La Pentecôte a été représentée de multiples manières par les artistes durant les siècles. Les symboles les plus fréquents sont le groupe des disciples, la colombe descendant sur une tête, les langues de feu, la lumière et bien plus rarement le souffle. D’où vient cette absence ? La chronique de Jean Deuzèmes
Des artistes abordent pourtant le souffle de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay (1120-1150) à Fabienne Verdier (née en 1962), dans «l’esprit» des les textes lus à la Pentecôte 2020.
Évangile selon saint Jean 20 (19-23)
C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine […] Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. […]
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint. »
Deux textes pour un seul Esprit
Ce texte de Jean est appelé la petite Pentecôte et diffère nettement du récit de Luc dans les Actes. C’est un traité de théologie où le don de l’Esprit Saint est donné le soir de Pâques par le Christ lui-même, sans autre signe que le souffle sur les apôtres.
Luc situe l’événement cinquante jours après Pâques ; l’Esprit Saint annoncé précédemment à la fin de l’Évangile du même Apôtre apparaît sous les signes de la colombe, des flammèches et de la multiplicité des langues. Durant des siècles, ce récit a été à la base de la quasi-totalité des œuvres, car le narratif et ses détails étaient très propices à la représentation visuelle et à l’expression des talents des artistes.
Dans la multitude de représentations liées à cette tradition lucanienne dans les vitraux et les tableaux, la colombe est le symbole le plus représenté. Mais le tableau de Charles Le Brun, La Descente du Saint-Esprit (3 ,17 x 2,65cm) , 1654, est très différent : dans une composition étonnante sans colombe, seules les saintes femmes ont des flammèches tandis que les hommes sont terrorisés par une lumière surnaturelle sortant des nuées, et que le peintre à gauche regarde calmement le spectateur. Très éloigné de multiples représentations traditionnelles de la Pentecôte, ce tableau est plus conforme au sens des Textes qui parlent des effets de la puissance de l’Esprit, ce qu’évoquent, chez Luc, les témoins entendant les apôtres parler dans leur propre langue.
Jean Bazaine(1904-2001) n’a pas abordé spécifiquement cette représentation dans la réalisation en 1964 des grands vitraux de l’église gothique de Saint-Séverin (Paris), mais un d’entre eux s’en approche. La commande qu’il avait reçue, du curé Alain Ponsar, portait sur les sept sacrements, en huit baies. Le résultat (obtenu avec l’appui de Henri Déchanet (1930-2019), peintre artisan verrier) est magnifique, avec les jeux vibrants de bleu, rouge, jaune. C’est ainsi que le vitrail de la Confirmation exprime les effets du souffle sous la forme des langues de feu sur la tête des apôtres rassemblés. L’artiste est bien plus dans l’Évangile de Luc que dans celui de Jean.
Quand le souffle se fait rare
Le texte de Jean a très peu inspiré les artistes. La basilique romane Sainte-Marie -Madeleine de Vézelay (1120-1150) est un cas exceptionnel.
Le tympan du portail central est organisé autour d’un Christ en gloire, dominant tous les autres personnages, aux vêtements tourbillonnants et bénissant les apôtres ; les rayons traduisent la transmission de l’esprit du Christ, c’est-à-dire l’Esprit Saint. Les vêtements des apôtres flottent aussi et évoquent la présence de l’Esprit en eux. Sur le linteau et les caissons du pourtour du tympan sont représentés les peuples lointains voire imaginaires vers lesquels les Apôtres sont envoyés en mission.
En bas, au linteau, à gauche les peuples d’Europe (Hyperboréens pêcheurs de poisson, Barbares chasseurs à l’arc et Méditerranéens agriculteurs) ; à droite les peuples d’Afrique (le Pygmée montant à cheval à l’aide d’une échelle, et un peuple aux longues oreilles) ; les uns et les autres marchant vers le centre, c’est-à-dire l’Église du Christ, symbole de leur conversion. Ces peuples connus et inconnus se dirigent vers saint Pierre, et sa clé, et saint Paul.
Dans les huit caissons disposés en demi-cercle en bordure supérieure du tympan, les autres peuples d’Asie (de gauche à droite) : d’abord deux apôtres en train d’écrire (sans doute les évangélistes Luc et Marc), puis les Juifs, les Cappadociens, les Arabes qui partagent leur case avec les Cynocéphales (Inde) ; à droite, les Phrygiens, les Byzantins, un homme tenant une lance renversée, et les Arméniens chaussés de cothurnes.
