C’est peu de temps après l’oukase d’Aupetit que quelques-uns des membres avisés de Saint-Merry proposèrent d’ajouter Hors-les-Murs au nom de notre communauté. Mais que fallait-il entendre par là ? Hors les murs pour bien souligner le geste qu’un vulgaire fonctionnaire clérical nous avait imposé en nous expulsant de la communauté catholique de Paris alors que nous continuions de nous réclamer de nos origines ? Ou était-ce parce que nous voulions échapper aux murs de l’Église qui enferment, enserrent par peur ? Ou encore parce que nous avions décidé de continuer à témoigner de l’Évangile d’une autre manière avec la même inventivité, la même liberté qui étaient les nôtres au centre de la capitale ? À chacun son idée. Toutefois pour beaucoup d’entre nous, se savoir désormais hors-les-murs portait en filigrane plus ou moins lointain l’espérance élective d’un autre territoire. En sommes-nous encore loin ?
L’expression pourtant se prête bien à notre situation puisqu’elle s’inscrit en creux dans un système de références passées. On pense immédiatement à Saint-Paul-hors-les-Murs, l’une des quatre basiliques majeures de Rome, sise à l’emplacement présumé de l’ensevelissement de l’apôtre des Gentils. C’était alors un domaine privé situé à l’extérieur du mur d’Aurélien, enceinte fortifiée édifiée entre 271 et 282 et destinée à protéger la ville. L’endroit devint à partir du IVe siècle un lieu de pèlerinage de plus en plus prisé, et peu à peu à l’image de la catholicité romaine. Serait-ce hors-les-murs que finit par se nicher la sainteté puis se déployer la célébrité ?
Mais, dans l’histoire européenne, ce « hors-les-murs » permit longtemps de distinguer, voire d’opposer la ville à la campagne. Le monde urbain, enfermé dans ses fortifications, le plus souvent centre des pouvoirs politique, économique et culturel, se protégeait ainsi du plat pays rural, mal contrôlé et habité par des rustres aux coutumes suspectes. Ne croyait-on pas, encore au XVIe siècle que ces derniers attendaient la nuit pour prendre l’aspect de chats-huants, d’oiseaux de proie, de hiboux menaçants afin de venir attaquer les habitants des villes dans leur sommeil. Si l’on excepte le mur des Fermiers-Généraux érigé à Paris entre 1784 et 1790 pour des raisons fiscales, c’est surtout au cours du XVIIIe siècle que les murailles furent jetées bas, signe d’un effacement de l’appréhension réciproque entre villes et campagnes. Serait-ce hors-les-murs que se tapissent les malfaisants et leurs pratiques illicites, peur récurrente des dominants ?
Enfin ce hors-les-murs renvoie aussi à l’expulsion des morts loin des cimetières entourant les églises urbaines. Cette pratique ancienne devint systématique dans les villes de la fin du XVIIIe siècle. Sous le prétexte hygiéniste, non dénué de fondements, mais aussi au nom de la « décence du culte », l’ensevelissement à même la nef provoquant moult désagréments, ou d’attendus philosophiques, les monarques, largement soutenus par le haut clergé et les édiles, décidèrent de chasser les morts hors de la cité. Les Pays-Bas autrichiens en juillet 1774, la France en mars 1776 et même les États pontificaux en avril 1782 avant les territoires de l’Empire et des royaumes d’Espagne imposèrent le transfert des cimetières hors des périmètres paroissiaux. Leur lente mise en place en raison de résistances parfois violentes n’en bouleversèrent pas moins profondément le rapport étroit qu’entretenaient alors les vivants et les morts. Désormais, pour reprendre une observation des curés de Paris, « L’indifférence consommera l’oubli et accoutumera infailliblement et avant peu les chrétiens à penser que les morts ne sont plus rien et qu’ils n’ont besoin de rien. Dans le dépérissement actuel de la foy et des mœurs, cela fera tout son effet ». Serait-ce hors-les-murs que l’on assigne une place à ceux que l’on tient désormais pour inutiles ?
Pour nous qui fûmes expulsés sans être entendus, tels d’ingérables suspects, notre hors-les-murs ne s’apparente ni à un lieu de pèlerinage, ni à un lieu de suspicion et moins encore à un lieu de sépulture. C’est juste une manière d’être provisoire, diaspora générée par un nomadisme forcé donc difficile, mais purifiant et innovant. Alors que depuis près de quatre ans, nous sommes toujours hors-sol mais parfaitement lucides face aux défis à affronter, il est plus que temps de recevoir un ancrage territorial pour conserver à la communauté la volonté de vivre une réelle liberté pastorale et d’entretenir cette ouverture attentive à chacun, quel qu’il soit, hors-les-murs ou pas, au nom de l’Évangile.
Merci Alain pour ce texte fidèle à notre histoire et à entrées multiples…Jean-Luc