Michel Deheunynck, prêtre retraité du diocèse de Saint-Denis et membre de Saint-Merry Hors-les-Murs, a bien voulu nous permettre de partager sur ce site quelques-unes de ses homélies, dont vous pouvez retrouver l’intégralité publiées sous le titre La périphérie : un boulevard pour l’Évangile aux éditions du Temps Présent (et dont il reste des exemplaires disponibles à la vente chez l’éditeur).
Il commente ici Mt 25,14-30 (trente-troisième dimanche ordinaire, Année A), la parabole des talents.

À une première lecture de ce texte, on pourrait se dire : ce petit patron, il est bien malin, il a bien compris toutes les astuces, toutes les ficelles du capitalisme et surtout tout ce qu’il peut en tirer. Alors, il met en place ce qu’on appelle aujourd’hui « l’intéressement » de ses salariés. Et, bien sûr, en parts inégales, pour bien briser toute solidarité entre eux. Et voilà qu’ils tombent aussitôt dans le panneau. C’est qu’ils s’y croient ! Les mieux lotis jouent même le jeu à fond. Ils y prennent goût et valorisent le capital. Pendant ce temps, le vrai patron, lui, il part en voyage d’affaires. Il se fait oublier, mais… il réapparait pour encaisser tout le pactole que son personnel a produit. Après tout, il ne faut pas oublier que c’est lui le patron. Donc, c’est à lui, tout ça, c’est son capital, son profit. Seul le dernier, le moins bien servi, n’a pas pris le risque de perdre le peu qu’il avait en dépensant trop. Décidément, lui, il ne rentre pas dans la machine à faire du profit. Alors, il va se faire « lourder » par le patron qui ne peut rien en tirer pour son propre bénéfice.

Mais est-ce que notre Dieu serait vraiment dans cette caricature du patron rapace ? Pas du tout. Pourquoi ? Parce que pour lui, le capital le plus précieux, c’est l’humain, c’est nous. Chacune et chacun de nous, malgré toutes nos fragilités et toutes nos limites, on a plein de ressources. Et ça, Dieu, il le sait. Certes, nos ressources, elles ne sont pas cotées au CAC 40. Mais Dieu va vouloir les investir pour les mettre au service les uns des autres et au développement de tous, en complément du talent de chacun. Il est là, l’investissement humain de notre Dieu. Et pour cela, il nous rend participants à la création, en développant avec nous une qualité de vie solidaire et universelle, jusqu’à déboucher sur un monde vraiment nouveau.

Alors, ces talents que nous avons reçus :  cette tête, ce corps, ces bras, même quand tout ça n’est pas très en forme, à nous de les rendre productifs autrement qu’en les louant à des exploiteurs qui en abusent et en profitent pour eux, mais en les mettant au service les uns des autres pour contribuer à une libération de tous, exploités et exploiteurs. C’est cela la croissance. Cette croissance en humanité qui fait la joie de Dieu. Son investissement à lui, c’est nous !

Vous voyez que cette deuxième lecture du texte, elle est quand même plus sympa et plus dynamisante que la première. Mais cette parabole des talents, comme bien d’autres, elle visait les serviteurs de la loi religieuse qui pensaient être de bons serviteurs. Ils se mettaient à l’abri de toute déviation et de toute déformation en se protégeant par des formules, des règles, des rites, des dogmes. Alors Jésus leur dit : « C’est ça que vous avez fait de cette semence de vie que j’avais investie en vous ? »

Eh oui, le dépôt de la foi, il n’est pas à enfouir en toute sécurité sous un amas de traditions du passé. Il est toujours à faire fructifier en l’actualisant dans la confiance et l’ouverture.

Alors, ensemble, aidons-nous à dépoussiérer notre foi pour qu’elle produise toujours du neuf en nous et autour de nous. Laissons-la prendre des risques. Laissons-la affronter l’hostilité, comme nous le suggère le pape François. Dans le langage économique, on appelle ça la concurrence, la compétitivité. Laissons bousculer notre foi. C’est le signe qu’elle est bien vivante. Laissons-la produire de nouveaux talents. Laissons-la investir les ressources qui sont en nous. Lais­sons-la redonner, aux uns et aux autres, leur vraie valeur, non pas leur valeur marchande, mais leur valeur humaine.

Et alors nous pourrons, à notre tour, être fiers d’en rendre compte à celui qui n’est vraiment pas un patron comme les autres : Dieu !

CategoriesChroniques
Michel Deheunynck

Médecin retraité de la santé publique, prêtre et ancien aumônier en hôpital psychiatrique ; animé par l’humanisme de l’Evangile, il vit en Seine-Saint-Denis, où il s’est profondément attaché à ces populations en grandes difficultés sociales.

  1. Bernard Fauconnier says:

    Grand merci à Michel !
    Celui qui enterre et stérilise ce qui lui a été confié, le sort des forces de la vie se trompe : choisit la mort.
    J’aime (un peu trop ?) l’analogie faite avec l’absolutisme des dogmes dont les défenseurs acharnés, ayant défini la vérité une fois pour toute, la tuent.
    Ce qui reste étonnant dans ce texte, c’est que c’est celui qui a le moins reçu qui choisi la mort ; pas les deux autres, mieux lotis. J’aurais préféré l’inverse… Serait-ce à dire que ceux qui restent bloqués sur les dogmes sont justement ceux qui ont le moins reçu, le moins su recevoir ? Que le don de Dieu (Samaritaine) est beaucoup plus riche que cela ?
    Il me semble, honnêtement, que la parabole des talents ne dit pas cela : il ne s’agit pas du “don de Dieu”, mais de placements inégaux.
    La parabole, il me semble, dit que Dieu nous donne un peu de ses talents (sa force d’amour) ; que nous devons les mettre au service de son dessein qui est de faire régner l’amour et non de le rendre inutile à ce dessein.
    Mais pourquoi est-ce le plus mal loti qui se perd ???

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