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Rencontre du RCI sur l’apprentissage obligatoire du français

Lors de la dernière rencontre du RCI, une cinquantaine de personnes se sont retrouvées autour du thème des formations à la langue française pour les étrangers. Les deux invités ont décrit les limites et les alternatives de cet apprentissage obligatoire.

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Intervention de Fatma-Zohra Mammar

Formatrice de formateurs et amie de longue date du RCI, Fatma-Zohra nous fait le plaisir d’introduire cette réflexion. Elle se présente comme témoin de la formation linguistique, et de son évolution de 1989 à nos jours : place accordée aux étrangers par les gouvernements successifs, enseignement et apprentissage du FLE-FLS (français langue étrangère – français langue seconde) au fil du temps.

1- La place accordée aux étrangers

La France coloniale faisait venir directement la main d’œuvre depuis ses colonies, pour des besoins économiques (dans les mines, dans les usines), et aussi pour renforcer les bataillons sur le front pendant les guerres. Ces hommes rentraient chez eux après.
Après la décolonisation, on a continué à favoriser l’afflux de main d’œuvre étrangère venant surtout des ex-colonies, mais tous ne repartaient plus chez eux, une partie s’installait en France, faisant venir leurs familles.
Puis avec la montée du chômage, on pense qu’il y a trop d’immigrés, et les gouvernements successifs décident de privilégier une immigration choisie.

À partir de 1976, on donne un coup d’arrêt à l’immigration : le retour au pays est favorisé.
Mais beaucoup restent, et deviennent des « sans-papiers », espérant une hypothétique régularisation à venir. Selon le GISTI, des régularisations se feront sous tous les gouvernements mais dans une certaine opacité.

Les enfants de migrants qui sont nés en France sont Français, en vertu du droit du sol. Mais sous la pression de certains partis politiques, une nouvelle loi exige qu’entre 16 et 20 ans ils fassent la demande explicite de la naturalisation.
Ces jeunes ne se sentent pas considérés comme Français à part entière : plusieurs mouvements de révoltes éclatent dans les banlieues, souvent réprimés avec violence.
On parle de jeunes issus de l’immigration, de 1ère génération, puis 2ème, 3ème et bientôt 4ème : « la France je l’aime mais je la quitte… ?».

  • En octobre 1983 des jeunes, par milliers, traversent la France, c’est la Marche pour l’égalité. Le gouvernement accorde désormais une carte de séjour de dix ans.
  • À la fin des années 90, émerge le mouvement des sans-papiers, avec occupation d’églises, et soutien de nombreuses associations (c’est la naissance du RCI !). Une régularisation massive de bon nombre de migrants est alors obtenue.

2- L’enseignement-apprentissage dans les organismes de formation et dans les associations

On constate un glissement progressif dans la manière de concevoir l’immigration, et la formation à mettre en œuvre comme moyen d’insertion et de cohésion sociale. L’immigration est d’abord du ressort :

  • du Ministère du Travail
  • puis du Ministère de l’Immigration, de l’identité nationale et du développement solidaire
  • et finalement du Ministère de l’Intérieur.

D’un souci et volonté d’intégration sociale, on passe progressivement à un souci d’ordre sécuritaire : l’étranger est vécu comme possible perturbateur de l’ordre social, il est un risque potentiel pour la sécurité des citoyens…

Du point de vue de l’enseignement/apprentissage 

À l’origine, c’est l’État qui finance la formation : création en 1958 du FAS (Fond d’action sociale), qui deviendra ensuite le FASILD (Fond d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations). Des subventions sont attribuées aux associations qui organisent des cours.
On assiste à la naissance (fin années 60 – début 70) de nombreuses associations : ASTI, GERMAE (Groupement d’Étude et de Recherche de Méthodes Actives : associations communautaires de migrants s’associant à des Français d’origine pour réfléchir sur les méthodes de formation), etc…
Mais au fil des ans, ces subventions vont diminuer, et l’appel au bénévolat sera de plus en plus favorisé.

