La troisième édition du festival a rassemblé six cents cinquante participants en août dernier autour du thème “Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice“. Avec conférences, ateliers, concerts, théâtre, témoignages, danse. Deux membres de Saint-Merry Hors-les-Murs y étaient.
Un festival vraiment inclusif
Les participants sont pour la plupart des chrétiens engagés, désireux de vivre un temps de convivialité, de réflexion et de prière communautaire, interreligieuse ou personnelle.
Un jeune homme le résumait ainsi : « Là où je suis engagé politiquement, impossible d’évoquer la foi ; quand je me trouve en Église, impossible de parler de mon engagement politique. » Si les 20/35 ans représentent une large majorité, leurs enfants sont nombreux (des espaces, des activités leur sont proposés) et les “cheveux blancs“ se comptent en plusieurs dizaines. Chacun est respecté, quels que soient son âge, son orientation sexuelle, son genre ou sa remise en cause, son origine, sa culture, sa sensibilité et sa religion ou son absence de religion.
Les “pas bien vus“ de la société, les “mal vus“ de l’Église, sont les bienvenus
et la chaleur humaine qui règne là, fait du bien.
Une vraie rencontre entre générations
Un grand brun, les mains dans l’eau de vaisselle, salarié d’une grande entreprise décide de démissionner : « mon travail me déplaît ; je veux que mon métier ait un sens, qu’il remette du sens dans ma vie. » Un nouveau papa opte pour un habitat collectif et solidaire, conforme à ses idées morales mais il hésite : « Si nous devons changer de région ou trouver plus grand à cause de nouveaux enfants, nous récupèrerons notre mise, ni moins, ni plus. En revanche, si nous achetons une maison particulière maintenant, même en empruntant beaucoup, elle prendra de la valeur avec le temps. Quand nous devrons changer, en la vendant, nous aurons plus d’argent pour offrir plus de confort à nos enfants… En même temps, j’ai honte de penser ainsi. » Cette jeune femme, enceinte, vient d’épouser un homme d’une dizaine d’années plus âgé qu’elle, déjà papa d’un grand ado et divorcé : « Nous sommes croyants, nous cherchons un prêtre qui accepte de nous accueillir dans l’Église, d’officialiser notre union, de nous bénir. Dans notre coin de pays, aucun n’a accepté. » Et ce fermier qui baissait les bras : « Je passe à l’écologie. Je dois acquérir de nouvelles compétences pour vendre en direct aux consommateurs et transformer mes produits. Mon chiffre d’affaires reste bas, mes revenus indignes. L’Église ne nourrit pas mes espérances mais, l’espérance, je l’ai au bout du cœur et au bout de mes champs. La terre nous apprend l’humilité, la simplicité, la fragilité. »

tout ce qui pèse sur chacun,
symbolisé par des pierres, est déposé au sol et dessine une croix.
Photo Laleh Joncheray
Participer au festival des Poussières, c’est rencontrer une génération de jeunes en âge de fonder ou non une famille, d’entrer dans un monde du travail qu’ils veulent sensé, qui se battent pour une société plus égalitaire, plus fraternelle dans un monde où se retisserait l’unité du genre humain. Pour eux, bien au-delà de l’Église institutionnelle qui les attristent, à laquelle ils reprochent ses silences, ses perversions, ses lourdeurs et ses lenteurs, il s’agit de créer une société conforme aux valeurs de l’Évangile. Ce ne sont pas de doux rêveurs. Ils s’affrontent aux réalités et s’y blessent. Anxieux dans un monde âpre, ils ont besoin d’être ensemble, de trouver des lieux où vivre leur foi avec d’autres, en conformité avec leurs valeurs, tout à la fois : croyants, citoyens en lutte pour la justice, parents, travailleurs et bâtisseurs d’avenir.
Apprendre et connaître
D’un dialogue entre un sociologue renommé et une jeune doctorante, à propos des chrétiens de gauche, on revient éclairés sur leur évolution et on comprend mieux leur désir de s’affirmer. D’une rencontre avec un rabbin antisioniste, on trouve des réponses face à ceux qui confondent antisionisme et antisémitisme. D’un atelier sur la lutte chrétienne contre l’extrême droite, on revient plus instruit sur la main mise de quelques milliardaires sur la presse ou des institutions.
