S

Sacrement n’est pas ligotage

Dans Le Monde du vendredi 15 septembre dernier, Jean-Pierre Stroobants, correspondant du journal à Bruxelles, évoque l’impact des violences sexuelles dans l’Église catholique belge. Il cite les propos de l’ancien évêque de Malines-Bruxelles, André-Joseph Léonard, lequel s’est opposé à la réduction à l’état laïc des prêtres abuseurs, pour deux raisons. D’une part, il estimait que ces-derniers « n’en seraient que plus dangereux, s’ils échappaient à l’autorité de leur évêque ». Quand on voit comment les évêques ont protégé leurs ouailles de ces prédateurs, y compris quand ils étaient informés de leurs crimes, et comment ils se sont bien gardés de recourir à la police et à la justice de leur pays, je trouve qu’il faut être assez gonflé pour avancer ce type d’argument : bêtise ordinaire ou cynisme absolu ? Deuxième raison invoquée, en se référant cette fois à la doctrine vaticane mise en forme explicitement en 2001 : on ne peut dénoncer un prêtre à l’administration civile, car la relation entre celui-ci et son évêque serait « sacramentelle et non professionnelle, ce qui entraînerait des liens très spéciaux de paternité spirituelle » (sic). Et là, en lisant cette onctueuse langue de buis, je bondis sur ma chaise ! D’abord parce qu’heureusement, il arrive souvent que des proches de criminels compulsifs prennent leurs responsabilités et les signalent à la police et la justice, pour protéger la société et ses membres les plus vulnérables. Mais surtout parce que je ne conçois pas qu’un sacrement devienne une contrainte empêchant de faire le bien d’autrui et ligotant qui que ce soit dans la complicité de crimes.

En dehors du baptême et de l’eucharistie, présents dans l’Évangile, les cinq autres sacrements sont des créations progressives de l’Église, pour poser des signes de la présence de Dieu parmi les hommes. Ils ne sont pas sans effet sur notre spiritualité, leur puissance symbolique est forte, mais ils n’ont rien de magique, ne changent pas la nature physique des choses, et ne sont en aucun cas des prisons nous empêchant de faire usage de notre jugement éclairé. Je suis consternée que de tels discours puissent émaner du cœur du Vatican, et soient repris, sans problème apparent, par des évêques, qui les livrent bruts de décoffrage aux médias. Comment une telle inconscience est-elle possible ? Et une relation aussi immature au cadre historique et théologique du catholicisme, jamais réinterrogé, doublée d’un manque d’empathie flagrant pour les fidèles dont ils ont la charge pastorale et spirituelle, à mille lieues de la charité évangélique ? Au-delà du contre-témoignage, c’est une trahison de l’Évangile en direct, par ceux qui sont censés nous l’enseigner. S’abriter derrière un argumentaire théologique aussi pernicieux contribuera juste à écœurer les derniers membres de l’Église, qui ne pourront plus faire confiance à leurs pasteurs et déserteront le navire.

À un évêque qui tient de tels propos, il faudrait clairement affirmer que tous ces dénommés « pères » n’en sont pas vraiment ; et que nous sommes tous des frères en Christ, ce qui n’est déjà pas si mal. Que le sacrement de l’Ordre n’est en rien une garantie d’immunité, comme on dit dans les jeux télévisés ; qu’un ami évêque doit pouvoir aider un ami prêtre à prendre conscience que ses crimes, quelle que soit sa relation spirituelle à Dieu, sont inévitablement à assumer devant le reste de l’humanité et les institutions qui sont chargées de les juger ; et que bien sûr, on lui rendra visite en prison, on essaiera de ne pas confondre l’homme et sa faute, on soutiendra son chemin thérapeutique. Que les victimes méritent, de la part de l’Église en général et de sa hiérarchie en particulier, au moins autant d’attention, d’affection, de souci de protection, d’aide à la reconstruction que leurs criminels. Que les sacrements doivent rester une source de liberté pour les hommes, grâce à la foi qui les porte et les fait vivre, mais ne peuvent en aucun cas être assimilés à des camisoles de force dans lesquelles ils seraient désormais ligotés et impuissants. Et naturellement, quand j’évoque les hommes, j’embrasse également toutes les femmes.

blandine.ayoub
Blandine Ayoub

Née au moment du Concile Vatican II, elle est impliquée depuis près de 40 ans dans la communauté de Saint-Merry, tout en cultivant un tropisme bénédictin, grâce à son père moine de la Pierre-Qui-Vire. Par son mariage avec un Alepin, elle a également adopté la Syrie comme deuxième patrie. Elle est responsable d’un centre de ressources documentaires dans un centre de formation professionnelle de la filière éducative et sociale.

  1. Alain Cabantous
    Alain Cabantous says:

    Merci une fois encore, Blandine, pour tes saintes indignations et tes saines colères. Mais faut-il attendre autre chose de Léonard autre chose que des tripatouillages théologiques ? Nommé évêque de Namur par JP II puis archevêque de Bruxelles Malines par Benoit XVI (il ajoutera d’ailleurs Joseph à ses autres prénoms…en reconnaissance ?), François aura la prudence de ne pas l’élever au cardinalat et d’accepter immédiatement sa démission pour raison d’âge. Conférencier habitué des sessions d’été de Paray-le-Monial, fricotant ouvertement avec les milieux traditionnalistes, on ne saurait être étonné des arguments totalement pro domo. Ces “justifications” autocentrées ne sont que des gesticulations minables mais mortifères pour une institution qui n’a pas besoin de ça. Quand le sacrement (de l’ordre) permet tous les magouillages, qui pourrait encore y adhérer ?

Laisser un commentaire (il apparaitra ici après modération)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.