Au travers de ces deux exemples – le tableau de Le Brun et le tympan de Vézelay– il apparaît que, dans l’art, le souffle, dans la réalité si évident à vivre et dont le temps de Covid a montré la fragilité, s’avère très difficile à représenter dans la perspective du texte théologique fondamental de Jean. Dans le Nouveau Testament, c’est la colombe qui est attachée à la notion d’Esprit et est mentionnée dès le récit du baptême. En revanche, le souffle apparaît à de nombreuses reprises dans l’Ancien Testament.
« La spiritualité, c’est du vent ! »
C’est avec cette expression pleine d’humour que le rabbin Delphine Horvilleur fit image lors d’une conférence sur le fondamentalisme en 2015. En effet, dans la pensée juive qui part du plus concret, le souffle revêt deux significations. La pensée théologique chrétienne, elle, tributaire de la pensée grecque, va les fusionner en un seul mot, Pneuma, doté d’une grande globalité.
À l’origine, dans la Genèse, le souffle apparaît selon deux mots (ROUAH/ VAYIPAH) correspondant à deux sens, qui sont ensuite déclinés dans les textes. On retrouvera cette dichotomie dans l’art.
Marc-Alain Ouaknin dans son livre magistral La Genèse de la Genèse illustrée par l’abstraction traduit :
Gn 1,2 Alors que la terre était étourdissante et vide, et que l’obscurité régnait sur la face de l’abîme, et que le souffle (ROUAH) d’élohim voletait sur la face des eaux,
Gn 2,7 Alors yhvh élohim forma l’homme, poussière du sol de la terre, et il souffla (VAYIPAH’) dans ses narines une respiration de vie (NESHIMA), et ainsi l’homme devint une âme vivante.
ROUAH (présent dans 348 versets), du genre féminin, exprime le vent, le souffle, l’Esprit, la direction. C’est presque une onomatopée de bruissement d’aile.
NESHIMA (présent dans 24 versets seulement) associé à VAYIPAH’ : exprime la respiration, le souffle de vie, le souffle qui permet la parole ; ce terme sera traduit plus tardivement par âme.
Avec grande pertinence, Marc Alain Ouaknin a associé ce tableau de Max Ernst à la traduction de Gn 1,2 : deux colombes dont les becs sont enchâssés ; leurs yeux deviennent ceux de la grande figure humaine. Mais l’une d’entre elles a la pupille de la vie, l’autre est prête à la recevoir.
Delphine Horvilleur, elle, va respectivement les traduire et commenter ainsi :
« Le souffle de Dieu frôle/glisse à la surface des eaux ». Au commencement donc, le souffle, le spirituel n’est posé nulle part, il glisse, sans adhérer, sans pénétrer quoi que ce soit.
« Il souffle dans son nez une âme de vie ». Voilà que le souffle s’est posé quelque part.
Dans la Septante, le grec utilise le mot pneuma pour les deux. En se distanciant des sens hébreux initiaux, ce mot signifie tout à la fois : mouvement de l’air, vents, choses spirituelles, vérité, inspiration, souffle, âme, l’esprit, c’est-à-dire le principe vital par lequel le corps est animé dans ses deux composantes : l’esprit rationnel et l’âme.
Pneuma se trouve dans 343 versets du Nouveau Testament, mais comment s’en étonner dans la vision trinitaire, où le Père n’est pas dissociable du fils et de l’Esprit ? Choisir la bonne signification dépend du contexte et des mots associés.
Jean Marie Martin, théologien, spécialiste de la pensée de Jean et de sa symbolique, affirme :
Le pneuma peut être de l’ordre de la connaissance, dans un sens premier, quand Paul dit : « il nous a donné de son pneuma » c’est-à-dire il nous a fait savoir sa pensée ; mais le pneuma a aussi éminemment à voir avec la vie : il est ce qui insuffle et nous avons là une référence avec le geste par lequel YHWH insuffle Adam, mais dans une perspective psychique, car le terme employé alors est psukhê zôsa. Paul lui-même fait la différence : cet Adam-là est animé par une psukhê zôsa (une psukhê (psychê) vivante) alors [qu’avec Jean] il s’agit du pneuma zôopoioun (pneuma vivifiant).[…] « Il leur dit : “Recevez le Pneuma Hagion (le Souffle Sacré, l’Esprit Saint). […] La différence est entre vivant et vivifiant : le pneuma est vivifiant, le pneuma donne vie qui est vie éternelle (zôê aiônios).