Et que dire du grand nombre d’associations rencontrées ? Anastasis d’abord, d’autres déjà connues : ATD Quart Monde, le café associatif Dorothy, Lutte et contemplation, le Théâtre de l’Opprimé. Et des surprises : Les Journées Paysannes“ (journées-paysannes.org), Les Peuples Veulent (thepeoplewant.org), réunion d’organisations du monde entier pour construire un internationalisme par le bas qui se concentre sur les intérêts des peuples et non ceux des États. Par exemple Sudfa-Media produit un petit journal papier sur la guerre au Soudan (sudfamedia@gmail.com).
En résumé, au festival des Poussières, il y a une flamme,
une flamme qui rappelle celle du CPHB, il y a 50 ans.
Joëlle Choisnard Chabert
Avec l’aimable autorisation de la revue Golias Hebdo, nous reproduisons ici l’un de leurs articles sur cet évènement.
Le festival des Poussières, tout à la gauche du Christ !
13 heures. À peine arrivé au festival ce jeudi 21 août, je commence déjà à ressentir cette ambiance et cet apaisement qui m’avaient tant marqué l’année dernière. Je retrouve quelques visages connus, des rencontres du festival des Poussières 2024 mais aussi des chrétiens rencontrés à diverses occasions. Après avoir installé ma tente dans la grande plaine de Goshen, située dans le département de la Côte-d’Or en Bourgogne, je rejoins les autres participants pour l’introduction et le lancement du festival sous le grand chapiteau. Peu de temps après le début de ce lancement, la pluie s’abat sur le festival. Malgré tous nos efforts pour parvenir à tenir tous ensemble à l’abri sous le chapiteau, je fais partie de ceux dont le corps dépasse suffisamment de la toile pour échapper totalement aux vêtements mouillés. Néanmoins, il faut bien plus que quelques gouttes de pluie pour atténuer le soleil qui se répand déjà dans les cœurs à Goshen.
Ce qui fait la singularité de cet événement chrétien, c’est la complémentarité entre pratiques religieuses et propositions politiques sur les enjeux sociaux, écologiques et spirituels. L’affiche du festival des Poussières indique notamment « Évangile & Révolution ». Concernant ce slogan, Théo Moy, membre de l’organisation des Poussières, me répond : « Il dit beaucoup du positionnement politique qui réunit les organisateurs. Nous sommes dans une véritable critique du capitalisme et on cherche le dépassement. Il ne s’agit pas de s’inscrire dans un courant précis. Pour le dire simplement, nous ne sommes pas des sociaux-démocrates. Nous pensons que nous sommes dans une société profondément injuste. Le festival des Poussières c’est un événement pour réfléchir ensemble sur ce sujet autour de notre foi et de nos engagements. »
Un festival qui ne cache pas son positionnement tout à la gauche du Christ !

Une cohérence écologique, sociale et spirituelle
« Toutes les créatures sont liées […] et tous, en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres », écrivait le pape François dans son encyclique Laudato si’. Commencer ce paragraphe par une citation d’un texte du pape François, c’est une manière de rappeler comment sa pastorale résonne encore des mois après sa mort dans les cœurs et les têtes des festivaliers des Poussières, notamment chez les plus jeunes. Grégoire, membre de l’association chrétienne féministe Magdala, me déclare :
« Son appel à sortir de notre canapé, comme une exhortation à quitter mon confort et mes privilèges, résonne régulièrement en moi. »
Le sociologue des religions, Jean-Louis Schlegel, présent lors du festival, m’écrit par courriel : « Ce qui m’a frappé, c’est le souci écologique, tel que défini par François dans Laudato si’, qui semble imprégner et traverser tout. Au fond, j’ai découvert une “génération François” que je ne connaissais pas (je croyais même qu’il n’y en avait pas !), sans doute marquée par d’autres textes et discours de François, mais centralement par le thème écologique, par la défense de la nature aussi comme défense de la vie, des pauvres, des rejetés, contre la “culture du déchet”, etc. »
Si plusieurs festivaliers catholiques me précisent qu’ils n’ont « pas toujours été d’accord avec le pape François dans ses déclarations », notamment sur la question de l’IVG, ils sont nombreux à reconnaître l’importance qu’il a eue dans leur vie de foi et dans leurs engagements.
