Hier encore c’était au tour de Gaza. Aujourd’hui, c’est l’Ukraine, « durement frappée par les Russes », écrit Le Monde.

Hier, aujourd’hui. L’implacable balancier de l’actualité dicte ses règles à nos médias, fixe notre temps de cerveau disponible, car une horreur chasse l’autre : gare à la saturation ! Demain, il sera toujours temps de revenir sur les atrocités des uns ou des autres. De publier des reportages soignés, de multiplier les analyses. La presse française fait son métier et elle le fait plutôt bien, en comparaison à d’autres pays – le mien, l’Italie, pour ne pas le nommer – où l’uniformité des médias, à quelques exceptions près, est une des causes, sinon la cause, de la désaffection des lecteurs. Non, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Nous savons tout ou presque. Et nous nous taisons. Nos arguties nous empêchent d’appeler l’horreur par son nom. Tétanisés par l’accusation d’antisémitisme, nous n’entendons plus le cri de Gaza, nous fermons les yeux devant les massacres. Pire : nous avons cautionné le droit à la vengeance. Horrifiés par les atrocités du Hamas, que rien ne peut justifier, nous n’avons pas voulu voir le retour à la loi du talion, la surenchère de l’horreur, la planification de plus en plus évidente du nettoyage ethnique, d’abord à Gaza puis en Cisjordanie. Alors que l’amitié avec le peuple d’Israël aurait exigé la condamnation la plus ferme de ses dirigeants d’extrême droite, soucieux de leur pouvoir personnel plus que de la libération des otages et de l’avenir du pays.

Travailleurs humanitaires et journalistes assassinés, écoles et hôpitaux détruits, femmes et enfants massacrés au prétexte d’une complicité même involontaire (les fameux “boucliers humains”) avec Hamas, les Occidentaux ont continué à fournir, coûte que coûte, armes et autres aides à l’armée israélienne. Quant aux droits de l’homme, on peut les célébrer lors d’une Olympiade pour mieux les piétiner au quotidien.

Certes, les exceptions sont nombreuses : notre infatigable groupe d’amitié avec Gaza et beaucoup d’autres nous ont alertés, dans l’indifférence des gouvernants. Mais les raisons – si déraisonnables – de la soi-disant real politik, ont tout fait pour discréditer, parfois à coups de matraque, les protestations dans les campus américains, dans les universités françaises ou italiennes, et ailleurs.

« Dans Rama on entend une voix plaintive, des pleurs amers : Rachel pleure sur ses enfants, elle refuse tout réconfort, car ses enfants ont disparu », dit le prophète Jérémie (31,15). Le même cri et les mêmes pleurs retentissent lors du massacre des enfants de Bethléem, selon l’Évangile de Matthieu (2,18). De Rama et de Bethléem à Gaza, c’est l’humanité qui meurt. Car le cri des mères dépasse les époques, les ethnies, les couleurs de peau, les appartenances religieuses. Face au balancier de l’histoire, qui pourra dire : “je ne l’ai pas entendu” ?

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Pietro Pisarra

Journaliste et sociologue, il a été correspondant de la télévision italienne à Paris et enseigné pendant presque vingt ans à l’Institut Catholique.
En français, il a publié « L’évangile et le web. Quel discours chrétien dans les médias », éditions de l’Atelier, 2000. En italien, il vient de publier « La mosca nel quadro. L’arte svelata », Ave, Roma, 2021.

  1. Martine Rigaudière-Real says:

    Non Pietro, ns ne sommes pas tous tétanisés par la crainte d’être taxés d’antisémitisme !
    Certes, la conjoncture n’est pas simple mais il appartient à chacun de faire le tri dans sa tête pour, s’ajuster au mieux à l’intérêt supérieur de l’humanité et à porter assistance à tous, en premier aux plus faibles. En ce moment, nul doute qu’il s’agisse des Palestiniens ! Ce qui ne ns permet en aucune façon de passer à la trappe les horreurs commises par le Hamas et de négliger la douleur des familles juives impactées par ses outrances meurtrières.
    Nous sommes tous pris au piège d’une situation ingérable qui a pris racine il y a bien longtemps par le jeu des colonisations faits de petits arrangements entre amis, auxquels s’est ajouté l’abomination du nazisme. Mais si ns ns retrouvons certes être les malheureux héritiers de ce brûlot, ce double héritage ne fait pas de nous tous des coupables et encore moins des antisémites.
    Pécheurs, probablement, coupables, non.
    Enfin c’est ma conviction que je tenais à te partager.
    Bien fraternellement.
    Martine
    🌹🍀🌹