Des années 60 vers fin des années 90, les différentes méthodes prônent surtout l’enseignement du « français fondamental », stock d’environ 3000 mots jugés indispensables pour une autonomie.
Vers 1995, l’association CUEEP – de Lille – ayant jusque-là une longue expérience des migrants de « bas niveau de qualification », est financée par le FASILD pour un Référentiel qui aborde l’accueil et le positionnement des apprenants : c’est une révolution dans l’approche de l’apprentissage du français !
La notion de compétence linguistique nécessaire à l’intégration fait son chemin : création du Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI) et du CAIF (pour les parents d’enfants) : l’État financera une formation intensive si l’étranger accepte de signer le contrat. Au départ on leur laisse le choix d’accepter ou non, mais rapidement la signature du CAI et CAIF devient obligatoire pour l’obtention du titre de séjour.

Avec l’obligation d’apprendre la langue, un pas de plus est franchi, et en 2006 on ajoute un niveau A1.1 aux diplômes des différents niveaux existant du DELF : c’est le DILF, destiné aux personnes non scolarisées dans leur pays. Il devient obligatoire pour le titre de séjour. Le DILF fait miroiter une régularisation plus rapide…
Les progrès dus à l’avancée de la recherche (approche communicative et actionnelle, le CECR) et un intérêt plus grand concernant les besoins des apprenants conduisent dans les années 2000 à un nouveau référentiel, avec en 2009 la création par RADyA des ASL (Ateliers Socio Linguistiques). Cette approche est conçue à partir des situations de la vie quotidienne d’une personne qui a des interactions à l’oral et/ou à l’écrit en fonction de ses différents statuts : patient, parent d’élève, consommateur etc…
Dans les associations et les centres sociaux, coexistent désormais deux types d’actions de formation : les ASL pour les primo-arrivants et la préparation aux diplômes DILF et DELF – le « mantra » étant que si on parle le français on est intégré !
Mais curieusement cela ne concerne pas les Européens…

Nouvelle escalade quand on définit la langue à maitriser comme « Français langue d’Intégration – FLI ». Son acquisition se fait aussi en termes de « valeurs », on considère qu’il y a une  interdépendance entre la langue et les valeurs (liberté égalité fraternité mais surtout laïcité…). On décide d’imposer le FLI aux organismes de formation et aux associations. Ce référentiel doit obligatoirement être utilisé par les organismes de formation qui souhaitent profiter des appels d’offres pour décrocher des contrats et par les associations qui demandent un financement pour leurs actions.

En 2011, plusieurs associations se mobilisent contre la conception de la formation imposée avec le FLI, jugée contraire aux nombreuses recherches en sciences du langage et en sociologie : naissance du collectif le « Français pour tou.te.s » qui rassemble diverses organisations (Fédération des centres sociaux, GERMAE, CIMADE, Secours catholique, RADyA), et organisation de manifestations régulières pour maintenir le droit à la langue pour tous les étrangers sans distinction de statut ou de durée de séjour.

En 2016, le Contrat d’Intégration Républicaine – CIR – renforce ces exigences avec l’obligation de procéder à trois tests en français, faisant basculer la possibilité de formation en véritable devoir pour s’intégrer.
Et la formation linguistique repose le plus souvent sur des associations, dans le cadre d’un bénévolat, l’État se désengageant de ses obligations.

En 2021, l’idée émerge qu’il faut aussi donner la parole aux apprenants : lancement de la recherche-action du RADyA et du collectif « le français pour toutes et tous », co-coordonnée par Éric Mercier, chercheur à l’Université de Tours.

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Fatma-Zohra Mammar et Éric Mercier

Intervention d’Éric Mercier

Docteur en socio-linguistique et didactique des langues, Université de Tours

Rappel préliminaire : les contrats d’intégration

Depuis 2005, le Contrat d’Intégration Républicaine est obligatoire pour tous les étrangers demandant un titre de séjour, sauf pour les ressortissants de l’Union Européenne et pour les demandeurs d’asile.
Ce contrat consiste en une formation civique obligatoire à laquelle s’ajoute si besoin une orientation spécialisée vers des services de proximité, et une formation linguistique avec obligation de progresser et de se soumettre à des tests de niveau :
A1 pour la carte pluriannuelle
A2 pour la carte de résident de dix ans
B1 pour la naturalisation.
Depuis la nouvelle loi (2024), les exigences sont plus élevées :
A2 à l’oral et à l’écrit pour la carte de dix ans
B2 pour la naturalisation : c’est le niveau demandé pour entrer à l’université !
Les tests sont standardisés, et la méthodologie est imposée aux centres de formation.
Ils exigent de 100 à 600 h de formation.