Ce qui marque au festival des Poussières, c’est la cohérence entre le fond et la forme, entre ce qui est dit et ce qui est fait, entre les enjeux écologiques et les enjeux sociaux, tout cela avec la spiritualité chrétienne comme toile de fond. Sur le plan écologique, le festival a lieu dans l’éco-hameau chrétien de Goshen, lieu qui se définit sur son site comme « pratiquant […] une écologie du quotidien » et expérimentant « des modes de vivre-ensemble à la fois sobres et respectueux de l’homme et la nature […] ». Pour limiter au maximum l’impact écologique de ce festival réunissant plus de 650 personnes, les organisateurs misent sur la prévention et sur une organisation peu coûteuse écologiquement. Toilettes sèches et douches en extérieur à l’aide d’un seau rempli afin de limiter la consommation d’eau, tris des déchets, nuits en tente, cuisine 100 % végétarienne avec des produits majoritairement bio et locaux, incitation au covoiturage et mise en place d’une navette pour les festivaliers arrivant en train à la gare de Dijon, etc.
Un séminariste me confie qu’il vient notamment chercher dans ce festival des réponses sur comment
vivre pleinement la foi et l’écologie.
Le festival des Poussières n’est pas simplement cohérent d’un point de vue écologique. Tout est fait pour que les participants puissent vivre une expérience sociale pleinement inclusive, bienveillante et sécurisante. Que ce soit par une ligne d’écoute pour les violences sexuelles et sexistes, par la présence de « référents inclusivité », par un coin hyposensibilité pour les personnes sensibles aux bruits et aux stimulations sensorielles, ou encore par un programme dédié aux enfants pour ne pas fermer l’accès aux parents à ce festival, les organisateurs portent une attention particulière à ne laisser personne sur le côté et à « aimer et accueillir tout le monde »[1]Encyclique Fratteli Tutti.. Les nombreux ateliers et activités ludiques ou manuelles, en plus des propositions réflexives et intellectuelles, rentrent dans cette logique de s’adresser au plus grand nombre et de « répondre aux besoins de chacun et chacune », selon Théo Moy, l’un des organisateurs. Pour Julie, membre de l’organisation et syndicaliste : « Nous étions trois femmes dans le pôle de coordination avec comme mandat de s’assurer que les questions d’inclusivité au sens large étaient prises en compte par chaque pôle. La ligne, c’était de faire un festival ouvert à tous et toutes et que si on devait faire des choix, ils seraient en faveur des personnes marginalisées par nos Églises et notre société. »
À Goshen, même le pain est militant. Il est réalisé par un couple de boulangers itinérants, liés au réseau de l’Internationale Boulangère Mobile, dont la mission est de soutenir bénévolement les luttes sur l’ensemble du territoire partout où il y a des mobilisations sociales ou écologiques, en produisant du pain au levain et des biscuits dans des fours mobiles. Ce couple est également très engagé pour La Boulange à la Frontière à destination des personnes exilées[2]Pour soutenir financièrement cette initiative à destination des réfugiées : https://www.helloasso.com/associations/
association-les-depavees/formulaires/4.
Si le festival est ancré dans la religion chrétienne, les croyants d’autres confessions ont également leur place parmi les festivaliers. Le temps de prière interreligieux du vendredi matin témoigne de cette volonté de faire vivre le dialogue et la communion avec les frères et les sœurs des autres traditions. Dans le livret distribué dès le premier jour aux participants, nous pouvons lire sur ce temps interreligieux : « Dans un monde fragmenté, nous croyons que chaque tradition monothéiste est une voie unique menant à Dieu et à l’accomplissement spirituel des humain·es. […] À l’heure où les replis identitaires menacent le vivre-ensemble, cette communion spirituelle nous apparaît comme un acte citoyen et militant essentiel. »
Participer à ce festival, c’est faire l’expérience d’une forme de sobriété heureuse dans un cadre inclusif et ouvert. Il s’agit de prendre conscience que réduire notre surconsommation et nos modes de vie, en plus d’être cohérent écologiquement et socialement, peut être vécu avec joie si cela s’accompagne d’une plus grande richesse spirituelle et sociale. Au festival des Poussières, les liens prennent le dessus sur les biens.