Le mot de pneuma est tellement polysémique que saint Justin en plein milieu du IIe siècle (l’un des premiers auteurs chrétiens) dit : « Le pneuma est panonyme et polymorphe » c’est-à-dire qu’il peut recevoir tous les noms et prendre toutes les formes. Donc on a affaire ici à quelque chose qui est d’une extrême plasticité, d’une extrême mobilité de sens. C’est à peu près l’égal de notre verbe être : on dit être aussi bien d’un peuplier, d’un scorpion, que de Dieu : « Dieu est » ; « le scorpion est » et ce n’est pas la même chose. Lire le site La christité
Dans le domaine de l’art, on peut mettre en parallèle les occurrences des termes dans la Bible avec celles des types de représentations. VAYPAH est rare et réservé à l’acte de création de l’homme par Dieu en utilisant son souffle. Une gravure Dieu formant Adam réalisée par Étienne Delaune au XVIe, Dieu soufflant dans les narines d’Adam (dans le sous-titre), apparaît elle aussi comme une production très isolée (Histoire de la Genèse (02):.gravure sur cuivre, vers 1569, Strasbourg, cabinet des Estampes et des Dessins).
On comprend comment l’art ancien a pu rencontrer des difficultés à représenter une chose invisible, si compliquée conceptuellement et pourtant si simple « comme l’air ».
Vézelay semble bien unique dans tous les sens du terme.
L’art contemporain prend son inspiration
On peut faire un constat analogue dans l’art contemporain, le mot souffle est explicitement peu représenté. Or il fait florès depuis une trentaine d’années du fait de l’engouement pour la spiritualité, de la porosité avec les spiritualités orientales (cf le site Voies d’Assises), le bouddhisme et les pratiques Zen, et surtout du développement personnel où tout commence par la maîtrise du souffle. Lire.
Alors qu’il était visuellement difficile de représenter dans les moyens traditionnels (peinture, sculpture) le souffle au sens de VAYIPHA’, celui de Jean, les perspectives évoluent depuis une trentaine d’années, pour plusieurs raisons :
- les artistes procèdent à des renouvellements symboliques en utilisant des matériaux anciens,
- les nouveaux médiums et les nouvelles formes d’art, comme la performance ou les machines, permettent à l’artiste de réinvestir le concept et d’exprimer sa quête personnelle dans un monde hypermoderne,
- si le corps devient une mesure de l’acte créatif, notamment par ses membres, le souffle de l’artiste devient un instrument,
- la quête de l’immatériel et l’ascèse du matériau sont au centre de recherches plastiques.
L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible, disait Klee.
Il s’agit désormais de « matérialiser et d’incarner sous une forme palpable des données immatérielles […] d’intégrer la perception de l’invisible ». Florence de Mérédieu (Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain, éditions Larousse, 2004).
« Il est de plus en plus intéressant de parler de ces catégories suprasensibles de la vie, de l’être humain et l’être divin, de l’être animal et de l’être végétal, de l’être-Terre et de l’être-planète. » Joseph Beuys (ibid.)
La revisitation du vent, « l’après ROUAH »
Le vent est la forme primaire et la plus sensible du souffle, il peut caresser ou menacer. Les peintres l’ont mis en scène depuis des millénaires. Avec Nicolas Poussin et la peinture classique, les artistes ont abandonné la symbolique personnalisée du vent dont les sujets étaient Eole, Zephyr, Aquilon pour le mettre au milieu de leurs marines, de leurs paysages. D’une vision apaisée et féminine de la Renaissance (la Naissance de Vénus par exemple) parlant des aventures des dieux , le vent est devenu nature, appel à la transcendance (comme le ciel d’ailleurs), signe de tragique et de menace comme « Vapeur dans une tempête de neige » de William Turner (1842) ou « Le coup de vent » de Jean-Baptiste Corot (1866), alors qu’il est fait mention d’un coup de vent dans Luc.
Il faut désormais chercher le vent avec d’autres yeux.
Gérard Garouste, dont l’œuvre est inspirée par un questionnement sur le Talmud et le Midrach, met le vent partout, non pas comme sujet ou titre, mais en tant que puissance de l’esprit transformant le réel et les personnages : au travers de ses arbres et de ses hommes torsadés ou écartelés, il explore le fond de l’âme de ses contemporains, à l’aide de ses couleurs et de son style de figuration narrative plongeant dans les anciens récits bibliques. C’est avec le même style qu’il a conçu, en 2015, les 46 vitraux de l’église Notre Dame de Talant (Côte d’Or).