Présentation de la recherche-action

(Engagée sous l’impulsion du collectif « Le français pour tou.te.s »)

L’accès au français pour tou.te.s, oui mais comment ? A été lancé une recherche-action, où apprenants et acteurs de l’apprentissage du français cherchent et agissent ensemble, l’enquête étant menée au sein de diverses associations volontaires, et auprès d’apprenants ayant déjà suivi un apprentissage du français dans le cadre réglementaire (OFII).
La démarche est présentée aux apprenants dans plusieurs langues ; les entretiens sont individuels et /ou collectifs, ce sont des entretiens « compréhensifs », permettant à apprenants et accompagnants de se raconter librement ; puis intervient une réflexion collective sur les problématiques et attentes qui ont été soulevées lors des entretiens, et la recherche collective d’actions ou de projets à mettre en œuvre pour essayer de répondre à ces attentes.

Limites des politiques linguistiques actuelles

– Effets contre-productifs : premières formations… « tout en français »

Cette problématique est soulignée par plusieurs apprenants : l’enseignement « tout en français » dès les premiers cours est très fatigant, peut bloquer et décourager certains apprenants, et certains abandonnent même le cours.
La possibilité d’accéder à sa langue d’origine pendant les cours peut au contraire soulager, et aider dans les premiers apprentissages : échanger par petits groupes d’une même langue, aide à mieux comprendre le français. Il faut pouvoir créer des ponts entre le français et sa langue maternelle. Cela peut permettre d’éviter des abandons lors des premières formations.

  • « Au début, on ne comprenait rien. La formatrice essayait d’expliquer, elle fait son maximum, mais on ne comprenait rien. »
  • « Après ce cours, en turc et en français, on profite beaucoup mieux qu’avant. (…) Il y a une femme un peu âgée, elle a plus de difficultés que les autres, elle a mille fois remercié disant : au début je ne comprenais rien, je m’ennuyais, j’avais mal à la tête, mais maintenant, je comprends beaucoup ce qu’elle veut dire à moi. »
  • « Au début, il faut créer un pont en langue maternelle, c’est mon expérience. Et ça fonctionne très bien. »
  • « Ok, au début, on était quinze, et aujourd’hui on est trois personnes, seulement. Donc euh c’est clair, comment ça marche les cours ? »
  • « (…) Quand le professeur il commence à donner le cours, ils trouvent c’est très très difficile, ils se bloquent la tête, ils pensent que c’est pas possible d’apprendre ; ce sont des minorités qui restent jusqu’au bout du cours, et eux ils vont réussir. C’est normal… »

– Effets contre-productifs : la place de l’écrit

De nombreux apprenants, ayant suivi les formations de l’OFII, témoignent du caractère non pertinent voire contre-productif de travailler l’écrit et l’oral du français ensemble dès les premières formations. L’importance accordée à l’écrit ne correspond pas à leurs premiers apprentissages, qui privilégient parfois exclusivement l’oral. Partant souvent de langues éloignées (autre alphabet, aucune correspondance en français), il leur sera plus accessible de commencer par apprendre à parler, et les exercices à faire par écrit n’accompagnent alors pas (voire complexifient, freinent) leurs premiers apprentissages.

  • « Non moi, je dis le système de l’OFII, c’est pas bon pour les cours, parce que tout le temps on parle un petit peu, et après ils donnent les papiers ; il doit écrire, écrire, prendre 200, 200 l’heure, juste pour tous les papiers et, c’est pas normal. »
  • « Beaucoup de papiers, c’est tout, toujours les mêmes questions. Qu’est-ce que tu as fait ce week-end, qu’est-ce que tu as fait hier ? [rires]. »
  • « Si on sait parler, pour écrire ça va être plus facile.Par contre si on ne sait qu’écrire, parler c’est difficile. “
  • « Il faut parler, pour qu’on puisse travailler – si c’est un migrant qui cherche un boulot, (…) s’il n’arrive pas à apprendre le français pour travailler, il va quitter le pays, donc t’as perdu quelqu’un qui peut travailler et qui peut ajouter quelque chose au pays. »

– Face aux expériences des apprenant.e.s

Les apprenants ont appris d’autres langues, connu d’autres politiques linguistiques. C’est pas vraiment à l’école qu’on apprend à parler français, c’est plus dans son cadre de vie, avec des amis, au travail, avec et pour ses enfants… Si de premières formations peuvent aider, débloquer certaines personnes, permettre de faire des rencontres et de se socialiser, voire parfois de déclencher de premiers apprentissages, elles ne sont pas « magiques » : parfois elles ne permettent pas d’apprendre, même pour des personnes pourtant très motivées. Certaines personnes stagnent en formation à de petits niveaux durant de longs temps, sans constater de progression.

