Après six mois de sécheresse, le clergé de Perpignan a sorti les grand moyens, célestes, évidemment : une procession avec la statue et les reliques de saint Gaudérique, traditionnellement invoqué pour la pluie.
Ce retour à des pratiques dont on pensait qu’elles avaient vécu nous replonge dans cette « civilisation processionnaire » qui resta l’un des marqueurs historiques du catholicisme.
La chronique d’Alain Cabantous

Saint Gaudérique, à Saint-Martin
du Canigou

Après la mise en scène orchestrée par le ci-devant archevêque de Paris, autour de la prétendue relique de la sainte épine en avril 2020, c’est un nouvel épisode de dévotions « à l’ancienne » qui nous vient de la Catalogne française. À l’initiative d’un conseiller municipal RN de Perpignan, vigneron de son état, une procession a été organisée le samedi 18 mars pour que la pluie tombe enfin après pratiquement six mois de sécheresse. Comme dans la plupart des cas, existe un saint local spécialement mobilisé pour l’entreprise : saint Gaudérique. Cet antique patron des paysans, qui a donné son nom à un quartier de la ville, fut apparemment sollicité plus de huit cents fois entre la fin du XIIe siècle et… 1781 face à toutes sortes de difficultés agraires. Au nom d’une belle continuité, il y a donc quelques jours, sa statue et un buste reliquaire furent transportés de la cathédrale de Perpignan jusqu’à la Têt, cette rivière qui traverse la ville. On ne sait pas clairement quel fut le degré d’investissement du clergé paroissial dont la moitié appartient à la fraternité sacerdotale Saint-Pierre.

Ce retour même anecdotique à des pratiques, dont on pensait qu’elles avaient vécu ne serait-ce qu’en fonction de leurs bien piètres résultats, nous replonge dans cette « civilisation processionnaire » (Jean Delumeau) qui resta l’un des marqueurs historiques du catholicisme. Même si les villes y prenaient leur part, cette manifestation constitua un rite essentiel notamment dans le monde rural largement majoritaire jusqu’au milieu du XIXe siècle. Entre les processions habituelles, lors des grandes fêtes (Rogations, Ascension, Trinité) ou avant la messe dominicale, et celles qui répondaient à une situation inédite et tragique, il n’était pas rare, aux XVIe et XVIIe siècles de compter annuellement, dans chaque village, une centaine de ces mouvements.

Jules Breton, La Bénédiction Des Blés En Artois, En 1857, Huile Sur Toile
Jules Breton, La bénédiction des blés en Artois, en 1857, huile sur toile, Musée d’Orsay, Paris

Les processions-panique furent longtemps spontanées et mal ou pas contrôlées par le clergé. Au XIVe siècle, suite à la Peste noire de 1348, les cortèges de flagellants allaient de localité en localité « offrant le spectacle de leurs macérations et de leurs cantiques lugubres, se disant directement mandatés par le ciel » (Francis Rapp). L’Église s’efforça peu à peu de répondre à ce besoin en tentant d’octroyer à ces manifestations une dimension théologique et surtout en les disciplinant. À ce sujet, le rituel romain de Paul V (1620) en distingua trois types : « les unes qui se font pour exciter les fidèles à la piété, les autres pour remercier Dieu de quelque bienfait, les autres pour implorer le secours de Dieu ». Mais toutes devaient se dérouler avec décence, hiérarchiquement donc sans troubles de préséance pourtant très fréquents, par rang de deux ou trois, sexes séparés (souvent les enfants d’abord, puis le clergé, les hommes, enfin les femmes) et, si possible, avec des vêtements uniformes. Voyez à ce propos le témoignage d’un officier de Neufchâtel-en Bray, rapportant le grand mouvement suscité par la très longue sécheresse de 1583 :
« Durant les mois de septembre et d’octobre de ladite année, le peuple des frontières d’Allemagne qui avait reconnu deux montagnes brûler du feu du ciel, s’assembla par troupe. Jusques à trois et quatre mille personnes, tant d’hommes, femmes et enfants, étant vêtus de linge blanc et couverts entièrement, s’étaient acheminés un cierge à la main en divers endroits de processions, chantant hymnes et louanges de Dieu, et vinrent jusqu’aux Ardennes (…) À l’imitation desquels dans le pays qui se sentait infiniment affligé et menacé de l’ire de Dieu, chacun se mit en devoir d’en faire autant de sorte que les habitants de la Champagne, de la Picardie, de la Haute-Normandie passèrent l’été de la dite année en procession, vêtus comme je l’ai dit ».

Prcession De Flagellants Dans La Ville De Tournai, Chroniques De Aegidius Li Muisis, 1349
Procession de flagellants dans la ville de Tournai, d’après Chronica Aegidii Li Muisius, 1349

Suite à ces rites collectifs de supplication, les effets d’un tel déploiement étaient guettés et devenaient possiblement l’occasion d’une nouvelle cérémonie si le ciel avait répondu aux demandes. Après les pluies torrentielles qui s’étaient déversées sur Paris et sa région lors du printemps 1725, les habitants firent une immense procession le 5 juillet en sortant, comme lors des grandes épreuves, la châsse de sainte Geneviève. Les jours suivants, selon un témoin, « les malheurs dont nous étions menacés s’éloignent. Le bras du Tout-Puissant paraît avoir suspendu les nuées. Des astronomes habiles en sont étonnés et ont jugé que la cessation des pluies, vu la disposition du ciel, avait quelque chose d’extraordinaire. Le soleil qui semblait avoir perdu sa chaleur naturelle, l’a reprise et la communique peu à peu d’une manière à ne rien endommager ».

Nul doute qu’au cours des jours prochains, les Perpignanais scruteront aussi l’état du ciel d’autant que les prévisions de Météo-France sont assez encourageantes côté pluviométrie. Avec ou sans l’intervention de saint Gaudérique, on leur souhaite bien des averses. Mais après ? Après l’arrivée ponctuelle des ondées, après l’éloignement provisoire des épidémies ou des famines, hors de toute intervention céleste et de toute revendication climatique, que subsiste-t-il pour le catholicisme d’aujourd’hui ? Sinon « Jésus seul avec eux » (Matthieu 17,8) donc seul avec nous.

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Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

  1. Anne René-Bazin says:

    Dans les années 50 au Canada, un prêtre rétorquait à ceux qui voulaient des processions : “L’irrigation a remplacé les rogations”.

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