Jeff Wall construit ses photographies comme des tableaux et recrée, tel un metteur en scène de films, les éléments naturels : A Sudden Gust of Wind (after Hokusai) (1993). Si Hokusai, en 1830, avait peint des voyageurs luttant contre une rafale de vent dans une rizière, Jeff Wall montre dans une scène mystérieuse des personnes perdues sur un terrain vague. Dans ce mélange des genres (photo, caisson lumineux de publicité, sculpture), l’artiste canadien affirme un autre statut de la photo ; il n’est pas le témoin du moment décisif. Tout y est artificiel. Mais il crée un moment de nature et représente à sa manière l’invisible.
Théo Jansen (né en 1948) marie deux mécaniques : celle du vent naturel et celle de machines sans moteur, mais conçues pour le vent, dans une sorte d’interprétation des premiers versets de la Genèse. Il transforme chaque année la plage de Scheveningen en un laboratoire où se déploient ses monumentales créatures. Construites à partir de tubes d’isolation électrique, et certaines de tiges de bambou, de serre-câbles et de voiles en Dacron, elles se meuvent par la force du souffle marin. Son monde obéit à des principes darwiniens où ses modèles évoluent, selon les règles de transformations génétiques, mettant en cause la division communément admise entre le naturel et l’artificiel, l’organique et le mécanique, et dessinant un arbre généalogique complexe.
Les expositions qu’il fait périodiquement font accéder à un monde parallèle, dont on ne connaît pas l’époque.
Zilvinas Kempinas utilise des moyens plus simples : un ventilateur et une bande magnétique en cercle pour révéler l’air sur le modèle poétique et créer de la vie. (Voir vidéo )
Le verre et le souffle, la poésie et au-delà
Parce qu’il est traversé par la lumière et semble si fragile, parce qu’il se transforme sous le souffle de l’homme, le verre est porteur de multiples questions d’intériorité[1].
Julie Legrand a produit une belle œuvre lors de l’exposition d’été 2019 à Saint-Merry : Souffle était une œuvre soufflée in situ, faite de longues bulles de verre transparentes accrochées sur les murs de la chapelle de Communion. Formellement, elles étaient les enveloppes du propre souffle de l’artiste et prenaient sous sa main de multiples formes, vivantes et dynamiques. Tout le corps de l’artiste était donc mobilisé. Comme des bulles de savon poussées par on ne sait quelle vie à l’intérieur des pierres, elles sortaient avec gaîté des nombreux stigmates et anfractuosités des murs et piliers de l’église. L’artiste redoublait ainsi les effets baroques de la chapelle de Communion de Boffrand (1743), où volent les anges, à côté de représentations de colombes par des artistes du XVIIe au XXIe siècle.
Le souffle selon Giuseppe Penone
Souffle 6, Terre cuite, 158 x 75 x 79 cm, (1978), est probablement une des œuvres les plus connues de ce sculpteur. Une grande jarre dont la forme arrondie se termine par un cou, et dont un côté est ouvert, garde la trace du corps de l’artiste qui, embrassant l’argile, y a laissé son empreinte. Intérieur et extérieur, vide et plein, souffle informe et forme se donnent à voir simultanément. Masculin et féminin coexistent, car la trace laissée en négatif par l’entrejambe de l’artiste évoque un sexe féminin.
Le haut de la sculpture porte les traces de la bouche de l’artiste, comme s’il avait soufflé dans la sculpture. Avec les Souffles sculptés, je voulais à nouveau réaliser quelque chose de mythique. Rendre solide ce qui est immatériel, comme le souffle, c’est une contradiction, et la contradiction est toujours un élément excitant qui stimule l’imagination. (“Entretien avec Giuseppe Penone”, in Arte Povera Catalogue).
Cette œuvre fait donc plus référence au mythe grec de Prométhée et d’Athéna où le souffle de la divinité anime la matière inerte qu’au verset de la Genèse. Il revisite l’acte créateur[2] plus que le souffle lui-même, puisque la sculpture donne à voir le propre faire de l’artiste. Lors du travail de l’argile ou du verre, le thème du souffle, par les formes et matériaux choisis, est aussi une manière pour l’artiste de laisser une trace de lui.
Toute l’œuvre de Penone se caractérise par son interrogation sur l’homme et la nature. Sa sculpture, en prise avec des questions qui la débordent, comme celles du temps, de l’être, du devenir, tente de cerner l’invisible. (Lire le dossier du Centre Pompidou)
Contrairement aux artistes américains du Land Art qui adoptent une échelle monumentale la sienne est celle de l’homme et les symboles qu’il a créés renvoient instinctivement à la Genèse ; or il incarne plutôt l’anima des anciens, insouffle la forme et fait naître l’activité imaginaire de celui qui regarde[3].