« La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété.
pape François, encyclique Laudato si’
On peut vivre intensément avec peu ! »
De Goshen à Gaza
Le génocide en cours à Gaza et la souffrance incommensurable des Gazaouis sont régulièrement
rappelés au festival des Poussières, comme une toile de fond qui vient empêcher que cette joie des Évangiles partagée ici ne puisse nous faire oublier ce qui se vit au même moment à plusieurs milliers de kilomètres. Dès l’introduction du festival par les organisateurs le jeudi soir, la cause palestinienne résonne parmi d’autres messages sur l’actualité et sur les événements actuels auxquels nous sommes tous et toutes confrontés. Le vendredi matin, c’est dans le témoignage de sœur Bénédicte, vivant dans un monastère à Bethléem, que la souffrance des Palestiniens s’est fait entendre : « On entend quotidiennement des avions passer au- dessus du monastère pour aller bombarder Gaza. […] Je suis témoin tous les jours de la souffrance des Palestiniens. » Le lendemain, c’est par la voix du rabbin Gabriel Hagaï dans une conférence intitulée « Peut-on critiquer le sionisme au nom du judaïsme ? » que la cause palestinienne est de nouveau dans les têtes des festivaliers présents. « Les colons israéliens, ce sont nos Daesh à nous. Ils ont déshumanisé et terrorisé les Palestiniens. […] Comme Caïn et Abel, ce sont des frères qui s’entretuent. […] Le sionisme n’est pas un mouvement religieux. Le sionisme considère les juifs comme un peuple. On tombe alors vers une forme de nationalisme. » Jusque-là cantonnée aux lieux de conférences et d’ateliers, la lutte pour le peuple palestinien s’est incarnée le samedi en fin de journée au sein du coin prières. En effet, lors de l’introduction de la prière queer, les personnes venues prier dans ce temps inclusif ont notamment pu entendre pendant plusieurs minutes « Free Free Palestine ». Ces enregistrements sonores diffusés par les enceintes du lieu sont issus d’une manifestation de dénonciation du génocide, plaçant ce temps de prière organisé par des personnes LGBTQIA+ sous le signe de la lutte pour les droits des minorités opprimées et persécutées.
Pour Théo Moy et Alexandre, tous deux membres de l’organisation du festival, il n’y a pas une intention volontaire de faire de la cause palestinienne « un fil rouge » pendant les quatre jours. Néanmoins, Théo Moy précise : « C’est un sujet qui nous touche tous et toutes et qui traverse nos luttes. Cette cause s’impose au festival, et je le dis, ça devrait s’imposer à tous les chrétiens. » Pour Julie, également membre de l’organisation : « C’est important de parler de la cause palestinienne partout et tout le temps. Je pense qu’il est important de s’affirmer, en tant que chrétien, en solidarité avec tous les peuples colonisés et opprimés. » À la fin de son témoignage, sœur Bénédicte rapporte la parole suivante qu’une réfugiée palestinienne lui avait demandé de transmettre aux Français : « Rappelle-leur simplement que nous sommes des êtres humains ! »
Écouter la clameur des victimes de violences sexuelles
Si le pape François nous avait collectivement invités à « écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres »[3]Encyclique Laudato si’., les organisateurs du festival des Poussières souhaitent également nous faire entendre la clameur des victimes de violences sexuelles et pédocriminelles.
La représentation de la pièce de théâtre « La Peur » sous le grand chapiteau est le premier temps sur ce sujet durant le festival. Cette pièce nationalement connue de François Hien met en scène les contradictions et les pressions d’un prêtre de paroisse souhaitant témoigner contre son évêque qu’il accuse d’avoir couvert un confrère pédocriminel. Avec précision, les interventions des comédiens déconstruisent et dénoncent le système interne de l’Église catholique favorisant les violences sexuelles et la protection des agresseurs.
