Ce quatrième épisode sur Paul de Tarse, à partir du livre de Daniel Marguerat, nous fait redécouvrir la Lettre aux Romains et l’héritage théologique de Paul : il n’y a aucune justification de l’homme par la Loi mais la connaissance de la justice de Dieu se fait par la foi ; tout se lit et se fait, pour le chrétien, à la lumière de la Résurrection du Christ ; et avec la certitude que ” rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu”. Par Guy Aurenche.
Quand un théologien varie
« Attention, épître à haute intensité … la lecture s’annonce ardue… En alpinisme, on dirait que l’on passe d’un 3000 à un 4000 mètres ».
La lettre aux Romains fut écrite par Paul, sans doute vers 57–58 ; probablement depuis Corinthe pour proposer un résumé de sa théologie ; peut-être aussi atténuer les excès de son message aux Galates. Paul après avoir pénétré l’est du bassin méditerranéen, désirait mettre le cap sur l’ouest, jusqu’en Espagne. Pour cela, la communauté juive de Rome pourrait l’aider. Elle avait connu bien des ennuis avec les autorités locales. L’apôtre ne voulait pas la culpabiliser davantage. Il se devait d’atténuer ses propos afin de la conforter ; quitte à donner parfois l’impression de se contredire. Ainsi, après avoir déclaré dans Gal 1,13 que « le Christ a payé pour nous libérer de la malédiction de la loi », il affirmait dans (Rm 7) que la loi « est sainte et le commandement saint, juste et bon ». Il avait écrit : « Si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien » ; puis il déclara aux Romains que « la circoncision est grande à tous égards » (Rm 1 3,1-2).
Rétraction ou simple rééquilibrage ? « Paul reprend, recadre, resitue sa position face au judaïsme ». Il récapitule « son exposé synthétique de l’identité chrétienne sur lequel l’apôtre ne reviendra pas de son vivant ». (Marguerat)
Vous avez dit : péché originel ?
Sans doute revenait-il à l’essentiel en abandonnant les excès d’une polémique attisée par un certain dépit amoureux envers les Galates. Il souhaitait aussi que son message puisse être pleinement reçu par la communauté juive romaine qu’il ne connaissait pas. Cela valait bien quelques révisions fondamentales. Enfin, on peut imaginer que l’auteur s’est interrogé sur lui-même, voyant l’âge passer – plus ou moins 50 ans–, et relisant son cheminement. Il est si important de ne pas oublier que les théologiens d’hier et d’aujourd’hui sont d’abord des humains dont les déclarations, toutes inspirées qu’elles puissent être, ne sont ni sacrées ni immuables
Pour Daniel Marguerat, attribuer à Paul la paternité de la doctrine du péché originel est une erreur. En posant, en priorité, la culpabilité de tout être humain, cette doctrine occulte le message paulinien original et fondamental qui est celui, non de la faute, mais du don de la grâce. Tout croyant a d’abord son origine dans le baptême et se trouve définitivement séparé des pouvoirs du péché ; il entre dans une vie nouvelle.
Ceci dit Paul considérait le péché, non comme une série de fautes contre la loi, mais comme un « pouvoir qui s’impose à l’homme en le poussant à fonder sa vie sur lui-même, c’est-à-dire à vivre sans Dieu ». Et notre prédicateur d’affirmer : « Voilà pourquoi personne ne sera justifié devant Dieu par les œuvres de la Loi ; la Loi, en effet, ne donne que la connaissance du péché (Rm 3,20) ». Tous, juifs et païens, l’apôtre lui-même, font l’expérience de la force de ce pouvoir négatif : « Je ne comprends pas mes propres actes : je ne fais pas ce que je voudrais, et je fais ce que je déteste « (Rm 7,15 et s.).
Paul évoqua la question du péché dans cette épître, et il convient de lire ses explications à la lumière du message central qu’il a développé dans plusieurs de ses écrits. « À cette humanité enfermée dans le péché et la mort depuis Adam, Paul oppose un nouveau régime : la grâce manifestée dans le Christ… Avec lui, s’ouvre l’ère du don : la règle a fondamentalement changé. Elle a instauré la paix entre Dieu et le monde … Non, l’apôtre de Tarse ne veut pas dire que tout humain naît pécheur, mais que tout humain encourt le malheur généré par ses fautes à lui » (Marguerat). Ce qui me parait plutôt rassurant et responsabilisant, tandis que se multiplient les discours contemporains sur la faute, le péché et la pénitence. Une démarche bien connue par les autorités qui assurent leur pouvoir en culpabilisant au maximum.
