Les olympiades culturelles s’installent parfois dans des églises. Ainsi, Billi Thanner, jeune plasticienne autrichienne, élève une œuvre de lumière à Saint-Eustache jusqu’en septembre 2024. La chronique de Jean Deuzemes
Une Église qui se veut dans la course
L’Église de Paris a lancé un grand projet d’accompagnement des JO 2024 : « Holly Games », reprenant la formule des JMJ mettant en place de nombreux évènements mobilisateurs. En outre, certaines églises de Paris et de sa proche banlieue ont été plus loin en recherchant des œuvres labellisées Jeux olympiques, les Olympiades culturelles. Malheureusement, elles ne sont pas faciles à repérer sur une carte.
Citons à Saint-Denis, à côté du Grand Stade, l’église Saint-Paul-de-la-Plaine qui a élaboré sa propre programmation en jouant sur ses réseaux locaux et nationaux jésuites pour accueillir : « Corps et âme », une exposition photos de Manuel Lagos et des vidéos de Jean-Baptiste le Souëff réalisées avec des habitants du quartier, mais aussi deux sculptures mises en dialogue. Un plâtre de Paul Landoski, le Pugiliste (1920) fait ainsi face à une création du jeune artiste contemporain Théo Stein, un agneau d’argile.
Au centre de Paris, Saint-Eustache, fort de ses propres réseaux, accueille une œuvre à la dimension de l’église : une échelle en aluminium revêtue de néon, de 21 m de haut aux multiples sens et références.
Le relais parisien de l’échelle de la paix
L’œuvre de Billi Thanner semble évidente pour un tel lieu. Elle est à l’échelle de l’architecture et produit la même émotion que les piliers qui l’entourent : le sens de l’élévation, le lien possible entre le ciel et la terre étant ici exprimés très simplement.
« Je souhaitais vraiment montrer à Paris un symbole de la paix. C’est le projet qui me tient le plus à cœur » dit l’artiste qui a créé cette œuvre pour la cathédrale de Vienne en 2021, puis a bénéficié de son transfert à Munster. L’œuvre fut tellement appréciée à Vienne que, devant rester 40 jours, elle resta en place un an et demi, à la demande de la population.
Dans le cadre de ce qui relève du « soft power » autrichien, l’œuvre a pris un nouveau titre parisien pour 2024. « Échelle de la Paix » est à rapprocher d’un terme de la devise olympique « Plus vite, plus haut, plus fort », elle devient signe de paix.
L’œuvre était plus impressionnante en 2021, à Vienne, « Pentecôte 21 : Quand les oppositions deviennent propositions » (Pfingsten: Wenn Gegensätze zu Für-Sätzen werden), dans la merveilleuse cathédrale aux tuiles vernissées, car elle était composée de deux parties, l’une intérieure jusqu’à la voûte, l’autre extérieure accrochée à la flèche comme si elle était le prolongement de la première. Lire StM HlM
À cette époque, l’objectif était autre : il s’agissait de donner un signe d’espoir visuel à tous, en pleine pandémie.
Saint-Eustache n’accueille que la partie intérieure, pour des raisons techniques.
Cette échelle est à mettre en lien avec le texte de la Genèse (28, 12-15), sans en être une illustration :
Jacob eut un songe : voici qu’une échelle était dressée sur la terre, son sommet touchait le ciel, et des anges de Dieu montaient et descendaient.
Le Seigneur se tenait près de lui. Il dit : « Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham ton père, le Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je te la donne, à toi et à tes descendants.
Tes descendants seront nombreux comme la poussière du sol, vous vous répandrez à l’orient et à l’occident, au nord et au midi ; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre.
Voici que je suis avec toi ; je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai sur cette terre ; car je ne t’abandonnerai pas avant d’avoir accompli ce que je t’ai dit.
Dieu reste incompréhensible, mais il se donne par tous les sens. Après sa double traitrise, à l’égard de son frère et de son père, Jacob fuit. Au travers de son rêve, il se sait non abandonné de Dieu et il reçoit une promesse. À son réveil, il désigne le lieu avec une pierre Bethel, la maison de Dieu. Et l’un des versets les plus importants est probablement celui-ci :
Jacob sortit de son sommeil et déclara : « En vérité, le Seigneur est en ce lieu ! Et moi, je ne le savais pas. » (28-16)
Même quand nous pensons être coupés de Dieu, en fait, nous ne le sommes jamais. (Texte de l’école biblique). Cette échelle est aussi une allégorie de la prière.
L’art s’est emparé de ce texte mythique, les artistes choisissant de mettre l’accent sur des personnages ou des mouvements. À Saint-Eustache, maison de Dieu à sa manière, l’œuvre est minimaliste, le vide dessiné par la lumière prévaut et il est question d’élévation de tout et de chacun. Le néon jaune d’or, chaleureux, se superpose aux couleurs multiples des vitraux du XIXe.
Un détail prend alors de l’importance : l’échelle s’appuie visuellement sur la phrase peinte « Pax Hominibus Bonae Voluntatis », en écho du titre de l’œuvre
En outre, elle passe devant la rose du croisillon nord où sont insérés quatre vitraux symboles des nautes de Paris, une heureuse conjonction avec la symbolique des JO 2024.
2021-2024 : une échelle et la musique
À Vienne, en 2021, il y eut deux évènements culturels, le plus important étant le musical. À l’occasion de la Pentecôte, l’échelle était intégrée à une performance retransmise sur les réseaux sociaux, signe de la modernité et de l’ouverture de son clergé.
Un rappeur chrétien, l’organiste de la cathédrale (prêtre et compositeur) et deux danseurs solistes de l’Association du Ballet de l’Opéra d’État de Vienne ont interprété le message de la Pentecôte à travers la rencontre de plusieurs univers musicaux : des personnes d’origines et d’approches de la foi différentes se rassemblent, se comprennent et trouvent un espace commun dans l’église. Dans la tradition chorégraphique de cette ville, il s’agissait de danser la Pentecôte (Lire article StMHlM ), un évènement hors normes.
En 2024, Saint-Eustache s’est vu proposer une performance de danse et de musique, mais le projet était ici de moindre ampleur théologique ou pastorale, il relevait plutôt du type vernissage d’évènement : « La Cinquième Saison » et « The Way Things Go » par Christian Ubl/CUBe et une interprétation musicale par le titulaire de l’orgue de chœur. Voir photos
2011. L’échelle de Jacob à Saint-Merry
Cette échelle de la paix est l’occasion de rappeler l’une des premières expositions à Saint-Merry : « L’échelle de Jacob » installation de Martine Chittofrati, qui voulait confronter son approche contemporaine du Baroque à celle de la Chapelle de la communion (1740-1760). L’artiste centra son interprétation du texte sur la représentation de Jacob rêvant, par une sculpture, et sur les mouvements des anges, par des dessins sur du tissu non tissé accroché dans tout l’espace.
Mais d’échelle, il n’y avait pas !
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