septième dimanche ordinaire, Année A), une partie du « Sermon sur la montagne », sur les conflits.

Voilà ! Nous sommes donc encore avec Jésus sur cette fameuse montagne, en train d’écouter ce fameux sermon qui n’en finit pas de renverser, de bousculer les bonnes habitudes, la bonne sagesse, la bonne morale. On en avait déjà pris un bon coup dimanche dernier et voilà que maintenant, il faudrait tendre l’autre joue quand on s’est déjà fait tabasser la première ! Ben voyons ! Bientôt, pour être son disciple, il va nous demander de marcher sur la tête. Le pire, c’est que pour ne pas le contrarier, on en connaît qui seraient encore capables d’essayer. Ah, saint Paul, il a bien raison quand il nous dit que, si on veut suivre Jésus, faut surtout pas être bien sage.

Avant, c’était la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent. Et certains ont été tentés de s’en satisfaire. Comme ceux qui, aujourd’hui encore, défendraient la peine de mort, ou bien, plus banalement, lorsqu’on se défend de quelque indélicatesse en disant que c’est l’autre qui a commencé. Après tout, c’est de bonne guerre, comme on dit. Ou encore quand on estime que Dieu n’aimerait pas ceux qui manqueraient de foi ou de vertu. Ce serait du donnant-donnant ! Seulement Dieu, lui, ce n’est pas un bon négociant qui monnayerait comme cela son Amour. Et si Jésus n’en veut plus, de cette loi du talion, c’est justement parce que ce n’est pas cela la justice de Dieu. Non, pour Dieu, pas de différence : il fait lever son soleil et tomber la pluie sur les uns comme sur les autres, sur les gens sérieux comme sur les gens pas très sérieux,sur les gens bien comme sur les gens moins bien et même sur les gens pas bien du tout.

On peut penser qu’en écoutant Jésus sur la montagne, comme nous au­jourd’hui, les bons croyants de l’époque ne devaient plus bien reconnaître ce Dieu auquel ils s’étaient habitués et qui avait fait d’eux son peuple préféré, puisqu’ils se croyaient mieux que les autres, quand même ! Mais non, désormais, plus de préférence, plus de prières pot-de-vin pour obtenir des faveurs divines, plus de dessous de table sous l’autel des offrandes. Dieu est maintenant ami de tous. À tel point que, quand Jésus nous demande d’aimer nos ennemis, on pourrait se demander si, avec lui, on en a encore, des ennemis ! Et pourtant, lui, il doit savoir qu’on en a. Sinon, il ne nous demanderait pas de les aimer. Mais encore faut-il les reconnaître et les affronter comme tels pour pouvoir les aimer. Car bien sûr, les conflits, les confrontations, ça fait partie de la vie,  de toute vie. Chacune et chacun de nous en a sûrement déjà eu sa part, sa dose.

Il y a des conflits qui alourdissent l’existence en parasitant, en squattant la vie ensemble ou la vie personnelle. On en a plein la tête, de ces conflits-là, Jésus, et on s’en passerait bien, tu sais. Toi, par exemple, tu as bien affronté le monde religieux et il te l’a fait payer très cher ! Alors quand, en plus, tu nous demandes de vivre ça dans l’amour ! Mais il y a aussi les conflits, disons, plus productifs : les conflits sociaux, les mouvements  de libération et d’émancipation qui ont permis à des peuples, au prix parfois de bien des souffrances, d’en sortir grandis en humanité et en dignité. Ces conflits qui, en libérant les opprimés, libèrent aussi leurs oppresseurs.

Et puis la vie, elle-même, grandit à travers des conflits. Quand le bébé pique sa colère pour bien rappeler qu’il existe par lu-même et pas seulement comme un objet de soins et d’affection. Quand des ados affirment leur personnalité en défiant la tutelle parentale. Tous les parents ont connu cela, depuis les caprices de la petite enfance jusqu’aux premières sorties en boîte, aux premières relations amoureuses. Et tous ces jeunes qui décrochent pour une vie déviante plus marginale. Que de conflits ! Mais que d’amour mis à l’épreuve dans ces conflits ! La vie, elle est souvent au prix de ces conflits et de cet amour-là. Et puis, il y a encore, certains le savent bien, tous ces conflits, toutes ces contradictions, tous ces tiraillements à l’intérieur de nous-mêmes. Les psychologues nous expliquent que ça aussi, ça fait partie de la vie, à condi­tion bien sûr de ne pas s’y enfermer.

Les vrais ennemis que Jésus nous demande d’aimer, ce n’est donc pas seulement tel ou tel avec qui on s’étripe, mais tout ce qui génère des oppositions et crée des obstacles en nous et entre nous. Alors l’amour que tu nous proposes, Jésus, ce n’est pas une petite douceur pour sentimentaux un peu naïfs. C’est un chemin avec toi vers nos ennemis. Avec toi, nous les affronterons et, comme toi, nous les aimerons !

Michel Deheunynck

Médecin retraité de la santé publique, prêtre et ancien aumônier en hôpital psychiatrique ; animé par l’humanisme de l’Evangile, il vit en Seine-Saint-Denis, où il s’est profondément attaché à ces populations en grandes difficultés sociales.

  1. Jacques Clavier says:

    Les six dons du Saint-Esprit : Is 11, 2 :
    « 02 Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur »

    La tradition de l’Église en énumère sept : la sagesse, l’intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte de Dieu » (n° 1831 Catéchisme de l’Église Catholique)

    1 Esprit de sagesse
    2 Esprit de discernement
    3 Esprit de conseil
    4 Esprit de force
    5 Esprit de connaissance
    6 Esprit de crainte du Seigneur

    Les neuf fruits de l’Esprit : Ga 5, 22-23 :
    « 22 – Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité,
    23 – douceur et maîtrise de soi. En ces domaines, la Loi n’intervient pas. »

    La tradition de l’Église en énumère douze : « charité, joie, paix, patience, longanimité, bonté, bénignité, mansuétude, fidélité, modestie, continence, chasteté » (n° 1832 Catéchisme de l’Église Catholique).

    1 amour (charité, justice)
    2 joie
    3 paix (repos)
    4 patience
    5 bonté (longanimité (= patience à supporter ses propres maux, indulgence qui porte à pardonner ce qu’on pourrait punir))
    6 bienveillance (bénignité (= bienveillance pleine de douceur), mansuétude)
    7 fidélité (foi)
    8 douceur (modestie, humilité)
    9 maîtrise de soi (continence, chasteté)

  2. Blandine Vacherot says:

    Au lieu de “tendre la joue gauche”, j’ai entendu il y a des années une autre traduction : “tendre un autre visage”. Personnellement cela me semble beaucoup plus riche et enrichissant… répondre comme on ne s’y attend pas, casser l’engrenage de la violence, surprendre pour faire réfléchir…

  3. vacherot blandine says:

    Plutôt que “tendre la joue gauche”, il y a quelques années j’ai eu connaissance d’une autre traduction : “tend un autre visage”. Celle-ci me parle beaucoup plus : comment faire bouger l’autre et soi-même, inventer autre chose pour rompre la violence, faire réfléchir…

  4. Jacques Clavier says:

    22 À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant :
    « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! »

    23 Jésus lui répliqua :
    « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ? Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »
    (Jn 18, 22-23)

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