Un regard tout en délicatesse de photographe dans un foyer de vie pour personnes handicapées mentales. Pas de voyeurisme, pas de complaisance, mais un partage de vie nourri de tendresse, d’humour, sans cacher les gestes de colère. La chronique de Jean Deuzèmes.
Disons-le franchement, la Galerie de photographie FAIT & CAUSE instruit en humanité et réveille la fraternité !
Ce lieu d’exposition créé en 1997 par l’association Pour Que l’Esprit Vive a pour mission de favoriser la prise de conscience des problèmes sociaux et environnementaux à travers le monde, de dénoncer les injustices, les inégalités et la misère. Fortuitement, elle se trouve à mi-parcours entre Saint-Eustache et Saint-Merry, connus pour leur implication sociale, mais aussi entre la Bourse de Commerce et le Centre Gorges Pompidou qui utilisent un médium très contemporain : la photographie.
Vincent, 22 ans, est autiste. Il déambule au sein de l’institution.
Son lieu de prédilection est le grand escalier.
Séance d’équithérapie. Joël adore ce cheval
qu’il caresse et câline pendant des heures.
Jean-Louis Courtinat est un photographe qui porte à sa manière les idéaux de la photo humaniste, représentée notamment par Robert Doisneau dont il a été assistant dans les années 80; il est un photographe de la responsabilité à l’égard des autres. « Au bout de mes objectifs, je vois la misère, la souffrance, les beaux, les méchants, la haine, la générosité… Mais, je crois souvent aller au-delà de ma vision, au cœur de la vie des autres. C’est peut-être ce que je fais de plus important » (écrit-il sur son site ). Ce combattant acquis à la cause des plus fragiles accomplit ses commandes en s’insérant dans un milieu, aujourd’hui un havre lié à la psychiatrie, après les hébergements de personnes âgées en solitude ou en soins palliatifs.
La partie de cartes : Pauline, éducatrice, joue avec Monique,
sous les regards inquiets de Stéphanie et Joël.
C’est ainsi qu’il s’est rendu plusieurs fois en Belgique, dans le foyer Chrysalis accueillant onze personnes handicapées mentales qui, comme des milliers d’autres, n’ont pas trouvé de refuge en France, soit par manque de structures d’accueil, soit à cause de leurs troubles du comportement.
Stéphanie et Lily sont psychotiques.
Lily veille sur Stéphanie. Elle la raccompagne dans sa chambre.
« Ce lieu, au sein duquel sont apaisées bien des détresses, est empreint d’une grande humanité. Il y règne un véritable esprit de famille, dans lequel je me sens bien. »
Le titre du texte présentant sa démarche est significatif de son extrême respect : « Quelques emprunts d’âmes » comme s’il les saisissait et les rendait après « avoir pris » (comme on le dit maladroitement) des visages ou des corps en photo.
Les parents de Vincent viennent de le quitter. Très perturbé par leur départ,
il se réfugie dans sa chambre et serre contre lui son petit piano.
« Cette famille, je vous la donne à voir, à regarder, à considérer, à ressentir. Je vous la présente comme dans une pièce de théâtre. En voici les acteurs : Stéphanie, Joël, Mario, Chantal, Patrick, Sandra, Monique, Willy, Lily, Jordan et Vincent. Ils vont évoluer devant vous, au gré de leurs humeurs et de leurs angoisses.
Chacun d’eux vit dans un monde dont personne n’a les clefs, un univers incompréhensible, imprévisible et chaotique. Ils déambulent dans leur labyrinthe intime. Parfois, ils sont sereins et apaisés. Moment magique, leur visage s’irradie, ils semblent heureux, l’espace d’un instant. »
Les résidents prennent leur repas ensemble,
hormis Sandra et Stéphanie incapables d’intégrer le groupe.
Le principe est simple : une photo noir et blanc, splendidement cadrée, et une phrase courte, voire un simple nom, sans date, sans dimension, au-delà du temps, comme ce que l’on pourrait dire d’une âme.
La posture est claire : « Pour un photographe, vivre dans ce lieu, c’est comme entrer en religion. Cela demande une attention et une disponibilité permanentes. Ici on ne triche pas. Chaque photographie se mérite. Point de mitraillage intempestif, mais douceur et délicatesse. »
Isabelle et Amélie, éducatrices, tentent de coiffer Sandra.
Monique, 55 ans, se prépare pour la messe,
qu’elle ne rate sous aucun prétexte.
Joël, 69 ans, est le plus âgé des résidents.
Il ne maîtrise que quelques phrases qu’il répète en permanence.
Isabelle, éducatrice, s’efforce de communiquer avec lui.
Stéphanie et Sandra n’ont aucun usage de la parole.
Le soir, elles se rapprochent timidement l’une de l’autre.
Un splendide petit catalogue est en vente à 22€
Site de l’artiste
Livres de l’artiste
Galerie FAIT & CAUSE
58 rue Quincampoix
75004 Paris
www.sophot.org
Horaires : Du mercredi au samedi de 13H30 à 18H30
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Merci Michel pour ces photos qui m’ont saisie et me prouvent que j’oublie trop tout un pan de la Vie…
Avoir approché épisodiquement ce milieu psychiatrique dans ma vie professionnelle me fait écrire que le coeur du coeur de l’humanité mais aussi parfois de l’inhumanité se trouve là. Le moindre geste de relation avec l’un ou l’autre, soignant/patient, patient/patient est une victoire de la vie sur l’état mortifère qui risque de s’installer dans les lieux de soins. Rester à l’affut du moindre signe d’humanité est la meilleure attitude d’un soignant pour glisser un sourire… avec la prudence extrême de retenue.
Mais ceci est basique entre nous, les “normaux”, n’est-il pas?
Merci Michel pour ton reportage à propos de cette exposition.