    1. MTh joudiou says:

      non, Gaza ne passe pas entièrement à la trappe. Quelques organes de presse français en parlent sans craindre d’être taxés d’antisémitisme.§ Par exemple, Médiapart (créé entre autres par Edwy Plenel )auquel chacun peut s’abonner.
      Le mensuel “Le Monde diplomatique” également qui ne manque pas de sources d’informations sérieuses et sait les transmettre.

      §Une spécialité de notre époque est de semer la confusion pour aboutir à nous faire perdre notre esprit critique.

  2. Jacques Clavier says:

    https://www.chretiensdelamediterranee.com/wp-content/uploads/2024/08/CIJ-Plaidoirie-Chemillier-Gendreau.pdf

    Plaidoirie de Madame Monique CHEMILLIER-GENDREAU, professeur émérite de droit
    public et de sciences politiques à l’université Paris-Diderot (26 février 2024)

    Sauver les Israéliens contre eux-mêmes, voilà à quoi la communauté internationale contribuera à travers l’avis consultatif que vous allez rendre. Je vous remercie de votre attention.

    https://www.chretiensdelamediterranee.com/appel-juif-international-contre-le-genocide-a-gaza-lance-par-lunion-juive-francaise-pour-la-paix-ujfp/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_source_platform=mailpoet&utm_campaign=actualites-de-chretiens-de-la-la-mediterranee_2

  3. Laurent Baudoin says:

    Oui, Pietro, il y a un déni de la souffrance palestinienne dans les médias courants. Une preuve symbolique : la façon dont France 2 a traité les sportifs palestiniens lors de la clôture des JO et de l’ouverture des paralympiques : à son passage, la délégation de Palestine n’a pas été citée, le commentateur de la chaîne s’évertuant à parler de la délégation précédente puis de celle qui suivait… C’était mesquin mais significatif d’un mépris officialisé.
    Heureusement, un peu partout dans le monde les exemples de soutien au peuple palestiniese multiplient et les appels au boycott d’Israël (reconnu légal par la justice, en France et dans le monde) commencent à inquiéter sérieusement les dirigeants israéliens.
    A Saint-Merry hors les Murs, pour préserver et faire vivre notre fidélité à l’Evangile (menacée par le silence et les ambiguïtés de l’Eglise), à défaut d’obtenir de la hiérarchie le “status confessionis” réclamé par les chrétiens de Palestine, sans doute gagnerions-nous à échanger sur le fond avec les Juifs courageux, humanistes et contestataires de l’UJFP et de Tsédek, dont la réflexion très avancée sur des points cruciaux (antagonisme judaïsme/sionisme, interprétation des textes bibliques, chantage à l’antisémitisme, lutte contre tous les racismes, etc.) nous aiderait à sortir de l’ornière théologique, liturgique et morale dans laquelle je déplore que nous nous trouvons.
    Laurent B.

  4. jean-Marc Noirot says:

    Une initiative parmi d’autres.
    Tous les samedis, de 12h à 13h, devant le Musée Pompidou-Beaubourg à Paris, se tient un Cercle de Silence pour exiger un cessez-le-feu immédiat et durable en Israël-Palestine. Initié par le réseau SpiFrat, Spiritualités Fraternité, de Saint-Merry-hors-les-Murs, il est rejoint par des personnes d’autres communautés croyantes, agnostiques ou athées, toutes convaincues qu’en tant que citoyennes, leur devoir d’humain est de “crier” en silence, interpeller la conscience des passants : “Nous savons, vous savez que le sang coule à flot au Proche-Orient (et ailleurs). Nous sommes, vous êtes complices de ces crimes sans nom si, colibris de l’opinion publique, nous n’interpellons pas les décideurs, premiers responsables qui n’ont pas souci de la vie et de la dignité des autres… comme de la leur propre ? ”

    Jean-Marc Noirot

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