Soumission à l’autorité politique
L’aventure romaine, que nous propose Paul, réserve bien des surprises. Mais n’allons pas trop vite. Dans l’épître aux Romains, il abordait de nombreux défis que rencontrent les « héritiers de Dieu » que nous sommes. La foi se vit au cœur d’un monde qui souffre, même si la délivrance est à l’horizon. « Nous voyons bien que toute la création gémit et souffre comme pour un enfantement » (Rm 8,22). Et le Tarsiote d’affirmer, à l’intention de la communauté romaine comme à la nôtre : « J’en ai l’assurance : ni la mort, ni la vie, ni le présent, ni l’avenir, ni même les puissances, […] rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, manifesté par Jésus-Christ notre Seigneur » (Rm 8,31 et s.).
Sans doute est-ce à travers cette certitude de pouvoir vivre du plein amour de Dieu que nous pouvons lire le passage équivoque qui concerne la relation de tous à l’autorité politique. « Que tout individu soit soumis aux autorités établies, car il n’y a pas d’autres autorités qui ne soient de Dieu et celles qui existent sont instituées par Dieu (Rm 13,1) ».
Faut-il faire de l’apôtre des nations un partisan de l’ordre établi, un conservateur ? Le contexte politique impérial romain a-t-il pesé sur cette invitation à la soumission ? N’oublions pas qu’en 49, l’empereur Claude avait expulsé la communauté juive en raison de graves différends au sein de la synagogue.
Fallait-il lancer un message rassurant à destination des autorités publiques ? N’oublions pas que Paul est également un bon stratège, conscient des exigences du contexte politique, pour tenter d’asseoir son message original. Plus profondément, cette recommandation s’inscrit dans le message de paix que l’apôtre veut transmettre à la communauté judéo-chrétienne comme à l’ensemble de la société. L’auteur de la finale de cette lettre aux Romains reprend l’esprit de son splendide hymne à l’amour que nous avons découvert dans Corinthiens 13. « Ne rendez à personne le mal pour le mal ; ayez à cœur de faire le bien devant tous les hommes » (Rm 12, 14 et s.).
L’apôtre faisait précéder son invitation à la soumission d’un programme beaucoup plus profond qu’un simple calcul politique : « Ne vous réglez pas sur le monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence pour discerner quelle est la volonté de Dieu » (Rm 12,2). Peut-on y lire une allusion indirecte aux propos de Jésus concernant ce qui est dû à César et ce qui est dû à Dieu ?
Avec ce rappel au discernement, j’aime bien la simplicité franche de notre écrivain : « Soyez actifs et non paresseux […] Gardez la joie de l’espérance […] J’ai pris la liberté de vous parler franchement […] Je suis sûr que vous êtes pleins de bonnes dispositions » (Rm 12, 9 et s.). Des encouragements bons à recevoir. Sans oublier une mention qui pourrait inspirer la réforme de l’Église : « Je vous recommande notre sœur Phœbé, diaconesse de l’Église… ». Tiens, une femme en responsabilité dans l’Église mériterait une telle attention ?
« Je vous chéris »
Paul avait rencontré les Philippiens en 49/50, soit 10 ans avant cette lettre, dans la ville de Philippes, en Macédoine. Le message commence par une expression affectueuse, rare sous la plume d’un homme qui s’épanche peu. Il se trouvait à nouveau en difficulté. « C’est un homme vulnérable, amer, sans avenir, que l’on devine derrière la lettre aux Philippiens ». Il s’activait pour envoyer la « collecte » à l’Église de Jérusalem, avec laquelle il était toujours en délicatesse. Mais la rencontre tourna au fiasco, du fait des critiques des juifs « nationalistes » qui prirent le dessus et interpelèrent l’autorité romaine. Arrêté, Paul fit appel à César. Dans une certaine détresse, peut-être depuis sa « prison » de Rome, il revenait sur le moment de son « renversement » comme pour tenter de justifier son action passée, en montrant qu’il « a été saisi par le Christ » (Ph 3,12). Il a expérimenté « la puissance de la résurrection ». Alors jaillit son hymne, comme si le feu de l’amour reprenait le dessus : « Puis-je faire appel à l’amour ?… Entre vous, comportez-vous comme ce fut aussi dans le Christ Jésus (qui) s’est abaissé lui-même, devenu obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix… C’est pourquoi Dieu l’a élevé […] afin que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2, 1-11).
Si Paul invitait à l’imiter, lui qui a été saisi par la force de vie, il « ne cède pas à un goût immodéré du pouvoir… Le maître n’est pas Paul, mais le Christ… Paul en appelle à l’identité croyante, à l’identité baptismale, et laisse les choix comportementaux à l’initiative de ses destinataires ». (Marguerat).
Après le message de la tendresse, bientôt le récit de l’aventure étonnante de l’esclave Onésime !
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