Pneuma (2016) selon Françoise Verdier
Durant dix ans, l’artiste (née en 1962) s’est formée en Chine auprès des grands maîtres de la peinture ayant survécu à la Révolution culturelle et a appris d’eux les principes d’une peinture spontanée. Revenue en Europe, elle n’a eu de cesse de fréquenter le minimalisme, l’expressionnisme abstrait, la peinture flamande du XVe, le Quattrocento. Son œuvre est une synthèse des cultures orientale et occidentale. Elle dessine avec tout son corps en peignant à plat, en marchant sur ses supports. Artiste du mouvement, elle déclare : J’ai souvent essayé de capturer l’énergie de la forme naturelle. Qu’est-ce que la vie ? La vie est un mouvement constant.
Ses toiles, où tout est rythme, sont de très grand format et permettent une réelle immersion du regardeur dans le tableau.
Pour la Shiseido commission for European headquarters, elle a conçu deux très grands polyptyques, blancs sur fond rouge, disposé face à face Pneuma 1 et 2.
« J’ai conçu deux polyptyques qui se font face et qui captent une énergie primordiale, Pneuma, un dynamisme commun à tous systèmes vivants. Les ondes de chaque mouvement ou contre-mouvement se propagent, se répondent et se dilatent dans l’espace.» (texte dans la vidéo)
Ces œuvres font écho au texte de Jean, mais aussi à la gravure de Delaune, car il y a une dualité et des échanges d’énergie, la couleur et les formes ondulées laissées par des pinceaux géants se substituant au souffle. Mais ici l’émetteur et le récepteur du Pneuma sont des toiles semblables ; on ne sait qui émet vers qui. Voir
La grande et large trace du pinceau géant de Fabienne Verdier ondule en blanc. C’est exactement le même mouvement que l’on observe dans les vêtements du Christ et des Apôtres sur le tympan de Vézelay. Par l’abstraction, l’artiste rejoint l’interprétation formelle du discours théologique de Jean : neuf siècles de distance séparent des sculpteurs anonymes du Roman et une artiste imprégnée de spiritualité orientale, où le souffle tient une grande place.
En guise de conclusion
- Contrairement au récit de la Pentecôte, le Texte de Jean n’a guère inspiré les artistes.
- La phrase de saint Justin « Le pneuma est panonyme et polymorphe » peut être étrangement paraphrasée pour l’art contemporain : en art, le souffle peut recevoir tous les noms et prendre toutes les formes !
- En effet, le mot souffle condense les nombreuses acceptions présentes dans la pensée juive. Les artistes d’aujourd’hui comme leurs aînés l’utilisent peu dans l’intitulé de leurs œuvres, mais ne cessent de chercher à ce qu’elles aient du souffle, à faire qu’elles portent de la vie.
- Comme pour le ciel et le vent, le souffle est devenu un sujet à traiter par ses effets ; il est aussi terrain d’expériences, d’émotion et de subjectivité, mais pas de mystique ou de métaphysique. Le lien direct avec le religieux a été largement perdu alors que le lien avec certains mythes est resté.
- L’artiste ne représente plus dans son œuvre un dieu créateur, mais la question du rapport entre l’artiste et la création demeure vive et métaphorique. La référence au souffle serait-elle alors une manière tangente de la traiter ? Si Jean mettait au cœur de son texte la relation entre un maître et ses disciples, l’artiste place son œuvre dans une relation avec un public. Mais de mission ou de Royaume, point. Une œuvre authentique ou un chef d’œuvre peuvent-il en faire fonction dans un monde éloigné de Dieu ?
Jean Deuzèmes
[1] Dans Levitas (1998), en plein développement de l’art corporel des années 90, Javier Perez l’a utilisé pour produire des images inversées de notre profondeur. (Lire et voir).
On pourrait aussi multiplier les œuvres où l’artiste utilise son souffle, dès les années 70, pour parler de son identité comme Dieter Apelt ou dans bien d’autres projets.
[2] Les « Soffi » ne sont donc pas une « représentation de l’homme comme une idole », mais « une figure sans l’idée de représentation » dit Penone dans le catalogue
[3] Giuseppe Penone a réalisé une série de Soffio di foglie (Breath of Leaves), 1979-2015 dans une autre veine. Il étale son corps sur un tas de feuilles de buis. Il est alors dans un contact intime avec la nature, à égalité avec elle, jusqu’à la respirer ou l’écouter. Quand il se retire, la forme de son corps reste et ce sont les feuilles qui semblent ouvrir un dessin très fruste de poumon à la suite du passage de l’artiste.