Saint-Eustache Noël 2023, une œuvre de merveille pour interpréter le merveilleux de la nativité, pour s’émerveiller de l’alliance du tissu et de la lumière. La chronique de Jean Deuzèmes
Merveilleux
« Qui suscite l’étonnement et l’admiration en raison de sa beauté, de sa grandeur, de sa perfection, de ses qualités exceptionnelles. »(Trésor de la Langue Française)
L’œuvre exposée à Saint-Eustache pour Noël 2023 est l’illustration visuelle de cette définition, par sa forme, son contenu et sa lumière.
Beauté : une superposition de toiles bleu nuit, aux multiples plis, et une étoile centrale, l’étoile du Berger. Des leds finement insérées qui s’illuminent avec des intensités variables en fonction du niveau sonore de l’église, notamment de la musique.
Grandeur : une œuvre de la taille de la porte monumentale, 9,25×5,25 m ! suspendue miraculeusement sur une simple barre. Une œuvre à l’échelle de l’église.
Perfection : douze toiles disposées en arc, douze représentations des constellations du zodiaque, d’où émerge l’étoile. Et devant, trois personnages, des mannequins de tissu brillant noir, Marie, Joseph et l’Enfant, habillés de rubans brodés de leds, des habits aussi créatifs et élégants que pour des créations de haute couture. Une invisibilité de la technique électronique, chaque led étant programmée différemment, partout dans ce splendide tissu.
Qualités exceptionnelles : l’œuvre allie tous les contrastes, le bleu profond du tissu et la clarté des leds ; l’immobilisme des personnages, donc leur permanence, et la mobilité, la danse des éclats de leds ; l’immensité du fond et la dimension humaine des personnages ; la dimension féérique contemporaine et l’imaginaire des récits de crèche qui viennent de l’Évangéliste Luc et que tout le monde connaît. Le plus exceptionnel est que cette scène contemporaine se fait immédiatement reconnaître et admirée.
Une tradition de Saint-Eustache, le heurt des sensibilités
Depuis des années, l’église fait appel à des créateurs, souvent après concours auprès des étudiants des Beaux-Arts de Paris, en bénéficiant de Rubis Mécénat. En 2023, l’un des membres du collège visuel a proposé un autre partenariat, avec l’École des Arts nécessitant aussi la recherche de donateurs. La réussite est brillante. On avait vu précédemment des créations de Théophile Stern 2017 « Afin que tous soit un » , Anouk Rabo et Max Coulon (2017), « Une crèche », Max Coulon et Théophile Stern (2018), « Crib », Enzo Certa et Cassandre Rain (2019), « Un Come Back Annuel » , Prospère Legault (2020) « Bienvenue dans la vi(II)e) » , Jacques Mérienne (2021) Crèche. Mais dans les deux dernières années, l’interprétation contemporaine de la crèche avait mis l’accent sur l’insertion dans le milieu urbain et suscité l’ire des contempteurs paroissiaux attachée à la tradition, à une scène codée.
D’où cette année la présence des deux crèches l’une parlant de lumière et de nativité, l’autre évoquant une scène rurale, l’aujourd’hui / la tradition, et placée symboliquement à l’opposé, derrière le chœur, dans la chapelle de la Vierge. D’où aussi un nom spécifique (« Astre » et non crèche) donné à l’œuvre de Clara Daguin. Et pourtant n’y a-t-il pas une certaine merveille dans la cohabitation de deux sensibilités ? Le bois ancien, le stable et le figuratif / le tissu, la créativité et la lumière.
Avec Astre, Saint-Eustache se rattache en outre au quartier, les Halles étaient un berceau de la mode et du design (Agnès B se trouve accolé à l‘église, la rue Turbigo était un lieu de grands magasins au début du XXe).