À la fin de la pièce, plusieurs personnes réagissent et font entendre leur témoignage. Parmi elles des proches de victimes, une sœur d’un prêtre, une journaliste spécialisée sur ce sujet, un prêtre en activité, etc. Lors d’un échange ensemble, François Hien, le metteur en scène, me confie être un « catholique contrarié », « pas heureux avec l’Église telle qu’elle est aujourd’hui ». Il a connu des personnes victimes de violences au sein de l’Église. Pour lui : « Nous sommes beaucoup de catholiques à avoir un sentiment de honte et de solitude face aux dérives de l’institution. »
En résonance avec cette représentation du vendredi, la conférence du lendemain par Matthieu Poupart, proche de victimes, membre de l’un des neuf groupes de travail post-Ciase, fondateur du collectif Agir pour notre É glise et auteur du livre Le silence de l’agneau[4]Matthieu Poupart, Le silence de l’agneau. La morale catholique favorise-t- elle la violence sexuelle ?, Seuil, 2024., nous propose une analyse de la morale sexuelle catholique pour comprendre comment elle favorise les violences. « Dans l’Église catholique, on ne parle jamais de violence, ni de son pendant positif, à savoir le consentement ! […] Il y a un angle mort sur la question de la violence. […] Ce néant n’a pas aidé les communautés réelles à voir les violences sexuelles en leur sein. »
Sur la représentation de la pièce « La Peur », Matthieu Poupart, s’il reconnaît la qualité et l’importance de cette œuvre, met néanmoins en avant ce qu’il considère comme une incohérence quand le personnage de la victime explique être épanoui intimement dans un couple avec un autre homme. Pour l’auteur de Le silence de l’agneau : « Un enfant enculé à 8 ans ne peut pas être stable et heureux dans sa relation intime et sexuelle à 20-25 ans. C’est statistiquement infime. » Sur ce vécu du personnage, François Hien m’indique que cette situation est probablement rare mais qu’il ne souhaitait pas présenter les victimes comme obligatoirement enfermées dans une « vie de malheur ». « J’ai beaucoup de respect pour le travail de Matthieu Poupart. […] Il nous avait déjà fait des remarques la première fois qu’il a vu la pièce. J’avais modifié quelques lignes à la suite de ses questions », m’explique François Hien.
Ces deux propositions semblent marquer en profondeur les festivaliers présents, à l’image d’Amaury (son prénom a été modifié pour respecter l’anonymat) pour qui cette pièce met en lumière « un prêtre à la fois coupable de s’être tu mais aussi victime d’un système où on le condamne pour son orientation sexuelle [homosexuelle]. » Je suis moi-même sorti bousculé et impressionné par la justesse et la force de cette pièce, mais également par l’analyse en profondeur de la conférence de Matthieu Poupart.
Libérer la parole sur l’IVG
Organisé par les membres de l’association chrétienne féministe Magdala, l’atelier « Regards sur l’IVG : chrétiennes et féministes, l’introuvable positionnement ? », est l’un des moments les plus marquants du festival dans les discours des festivaliers présents. Clémence P., membre de Madgala à l’initiative de ce temps, me confie être bousculée par la force de ce moment. « Il y avait des témoignages très bouleversants de femmes qui ont avorté, d’autres qui ont voulu avorter mais se sont rétractées face à la pression de leur milieu catholique, et enfin des mères de famille qui n’y ont jamais eu recours. Des femmes ont raconté comment elles se sont senties blessées par le silence de l’Église sur leur souffrance et leur solitude. On a tous et toutes pleuré. » Même impression pour Grégoire, membre également de Magdala : « Les témoignages étaient poignants, tous uniques, tous incarnés. Je n’avais jamais entendu de tels partages d’expérience [sur ce sujet], en confiance et dans toute leur crudité, dans un milieu d’Église : ce n’est malheureusement pas à la sortie de la messe qu’on peut s’exprimer ainsi et bénéficier d’une telle qualité d’écoute. »
Un séminariste souhaitant garder son anonymat m’explique comment il se sent touché par ce temps : « J’ai été bousculé en assistant à un atelier sur les questions autour de l’IVG, du lien entre ces personnes qui crient leur détresse, leur solitude et qu’en face au sein de l’Église personne ne s’occupe d’elles. Il y a un enjeu à être présent. Je pense qu’avant de chercher à partager le message de l’institution, il y a avant tout un véritable
enjeu pour les prêtres à venir dans ce genre de temps de parole : se laisser toucher et bouleverser dans leur cœur, avant de chercher par la suite une réponse à apporter. Je suis saisi par l’absence de l’institution face aux femmes qui hésitent à avorter et celles qui ont avorté. »
Évangiles et Révolution

Photo Laleh Joncheray
Nous avons précédemment vu le sens que mettent les organisateurs derrière « Évangiles et Révolution ». Ce qui est certain, c’est que les temps de pratiques religieuses ne sont pas moins puissants et intenses que ceux autour de la réflexion politique. Comme me le rapporte Alexandre, il est fréquent que des festivaliers des Poussières déclarent :
