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L’ordre établi : le piège du donnant-donnant

Michel Deheunynck, prêtre retraité du diocèse de Saint-Denis et membre de Saint-Merry Hors-les-Murs, a bien voulu nous permettre de partager sur ce site quelques-unes de ses homélies, dont vous pouvez retrouver l’intégralité publiées sous le titre La périphérie : un boulevard pour l’Évangile aux éditions du Temps Présent (et dont il reste des exemplaires disponibles à la vente chez l’éditeur).
Il commente ici Mt 22,15-21 (vingt-neuvième dimanche ordinaire, Année A) : « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? »

Cet épisode nous éclaire, à son tour, sur l’engagement de Jésus. Mais attention ! trop souvent, en lisant ce passage d’Évangile, on fait dire à Jésus : « Laissez-moi faire ma religion, je vous laisserai faire votre politique. » Un peu comme du donnant-donnant, du 50-50. Non ! Si Jésus avait voulu dire cela, il serait tombé à pieds joints dans les pièges, le traquenard que lui tendaient justement les tenants du pouvoir et de l’ordre établi, qui étaient justement sur cette position du compromis.

On sait que les pharisiens, les bien-pensants, les fidèles gardiens de l’ordre et de la tradition sont toujours prêts à tout pour garder le pouvoir politique et religieux. Et ils ne loupent jamais une occasion de tendre des pièges à Jésus et, à travers lui, à ses vrais amis. Ce n’est pas nouveau et ils savent y faire, et avec quelle malice, quelle hypocrisie, quelle démagogie flatteuse : « Maître, nous savons que tu es juste et que tu enseignes le vrai chemin de Dieu… » Ben voyons ! Les pharisiens et les hérodiens au pouvoir alors n’avaient pas manqué de former une coalition politico-religieuse conservatrice.

Mais pour Jésus qui, lui, n’est pas vraiment du genre conservateur, les institutions, qu’elles soient politiques ou religieuses, n’ont qu’un temps. Son projet de société à lui dépasse toutes les institutions. Ne donnons donc pas au pouvoir politique ou religieux plus qu’il ne lui revient. L’impôt, d’accord, mais pas le sens que nous donnons à notre vie ; le denier de l’Église, d’accord, mais pas notre liberté d’être ce que nous sommes et de penser comme nous pensons.

Comme Jésus, ne tombons pas dans le piège. Comme lui, n’oublions pas que nos moyens, politiques ou religieux, ne sont que des moyens et pas un but. Le Royaume de Dieu, il est au-delà de cela. Nous exprimons notre foi en l’humanité et en Dieu, mais l’Esprit Saint va au-delà de ce que nous pouvons en dire. Comme nous avons entendu saint Paul, tout à l’heure, le rappeler aux Thessaloniciens.

Alors, pour en revenir à notre texte d’Évangile politico-religieux de ce dimanche, il me fait dire que, vraiment, nous avons de la chance d’être dans un État laïc, avec ses valeurs républicaines : la démocratie, même si elle est très imparfaite ; la solidarité, même si elle est très malmenée par un système financier débridé. Non, la religion n’a pas à se compromettre avec le pouvoir. Jésus lui-même ne faisait pas partie du monde religieux, du cléricalisme de l’époque. Non, Jésus était un croyant laïc. Cette laïcité qui lui permet et qui nous permet à nous, aujourd’hui, de témoigner plus authentiquement de ce Dieu qui ne règne plus de là-haut, mais qui a osé se faire l’un des nôtres, avec nous, partageant nos galères et nos projets pour grandir ensemble et avec lui.

Aujourd’hui, des biblistes et des théologiens, quand ils peuvent s’exprimer librement, n’hésitent pas à situer notre christianisme comme « la religion de la sortie de la religion ». Parce qu’avec l’Évangile, avec Jésus, comme Jésus, nous non plus, nous n’en voulons plus d’une religion de pharisiens hypocrites. Là où nous retrouvons Jésus, là où nous le reconnaissons, c’est là où nous sommes, là où nous vivons, là où nous cherchons, là où nous rêvons, là où nous aimons. Elle est là, dans notre vie, la foi des chrétiens. La foi que Jésus nous a donnée et qu’il voudrait nous redonner encore, ce n’est pas une foi religieuse, c’est une foi en l’humanité de Dieu. Ce Dieu qu’il nous a révélé n’est pas d’abord un Dieu religieux, mais un Dieu d’abord humain, je dirais même laïc, au sens positif du terme.

Et c’est ce Dieu-là que nous sommes fiers de connaître un peu, d’aimer, jamais assez, et de fêter ensemble comme nous sommes venus le faire ce matin.

Michel Deheunynck

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