Bernard Noël (1930-2021) est mort le 17 avril dernier. On dit qu’il est un des plus grands poètes contemporains. En relisant quelques-uns de ses recueils et en feuilletant sa correspondance j’ai trouvé ces mots au dos d’une carte postale qu’il nous envoyait le 11 septembre 1973 :
Le ciel est de plus en plus haut :
Bernard Noël (inédit)
on aimerait y tailler des marches.
C’est curieux comme la campagne est notre maison – à quel point il est bon d’y rentrer.
Avez-vous beaucoup voyagé ?
Cinquante mille personnes sur le Larzac,
ça devait être assez bouleversant.
Jamais cette terre n’avait dû en voir autant.
Nous avons fait des confitures de fraises,
de mûres, de prunes, de sureau, de rhubarbe…
Il va y avoir des pommes et des noix en quantité. Ainsi la terre devient proche à travers le langage de ce qu’elle donne et qu’il faut cueillir et préserver.
De simples mots, des mots tout simples, et pourtant l’œuvre de Bernard Noël est une œuvre difficile, exigeante. Nous sommes devenus amis en 1964 quand je l’ai invité dans ma classe de Philo du lycée de Courbevoie pour parler de La Face de silence, et il avait fasciné les élèves. Comme il fascinait nos enfants quand il leur apportait des albums des éditions Delpire où il travailla un temps.
On a dit de lui qu’il était un « mystique athée ». C’est aussi certainement cela qui m’avait attiré chez lui. Dans un entretien avec Jean-Luc Bayard (En Présence, L’Armourier, 2008) il écrivait :
Le fait d’être athée n’interdit pas une expérience mystique […] Je suis ancré dans l’obstination du refus […] Je suis persuadé qu’au fond du noir, et là seulement, se trouve la vraie lumière… celle qui est indubitable parce qu’elle résiste justement à tous les refus […]
Bernard Noël
Toute ma vie j’ai désiré voir comment le corps transpire la pensée, et cette transpiration est la lumière même, la lumière du corps transfiguré… la posture de l’écriture est l’exercice apte à provoquer cette transfiguration — et peu importe si c’est désespérément !
Comment ne pas penser au poème de François Cheng :
Vraie Lumière, celle qui jaillit de la Nuit ;
Et vraie Nuit, celle d’où jaillit la Lumière.
dans le recueil Vraie Lumière, née de Vraie Nuit, (Le Cerf, 2009)
Parfois quelques mots suffisent à faire vivre longtemps un poète dans notre mémoire. Oui, aujourd’hui,
« Le ciel est de plus en plus haut : on aimerait y tailler des marches. »
Merveilleux Jean qui nous partage ces beaux textes de Bernard Noël, merveilleux lui aussi. Un grand plaisir. Merci Jean !
Jacqueline Casaubon