« C’est la première fois que
les deux parties de mon identité,
la foi et la lutte militante, sont réunies. »
« Les catholiques sont souvent dans des tensions internes entre ce que leur demande l’institution religieuse et ce qu’ils perçoivent des Évangiles comme message émancipateur. Au festival des Poussières nous facilitons les débats autour de ces tensions et de leur résolution. » m’explique Vincent, membre de l’organisation. Lors de sa conférence sur le christianisme de gauche, le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel déclare : « Si on avait fait ce festival dans les années 70, il n’y aurait pas eu la prière du matin et celle du soir. » Une manière d’insister sur le caractère attestataire de ce qu’on appelle désormais « les nouveaux chrétiens de gauche ». Pour Jean-Louis Schlegel dans son courriel qui m’est adressé, contrairement à ce qu’il nomme « les deux ou trois générations conciliaires » post-Vatican II, « la génération actuelle n’a pas derrière elle ce poids [du ressentiment contre « l’institution »], elle est confrontée plutôt à l’intense sécularisation de la seconde moitié du XXᵉ siècle. L’“enfouissement” n’est pas son truc, et personnellement je les comprends. Les deux prières quotidiennes d’une demi-heure en pleine nature me semblent très accordées au festival. Non seulement elles ne sont pas “pieuses”, mais elles disent symboliquement dans les lectures et les chants le sens de ce qui est vécu ou qu’on aimerait vivre. »
« Mon cœur est à gauche parce que je ne peux pas prier sans les femmes, sans les personnes queer, exilées, silencées, dominées, violentées », me confie Grégoire, membre de Magdala. Julie, membre de l’organisation, me déclare : « C’est la Bible qui m’a politisée. » Par la suite elle a rejoint l’initiative « Justice et Espérance » avec des chrétiens opposés à l’extrême droite, dont des personnes gravitant autour du festival des Poussières. « Via eux et elles j’ai découvert les Poussières 2024 qui m’ont bouleversé. Je n’avais jamais envisagé de mêler ma foi et mon militantisme et je ne suis pas déçue de l’avoir fait. »

Dans la « Prière des Poussières » proposée aux festivaliers, une phrase illustre bien que pour les organisateurs la foi est éminemment politique :
« Saint-Esprit, donne-nous l’audace de profaner
tout pouvoir usurpant le règne de Dieu. »
Le danger de l’extrême droite et la lutte contre l’influence de cette idéologie sont des thématiques présentes également dans les propositions de conférences et d’ateliers. Ce sujet inquiète de nombreux chrétiens avec qui j’échange, notamment Théophile, qui est frère jésuite en formation à Toulouse, « mais pas prêtre », me précise-t-il. Sur les raisons de sa participation à ce festival, il me répond : « Ce qui fait que je suis ici cette année, c’est que je ne veux pas rester passif à regarder l’Évangile se laisser accaparer par l’extrême droite. Je respecte le fait que l’on s’engage à droite de l’échiquier politique au nom de sa foi, sur le terrain de la morale ou de l’identité par exemple, mais c’est important qu’on fasse entendre des voix chrétiennes ouvertes sur les sujets migratoires et d’inclusion. Je suis vraiment inquiet par la force des médias Bolloré, de 1000 raisons de croire et d’autres. »
La joie des évangiles
La joie des Évangiles, c’est notamment permettre de vivre la foi chrétienne attachée au message de Jésus de manière véritablement inclusive, notamment pour les croyants LGBTQIA+, encore bien trop souvent victimes de mépris, de discriminations, de rejet, voire de violences psychologiques et physiques au sein des communautés chrétiennes. Amaury[5]Le prénom a été modifié pour respecter l’anonymat., jeune catholique homosexuel, me confie qu’il reste dans l’Église catholique « parce que c’est le meilleur moyen de faire évoluer l’institution ». Sur le festival des Poussières, il me déclare : « Je me sens libre ici au niveau de mes paroles sur l’homosexualité. Cela me permet de trouver un alignement entre qui je suis vraiment et ma foi. »
Au début de la prière queer du samedi, l’un des organisateurs de ce temps déclare au micro : « Tout comme l’intime est politique, l’intime est spirituel. » À destination des personnes hétérosexuelles et cis[6]« Personnes dont le genre (homme ou femme) assigné à la naissance sur la base des organes génitaux externes (pénis/vulve) correspond à leur identité de genre. Les personnes cisgenres sont … Continue reading de l’assemblée, il précise : « Queeriser la prière, c’est venir décaler notre manière de prier. C’est chamboulé ce qui fait autorité. » La singularité de ce temps religieux, c’est qu’il est organisé exclusivement par des personnes LGBTQIA+ mais à destination de l’ensemble des festivaliers. Dans ce coin prières, où flottent pour l’occasion les drapeaux représentant la diversité de la communauté LGBTQIA+, les personnes concernées sont situées au centre de l’assemblée des croyants, elles qui sont habituellement invisibilisées voire placées à la marge dans les lieux de culte.