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Une cinquantaine de participants, d’horizons différents

Comparaison avec les politiques d’intégration dans les autres pays étrangers

  • « Les Éthiopiens ou les Érythréens qui immigrent au Soudan, ils apprennent l’arabe en travaillant. Si on vient pour des raisons économiques, on ne reste pas à la maison ! »
  • « Mon fils, n’a pas compris le français, (…), après il trouve un travail pour la boucherie, alors il parle français. »
  • « J’ai toujours travaillé au ménage (…), c’est difficile en France, c’est différent en Espagne. (…) Je connaissais le travail en ménage, et ici on te demande ton CV et ton diplôme. En Espagne, je travaille avec les enfants, on apprend un peu un peu et après je parle et je comprends, et ensuite je comprends quand je change de travail avec les personnes de la maison la retraite. – En France du coup, vous parlez français quand ? – Euh, à l’école ».
  • « Moi j’ai appris la langue pas à l’école, mais autour de moi, avec mes amis. Rien ne vaut plusieurs fois par jour »…

Quelles alternatives ? Nos projets locaux :

Les propositions des apprenants : de nouvelles politiques publiques

  • Rencontrer des Français par le travail :
    Enquêtrice : « (…) Si tu étais Emmanuel Macron qu’est-ce que tu ferais pour les personnes qui veulent apprendre ?
    R : Peut-être ils ont fait du travail, ils ont parlé avec d’autres personnes, c’est collectif. Quand on arrive en CADA [centre d’accueil pour les demandeurs d’asile] en hébergement les gens ne parlent pas français. Au travail tous les jours on apprend des mots. Pour moi j’ai un peu parlé, je suis arrivée depuis très longtemps en France, le Président m’a donné une carte de séjour, après je travaille, oui je parle avec beaucoup de personnes, tous les jours je sors, c’est comme ça qu’on apprend le plus vite. »
  • Trier les apprenants selon l’expérience :
    « Ça c’est, le meilleur système : trier les étudiants par rapport à l’expérience, et continuer à euh, donner des cours, différents pour différents étudiants ».

Ce que nous proposons (terrain/recherche) : un renversement de perspective

1- Partir de la relation, et non pas des méthodologies, pour adapter localement les accompagnements, implique de :

  • diversifier des accompagnements, des formations, avec adaptation à l’accueil et à l’orientation (adaptation à une diversité d’apprenant.e.s en présence à un moment donné)
  • adapter régulièrement l’offre (des formateur.rice.s et accompagnant.e.s, et des formations)
  • faire une place aux premiers intéressés (par exemple : leur permettre d’être force de proposition dans l’association ; de faire des retours sur les formations et les accompagnements, sur l’association ; de participer, développer, voire animer des projets créés ; de faire partie du CA de l’association ; de pratiquer l’interprétariat, l’entraide…)

2- Décentrer des formations linguistiques comme seule réponse
pour s’ouvrir à d’autres types d’accompagnements (en appui, en complément, voire en alternative des formations) et ouvrir les accompagnements (donc, les bénévoles) à d’autres choses que de la formation.
Quelques atouts des associations et centre sociaux ont été soulignés lors de la recherche-action :

  • La présence de formateur.rice.s bilingues pour pouvoir accueillir des grands débutants aux langues éloignées.
  • La pratique de la médiation et de l’interprétariat (pour accueillir, orienter, former).
  • L’inclusion de tous les habitants d’un quartier dans des activités communes (par exemple : cours de yoga, de gymnastique, de danse, etc.)
  • L’implication d’apprenants comme adhérents et acteurs à part entière de l’association.
  • Une certaine liberté d’adapter une partie de son offre d’accompagnements au contexte local…
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Les formations obligatoires en langue ne peuvent avoir un effet magique sur l’intégration, si elles ne sont pas pensées avec ceux pour lesquels elles ont été mises en place, et dans un environnement qui prenne en compte l’accompagnement de l’ensemble de la personne et de son cadre de vie, au-delà d’une préoccupation strictement linguistique.

Pour le RCI, Marie-Noëlle J.

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