Le livre Louée soit la lecture contient des messages théologiques importants. En bon jésuite, le pape François nous partage des réflexions très profondes, sans nous faire la leçon. Bien au contraire, il nous associe à sa passion et peut rejoindre ainsi bien des lecteurs non chrétiens.
Imaginez le pape François, animateur d’un soir de l’émission la Grande librairie ! Ou bien allongé sur la moquette d’un salon, au coin de la cheminée, totalement absorbé par un livre de… Borgès, Marcel Proust, Jean Cocteau, T.S. Éliott, Claudel, Bernanos, Paul Valéry…
Lecture, une passion à partager
Cette nouvelle Lettre papale est le message d’un homme dont la vieillesse juvénile ouvre le cœur et l’intelligence à la beauté de la littérature, accoucheuse de la complexité humaine. Il tient à nous faire partager sa passion. « Je veux parler de l’importance de la lecture de romans et de poèmes dans le parcours de maturation personnelle ». Destinant sa réflexion aux formateurs des futurs prêtres, il a heureusement élargi le cercle des destinataires de sa confidence à un public plus large. Un immense merci pour ce cadeau stimulant et profond. Sans oublier la remarquable préface de William Marx aux éditions des Équateurs.
En bon pédagogue, il explique en quoi la lecture enrichit notre intériorité, notre capacité à discerner et à résister à la « désolation », à l’agitation et à l’insatisfaction qui assaillent nos contemporains.
Lire c’est élargir notre humanité et notre capacité d’empathie.
En effet, à travers les livres, nous voyons la vie avec les yeux d’un autre. Nous devenons compagnons de route de nos contemporains, de leur complexité, à travers l’exploration originale des abîmes que traversent les habitants de cette terre, « entre salut et perdition dont les frontières ne sont pas a priori définies ». Cette tolérance stimulante est fort sympathique sous une plume pontificale !
Devenir co-auteur
En lisant, nous ne sommes pas passifs car nous nous approprions l’œuvre littéraire et la colorons de nos sentiments. Le lecteur devient co-écrivain. En lisant nous nous rendons disponibles à la présence de l’autre, de l’Esprit ; qu’il s’agisse d’auteurs chrétiens ou non, d’hier ou d’aujourd’hui, appartenant à notre culture ou à celle d’autres mondes.
Le livre Louée soit la lecture contient en effet des messages théologiques importants. En bon jésuite, le pape François nous partage des réflexions très profondes, sans nous faire la leçon. Bien au contraire, il nous associe à sa passion et peut rejoindre ainsi bien des lecteurs non chrétiens.
Pas tout blanc ni tout noir
François, à travers la lecture, invite à accueillir la complexité humaine dans laquelle « tout n’est pas tout blanc ou tout noir ». « Ne pas condamner à mort un texte » parce qu’il ne coïncide pas avec nos idées. Prendre de la distance, contempler et écouter, « Laisser émerger l’infini démesure de l’être ». L’Église catholique ne nous a pas toujours habitués à un tel discours vantant la diversité positive. Rejetées, les procédures de mise à l’index (quand ce n’était pas au bûcher), qui renvoyaient nombre d’ouvrages aux enfers et dictaient aux catholiques le catalogue des bonnes lectures, seules fréquentables. N’oublions pas que la « mise à l’index », cette censure religieuse qui mettait au pilori certaines œuvres fondamentales de la société humaine, ne fut supprimée que dans les années 1960.
Par ailleurs, le risque du relativisme infécond ne guette-t-il pas le lecteur ? Il n’en est rien pour le pape François. Développer l’empathie envers tous les rendez-vous qui questionnent notre humanité, éclaire notre discernement. Louée soit la lecture ne prétend pas faire disparaître notre capacité à choisir moralement la juste voie. Bien au contraire. Le pape se réfère souvent à l’apôtre Paul qui rappelle que « Tout est possible, mais tout ne construit pas ».
La lecture éclaire notre capacité de discernement c’est-à-dire de choisir la vie, la vie pleine et bonne, que certains qualifient de vie éternelle. Cet ouvrage montre aussi que s’exercer au plaisir risqué et émouvant de la lecture, revient à entrer dans « une sorte de gymnase de discernement qui aiguise les capacités sapientielles d’examen intérieur et extérieur ». Le pape ajoute :
« La littérature devient… un gymnase où l’on entraîne le regard
à chercher et à explorer la vérité des personnes et des situations,
en tant que mystère. »
Poésie vers l’invisible
Et voici que la théologie se marie avec la lecture de livres de poésie. Comme un grand nombre de latino-Américains, le pape François apprécie la poésie. « Le problème de la foi aujourd’hui n’est pas avant tout de croire plus ou moins aux propositions doctrinales. Il s’agit plutôt de l’incapacité de nombre de personnes de s’émouvoir devant Dieu, devant sa création, devant les autres êtres humains ». Oui la poésie est bonne pour « guérir et enrichir notre sensibilité ». Pour le théologien Karl Rahner « la parole poétique invoque la parole de Dieu ». Par sa capacité à toucher notre cœur, à emprunter des voies différentes de celles de la seule description ou du raisonnement implacable, la poésie rejoint le fond, parfois caché, de notre âme. La poésie se fait humble et devient alors invitation puissante à la disponibilité, à l’accueil gratuit de l’autre, dans tous ses mystères indicibles. Un tel acte est vraiment religieux c’est-à-dire outil de lien, moyen pour re-lier les créatures entre elles et avec Dieu.
Le pape emprunte sa conclusion au poète, non chrétien, Paul Celan. Celui qui lit, en particulier de la poésie, est aussi « celui qui apprend vraiment à voir (et) s’approche de l’invisible ».
Laissons-nous prendre par la lecture de cet ouvrage très personnel, brûlant et simple à la fois. Prenons le risque, accompagnés par le pape, grand lecteur et poète, de nous donner, de nous abandonner à la lecture, d’approcher notre propre mystère et celui de nos frères–sœurs en humanité. Vraiment la lecture : une sacrée aventure !