Détails du Merveilleux, sillage esthétique
Matériellement, l’œuvre de Clara Daguin est une voûte plate de tissu bleu nuit, d’où surgit la lumière de leds. C’est le condensé visuel d’expériences humaines et spirituelles évoquées dans les textes bibliques :
Luc 2, 8-16, celle des bergers dans la nuit se rendant à la crèche,
Matthieu, 2-9-12, celle des mages suivant l’étoile.
Mais c’est aussi un écho du psalmiste : « Même la ténèbre pour toi n’est pas ténèbre, et la nuit comme le jour est lumière ! » Ps 138-12
En réalisant des dessins de constellation où cheminent les fils des leds, dans les douze parties du tissu qui constituent la voûte étoilée de l’œuvre, Clara Daguin s’inscrit à la fois dans le temps cosmique et le temps annuel. Son œuvre fait écho à la pensée médiévale qui, aux frontons des églises, liait l’espace et le temps, au travers des travaux des champs et de leur symbolique.
Il est ainsi surprenant de retrouver dans Astre la conception du portail du narthex de Sainte-Marie-Madeleine à Vézelay où, au centre, se trouve le Christ (/étoile du berger) et tout autour les signes du zodiaque (/constellations). Qui plus est, des mains du Christ en Ascension surgissent des rayons (sur les apôtres) (lire ainsi que J2M) comme dans l’organisation des éclats lumineux d’Astre.
Quand on regarde de près le visage de l’enfant et son vêtement, on est surpris par l’absence de traits distinctifs. Il s’agit d’un tissu contemporain que l’artiste utilise, comme modiste, pour ses Aura Bomber Jacket, avec des dessins que l’on retrouve sur ses personnages. Sinistre ? Non, fréquent dans l’art roman catalan où les enfants Jésus sont entourés de noir, ressemblent à des prématurés, voire à des morts. L’enfant Jésus est alors un symbole, relève de l’intemporel, l’artiste de l’époque ne recherchant pas la beauté mais l’allégorie. Qui plus est, il est emmailloté par des bandes qui sont identiques aux rubans utilisés par Clara Dagun.
Astre surprend par sa créativité dans le tissu. En effet, Clara Daguin a passé son enfance en Californie où la culture Tech est très largement diffusée, puis s’est formée à l’École des Arts Décoratifs, dans l’atelier design de la mode. Elle détient un double parcours de formation avec un Bachelor of Fine Arts in Graphic Design du CCA en Californie et un Master de Design Vêtement de l’ENSAD et se définit comme artiste et ingénieure. (Lire entretien sur son parcours), jusqu’à réaliser une robe pour l’Eurovision. Clara Daguin est un nouvel exemple de tout un courant artistique formé à l’ENSAD, alimenté par la recherche et trouvant ses débouchés aussi dans la mode telle Jeanne Vicerial, travaillant sur la maille, qui est désormais à la galerie Templon avec des créations fascinantes (lire V&D).
Cette approche esthétique est dans le sillage du retour du merveilleux dans l’art, à partir des années 2000, pour se dégager de l’emprise intellectuelle et conceptuelle, réhabilitant les contes ou les objets du quotidien. Désormais, le merveilleux utilise toutes les possibilités du numérique et de la technologie pour accompagner des engagements ou revisiter, « sérieusement », les textes et les œuvres visuelles. L’effet Whaooh rend hommage au spirituel.
Le merveilleux de la crèche, une permanence
Le merveilleux, signe de la crèche, a été affirmé par le Pape François, en 2019 :
« Pourquoi la crèche suscite-t-elle tant d’émerveillement et nous émeut-elle ? Tout d’abord parce qu’elle manifeste la tendresse de Dieu. Lui, le Créateur de l’univers, s’abaisse à notre petitesse. Le don de la vie, déjà mystérieux à chaque fois pour nous, fascine encore plus quand nous voyons que Celui qui est né de Marie est la source et le soutien de toute vie. » et il développe l’histoire de la crèche liée à la vie de saint François d’Assise.
Jean Deuzèmes