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Le Livre de l’Exode : chronologie et traces -3-

Exode et théologie : Terre promise ou réalité spirituelle ?
Marguerite Champeaux-Rousselot poursuit son étude sur le livre de l’Exode pour nous révéler la pertinence actuelle de ce récit, écrit pour préparer le retour miraculeux en Judée (article 1) et organiser le peuple « autour » de Yahweh (article 2). Ce dernier volet montre qu’une certaine théologie en a découlé : le peuple hébreu pourrait être un « peuple de prêtres, une nation sainte », expression à remettre dans son contexte conditionnel, tout comme l’idée trop matérielle d’une Terre promise qui évoquerait plutôt une réalité spirituelle.

Socio-théologie d’un peuple qui se (re)construit.

Au retour de Babylone, il n’y a plus de plus de royauté ni de système pyramidal, mais un temple voulu unique et son Grand prêtre assisté du Conseil des Anciens (presbuteroi) choisis pour leur sagesse.
Mais dans le livre, Yahweh leur propose un autre but :
« Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait aux Égyptiens ; je vous ai enlevés comme sur des ailes d’aigle, et je vous ai amenés près de moi. Si maintenant vous écoutez ma parole, si vous gardez mon alliance, vous serez pour moi un peuple particulier parmi toutes les nations, car la terre entière est à moi. Vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation consacrée ; répète ces paroles aux fils d’Israël. » (Ex. 19,4-6)
Si tous lui consacrent leur vécu, tous sans exclusion seront prêtres, mais il y a une condition. A l’époque où ce livre s’écrit, c’est un objectif idéal.

La raison de ce récit épique

La mort de Moïse est brutale et le final du livre est soudain : il est placé avant la fin du voyage, avant l’arrivée au but : « La nuée couvrit la tente de la rencontre et la gloire de Yahweh remplit la demeure » (Ex 40,34-35). L’objectif est atteint : au fil d’une progression de quarante ans, le peuple et son Dieu se sont définitivement choisis.
Concrètement, au moment où on écrit ce récit, il y a à Jérusalem un nouveau Temple à construire pour Yahweh. C’est l’aboutissement d’un processus relationnel et décisionnel fait d’étapes quasiment psychologiques. Ce récit transpose métaphoriquement, dans un passé concentré dans la vie d’un homme, Moïse, le cheminement théologique et politique qu’a accompli ce peuple en deux ou trois siècles : désert éprouvant, lieu d’apprentissage et de résilience ; tente sommaire et ouverte, mobile et universelle ; Yahweh rocher et source, Dieu présent et à part.

« Terre promise » matérielle ou chemin spirituel ?

Tout récit est un objet avec une valeur historique : témoignage sur l’époque dont on parle et sur celle d’où l’on parle. L’Exode est l’un de ces objets.
Beaucoup estiment ce récit réaliste, et l’enrichissent ensuite de considérations sur son extrême antiquité, sur l’exactitude des traditions orales ainsi que sur des aspects prophétiques. Mais la lecture critique en explique la rédaction à partir de son contexte, tout en précisant que, comme dans les trois versions de la Création[1],  on n’a pas cherché à tromper.

S’arracher au factuel de ces récits est parfois bouleversant et douloureux. Cependant, c’est ce qui permet de comprendre les vrais fondements de l’histoire des fils d’Israël et de mesurer l’intensité et l’originalité de leur foi[2].

Il y a peut-être plus, car les miracles ont leur intérêt, mais leur côté spectaculaire n’a pas que des avantages. Ne masqueraient-ils pas un peu de réalités plus spirituelles, en particulier s’ils sont commentés de façon anachronique ?
Rétablir les faits est important pour l’aujourd’hui.
Se détacher de ce qu’on croyait une Terre concrète promise depuis toujours est difficile, mais peut rendre plus libres et plus fraternels.


[1] 1ère version : Gen. 1-2,4 ; 2ème version : Gen. 2, 4 b- 3,24  ; 3ème version, moins connue : Siracide (Ecclésiastique) 17 ;  Job 26 ;  Psaume 74 et  Esaïe 51  

[2] C’est ainsi que ce collaborateur de l’École Biblique de Jérusalem  présente le résultat de ses explorations multidisciplinaires : «  La route de l’Exode : est-ce de l’histoire ou est-ce un mythe ? Nous proposons que ce ne soit ni l’une ni l’autre, mais que cela  participe des deux réalités. C’est pourquoi nous affirmons que l’itinéraire biblique est une histoire mythifiée transformée en itinéraire théologique. C’est la carte que nous jouerons dans ce volume. » (La ruta de l’Exode. Exegesi, geografia, arquologia, Pr. Jordi Cervera  i Valls, 2024.


Pour lire les précédents articles :








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Marguerite Champeaux-Rousselot

Marguerite Champeaux-Rousselot est historienne et anthropologue, (spécialité : religions de l’Antiquité ; observation et traduction des objets, « traces » et témoignages). Mère et grand-mère, longtemps ardemment investie dans la vie associative laïque, elle a enseigné le grec et pratique une lecture critique contextualisée. Une approche historique, scientifique et humaine redonne vie aux mots de jadis qui sont aujourd’hui encore facteurs de paralysie ou sources de dynamisme.

  1. JEAN-CLAUDE CAILLAUX
    JEAN-CLAUDE CAILLAUX says:

    Bonjour,
    Pourquoi conserver ce mot “Yahweh”, sachant qu’il est bien sûr refusé par la communauté juive ?
    Ne serait-il pas plus simple, et significatif, de transcrire simplement YHWH, donnant ainsi à voir et à entendre, si je puis dire, l’imprononçabilité de D.I.E.U.
    Jean-Claude

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