Sur le chemin à la sortie du temps de prière chrétien queer, je saisis cet échange entre une mère et son garçon : « Maman, j’ai beaucoup aimé le rose sur les drapeaux. Je peux aimer ça ? », la mère lui répond : « Tu peux aimer ce que tu veux et qui tu veux. »
Vincent, membre de l’organisation du festival, insiste sur l’importance de « la religion du cœur prônée par Jésus, plutôt que celle qu’on professe et qu’on vit par l’observation de rites et de règles extérieures. »
Pour Clémence, membre de l’association féministe chrétienne Magdala, la joie des Évangiles au sein de ce festival c’est « d’être ensemble et d’avoir des relations simples, chaleureuses et bienveillantes ». Alexandre, habitant de l’éco-hameau de la ferme de la Chaux et membre de l’organisation du festival, considère quant à lui que « la joie des Évangiles, c’est le côté festif, la bienveillance envers chacun et chacune pour nous sortir de la rudesse de la lutte. Avec l’espérance de l’Évangile où nous savons qu’à la fin nous serons dans la justice et l’amour, il est donc possible de se réjouir dès maintenant. Il y a beaucoup de gens seuls dans leurs luttes. Mais ici au festival c’est vraiment un temps pour partager et se réjouir ensemble. »
« L’Église que j’aime, elle se salit les mains. Ce n’est pas une Église des purs. […] C’est ici au festival que j’ai l’impression d’avoir vraiment compris le lien profond entre Royaume de Dieu et inclusivité : l’Église doit “élargir l’espace de sa tente”, tout en restant en cohérence avec elle-même, pour que chacun et chacune puisse trouver la place qui est la sienne dans la “maison du Père !” », m’indique Théophile, le frère jésuite en formation.
Un intérêt croissant pour ce festival chrétien marqué à gauche
Comme l’illustre la présence de plusieurs journalistes sur place travaillant pour des médias nationaux – KTOTV, Le Pèlerin, La Croix, L’Humanité, Golias, Le Jour du Seigneur sur France 2 –, l’intérêt médiatique grandit pour ce qui est vécu au sein de cet événement. Alexey Vozniuk, journaliste de KTOTV réalisant un reportage vidéo sur le festival, me déclare : « On ne peut pas nier les sujets mis en avant dans ce festival comme la question de la place des personnes homosexuelles dans l’Église ou celle de la gestion des abus. » Il me confie qu’il a rencontré des personnes qui « ont été blessées dans l’Église » et qu’il est conscient que cela a un impact sur leur attachement ensuite à cette institution. Sur sa présence au festival pour KTOTV, Alexey Vozniuk me répond : « C’est important que nous soyons ici pour traiter cet événement. Il faut montrer ce qui se vit pour les catholiques. »
De très nombreux collectifs ou associations chrétiens formant ce que nous appelons « l’écosystème chrétien engagé » sont représentés
par la présence de leurs membres au sein du festival :
Magdala ; Anastasis ; Lutte et Contemplation ; le réseau TCHAAP ; le Dorothy ; etc.
L’évolution du nombre de festivaliers est également un bon indicateur à prendre en considération. De 250 participants lors de la première édition en 2023 à environ 500 en 2024, nous étions cette année plus de 650 selon les organisateurs. Face à ce succès grandissant, de plus en plus d’inscriptions sont refusées par manque de place. « Il y a une certaine frustration de dire non à des centaines de personnes qui souhaitaient venir, car plus on accueille de personnes et plus on a des réseaux et des collectifs différents », me confie Alexandre, l’un des organisateurs.
Quand je demande à un séminariste s’il inviterait ses collègues de formation et ses amis prêtres à venir vivre
à ce festival, il me répond : « Oui, complètement ! Pour moi ça fait partie du rôle pastoral du prêtre de s’intéresser à tous les courants de pensée au sein du catholicisme. Et ce courant ici a la force de déplacer en profondeur des personnes. »
La question qui va se poser pour les organisateurs du festival des Poussières, c’est comment garantir le maintien d’une cohérence écologique et sociale tout en continuant d’accueillir de plus en plus de personnes souhaitant vivre cet événement unique ? Ce questionnement est partagé par Maguelone, jeune catholique issue d’un milieu conservateur, pour qui ce festival est « un lieu d’espoir, de rencontres humaines, de découvertes et de simplicité ». « L’enjeu pour les Poussières ça va être de continuer sans perdre ce qu’ils sont », ajoute-t-elle à la fin de notre échange.
