Il n’est pas question ici de résumer un livre, mais bien plutôt d’en partager le plaisir de la lecture, ou simplement l’enrichissement qu’elle procure. C’est ce que nous propose Guy Aurenche à propos du dernier livre de Marie Balmary Ce lieu en nous que nous ne connaissons pas, éd. Albin Michel, 2024
Ce dernier travail de Marie Balmary ne se résume pas ; il se « risque », comme on ose une rencontre. Avec une psychanalyste, « théologienne » (parlant de Dieu), traductrice de surcroît, travaillant en groupes, une telle aventure réserve des surprises.
« Auprès de Dieu »
Comme cela se passa avec un chauffeur de taxi auquel l’auteure expliquait son travail de traductrice de la Bible, un jour de Noël. Ayant décelé une faute de traduction de l’expression « Tout est possible à Dieu », elle précisa à son chauffeur, que le texte disait : « Tout est possible, auprès de Dieu » ; ce qui enchanta le conducteur, semblant libéré de l’image d’un Dieu Tout-Puissant et solitaire. Marie Balmary signale qu’il en est de même lorsque les traductions font dire à Marie, dans l’épisode des noces de Cana : « Faites tout ce qu’il vous dira ! ». Impensable pour notre traductrice de laisser Marie enfermer Jésus dans la toute-puissance. La véritable traduction ne comporte pas le « Tout ». « Faites ce qu’il vous dira ». Alors la confiance remplace la simple obéissance servile et donne au geste des serviteurs toute la valeur d’une relation vraie et volontaire.
J’avoue que ce travail de traductrice vigilante et compétente me soulage aussi, et m’invite à poursuivre la lecture des textes bibliques, dans le même esprit. La traduction n’est pas une opération de fantaisie destinée à nous donner raison, ni à satisfaire nos angoisses métaphysiques. Marie Balmary nous le démontre à propos d’autres passages des Évangiles, qui furent ou sont encore traduits soit faussement soit d’une manière partiale ; c’est-à-dire pour justifier la vision que telle autorité peut avoir de Dieu à telle époque. Il faut souvent accepter la pluralité de sens, la signaler avec honnêteté et inviter le lecteur à un travail d’approfondissement qui laisse ouverte la question de « l’inconnaissable ».
La relation libératrice
Jusqu’à devenir créatrice. Ainsi l’auteure lit-elle la parabole des talents, loin de toute interprétation moralisatrice. Trois personnages reçoivent un certain nombre de talents, et le maître disparaît. Le temps du don, y compris celui de la pleine liberté. Pas de consigne particulière. Comment chacun des bénéficiaires va-t-il réagir ?
Les deux premiers accueillent la confiance qui leur est faite et se libèrent de leur position de serviteurs. Le cadeau qui leur a été donné est celui de la reconnaissance de leur pleine capacité ; il les transforme en créateurs, à leur tour. Ils acceptent le don et le font leur. Ils prennent leur responsabilité et s’engagent dans un processus de fructification. Chacun prend un risque à sa mesure. Leur interlocuteur n’est plus considéré comme un comptable exigeant mais reconnu comme un frère stimulant. À son retour, il ne leur demande pas des comptes, mais un « conte » (la traduction permet de choisir ce sens), sous forme de compte-rendu de leurs initiatives dont il les croyait capables. Devant leurs résultats, l’ex-patron n’hésite pas à leur partager ce qu’il a de plus précieux : sa joie pleine et entière. Comme avec des frères qui ont fait l’expérience inestimable de la confiance responsable. Ils ne sont plus serviteurs, mais frères.
Le troisième ne s’est pas engagé dans la même relation. Il est resté serviteur face à celui qu’il qualifie de « maître » exigeant. Il n’a pas voulu entrer dans la démarche risquée de la confiance. Celle-ci est remplacée par une prétendue connaissance de qui est Dieu : « Je savais que tu es… ». Rejoignant en cela notre propre réflexe confortable de se fabriquer un dieu, plutôt que d’accueillir un père source de fraternité joyeuse. Croire ou savoir, il faut choisir !
Ce lieu mystérieux
À travers bien d’autres lectures, (Le jeune homme riche, le Notre Père, le lavement des pieds, l’eucharistie, l’énigme Marie-Joseph, …), Marie Balmary propose des « traductions » en termes d’alliance et de fraternité. Un choix tout à fait dans la tradition biblique. Quel est ce lieu mystérieux qu’elle évoque dans le titre de l’ouvrage ? L’auteure utilise le pluriel : « En nous ». La perspective d’alliance est constitutive de notre être même. Nous ne sommes pas seulement « Je », mais aussi et d’abord « Nous ». Nous sommes d’abord « alliance ». C’est le message que nous révèle la vie de Jésus. Il n’est pas surprenant que nous ne connaissions pas ce « lieu qui est en nous ». Il n’est pas objet de connaissance objective, mais d’une expérience de confiance. L’auteure nous invite à en prendre le risque.
Bonne et riche lecture !
Lien vers la présentation de l’ouvrage sur le catalogue de l’éditeur : cliquer ICI
Franchement, merci, ça donne envie de s’y plonger !