Une messe de fin de festival « para todos, todos, todos »
Lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) 2023, face à des centaines de milliers de jeunes catholiques, le pape François avait tenu un discours fort durant lequel il avait notamment déclaré : « Chers amis, je voudrais être clair avec vous qui êtes allergiques aux mensonges et aux paroles creuses : il y a de la place pour tout le monde dans l’Église, pour tout le monde ! ». Il avait ensuite demandé la participation des jeunes présents en leur faisant répéter : « Il y a de la place pour tout le monde ! Tous ensemble, chacun dans sa langue, répétez avec moi : « Tous, tous, tous ! », “Para todos, todos, todos !” ». Si le pape François est mort avant que l’Église catholique ne devienne un lieu inclusif pour tous et pour toutes, ses mots aux JMJ de 2023 semblent ressurgir et s’incarner dans la messe de ce dimanche à Goshen, marquant la fin du festival. La célébration est réalisée par le prêtre jésuite Marcel Rémon, et prêchée par une laïque de la communauté de vie de La Viale en Lozère. Lorsque le prêtre indique « Nous allons vous proposer une lecture du Credo en plusieurs langues », je ne peux m’empêcher d’y voir un clin d’œil au pape François, jésuite également, invitant « chacun dans sa langue » aux JMJ à répéter avec lui son souhait d’une Église inclusive.
Le « Para todos » s’applique également dans la proposition d’une communion fraternelle ouverte à tous et à toutes, à la seule condition de respecter ce qui se vit dans ce temps religieux important pour les catholiques. Autorisée par l’évêque du lieu, Antoine Hérouard, l’un des responsables ecclésiaux français les mieux évalués[7]Trois mitres. au sein du Trombinoscope de Golias[8]Trombinoscope des évêques, 2024-2025, Golias Éditions, 2024, écrit par Philippe Ardent sous la direction de Christian Terras., cette communion exceptionnelle permet aux chrétiens protestants et orthodoxes, ainsi qu’à tous les catholiques, de pouvoir vivre ce moment de réception du Corps et du Sang du Christ présents, selon la religion catholique, dans le pain et le vin. Cette messe à Goshen est une véritable ouverture permettant au plus grand nombre de vivre cette expérience. Je ressens et je vois beaucoup d’émotions liées à ce temps religieux.
Pour symboliser le texte du jour et permettre à l’assemblée de comprendre pourquoi les enfants passent sans problème les portes étroites du Royaume de Dieu contrairement aux adultes, Marcel Rémon demande aux enfants présents d’inviter les adultes à constituer ensemble une farandole avec comme objectif de passer sous la croix de Jésus suspendue par des grandes branches de bois à 1,5 mètre du sol. C’est ainsi que je me retrouve main dans la main avec tous les autres participants dans la farandole, me courbant pour passer sous la croix, entraîné par le chant joyeux de sortie de la messe, contemplant la joie se dessinant sur les visages. Cette joie intense, symbole des quatre jours vécus ici, nous rappelle que le Royaume de Dieu n’est jamais très loin. Le Festival des Poussières nous en donne déjà un magnifique aperçu !

Olivier Perret
Hebdo n° 878, semaine du 4 au 10 septembre 2025
Notes
| ↑1 | Encyclique Fratteli Tutti. |
|---|---|
| ↑2 | Pour soutenir financièrement cette initiative à destination des réfugiées : https://www.helloasso.com/associations/ association-les-depavees/formulaires/4 |
| ↑3 | Encyclique Laudato si’. |
| ↑4 | Matthieu Poupart, Le silence de l’agneau. La morale catholique favorise-t- elle la violence sexuelle ?, Seuil, 2024. |
| ↑5 | Le prénom a été modifié pour respecter l’anonymat. |
| ↑6 | « Personnes dont le genre (homme ou femme) assigné à la naissance sur la base des organes génitaux externes (pénis/vulve) correspond à leur identité de genre. Les personnes cisgenres sont des personnes non transgenres », définition issue du site de SOS Homophobie. |
| ↑7 | Trois mitres. |
| ↑8 | Trombinoscope des évêques, 2024-2025, Golias Éditions, 2024, écrit par Philippe Ardent sous la direction de Christian Terras. |




