En 1801, au sortir de la Révolution, le Premier consul, Bonaparte, signe un Concordat avec le pape Pie VII. Parmi les articles imposés à Rome, celui qui prévoyait la démission de tous les évêques encore vivants afin de reconstituer une hiérarchie nouvelle. Sur près de cent prélats concernés, 40 % refusèrent et entraînèrent avec eux des prêtres et des fidèles. Ainsi naquit la Petite Église…
La chronique d’Alain Cabantous
L’Europe dans son ensemble connaît, nous le savons tous, une réduction drastique et rapide du nombre de prêtres encore en activité pastorale. Même la (trop) catholique Pologne est touchée à son tour. En France, le clergé séculier est passé de 41 000 unités en 1965 à 6 000 en 2014 et probablement à 4 000 à l’horizon 2025. Faute de vouloir s’interroger sur le fond du problème qui touche à la nature du sacerdoce, les évêques préfèrent organiser des pèlerinages ou des veillées pour les vocations (masculines bien sûr) avec le succès que l’on sait. En outre, la venue massive de prêtres africains s’apparente à un débauchage néocolonial pas toujours concluant sur le terrain ou encore l’encouragement prodigué par la hiérarchie aux communautés faussement nouvelles, pourvoyeuses surtout d’ordonnés formatés et souvent inadaptés ne sont que des emplâtres qui risquent de ne pas durer.
Alors faut-il envisager pour demain des communautés sans prêtres, au moins sans prêtres tels que nous les connaissons aujourd’hui ? Et pourquoi pas puisque même dans l’Église institutionnelle, pourtant lente à réagir et accrochée à des modèles périmés, nécessité fait loi souvent sous la pression des laïcs. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à ce mouvement pourtant très catholique, né au seuil du XIXe siècle, appelé la Petite Église et dont il subsiste aujourd’hui quelques milliers de fidèles à Lyon et surtout dans les Deux-Sèvres.
L’affaire n’est pas simple. Au sortir de la Révolution, l’Église de France est à la fois dispersée et divisée entre prêtres et évêques en exil, clercs clandestins et clergé « constitutionnel » officiellement reconnu. Le Premier consul, Bonaparte, estimant que toute société a besoin de s’appuyer sur une unité religieuse, insiste auprès du pape pour restructurer ladite Église en signant en 1801 un Concordat avec Pie VII. Parmi les articles imposés à Rome celui qui prévoyait la démission de tous les évêques encore vivants afin de reconstituer une hiérarchie nouvelle. Sur près de cent prélats concernés, 40 % refusèrent et entraînèrent avec eux des prêtres et des fidèles. Lesquels récusaient aussi la stricte limitation des fêtes religieuses d’obligation à quatre. Ainsi naquit la Petite Église comme une église du refus et de la résistance. Inégalement répartie sur le territoire mais forte alors de cent mille personnes environ, elle s’est posée comme détentrice de la tradition la plus stricte et considéra même le pape comme celui qui avait sciemment rompu la chaîne de la succession apostolique.
Jusqu’au moment où entre 1830 et 1845, les prêtres qui menaient ces groupes moururent sans descendance si l’on peut s’exprimer ainsi, puisque les évêques dissidents avaient refusé ou n’avaient pu procéder à des ordinations. Voilà donc des assemblées qui avaient toujours pensé l’Église comme une hiérarchie immuable et, surtout depuis le concile de Trente, le prêtre, homme autoproclamé du sacré, comme l’élément indispensable à la vie pastorale et sacramentelle des paroisses, devenues orphelines. Même si ce scénario était prévisible, il a dû en plonger plus d’un-e dans des abysses de réflexion ecclésiologique d’autant qu’il n’était pas question pour la plupart de réintégrer l’Église officielle honnie. Alors, vaille que vaille, ces communautés s’adaptèrent. Ce furent d’abord des hommes qui, dans les maisons ou les chapelles construites à cet effet, menaient les offices du dimanche dont on lisait les textes en français et délivraient parfois un commentaire. Mais bientôt, horresco referens, des femmes y prirent une place grandissante. Comme l’écrit le futur cardinal Pie, évêque de Poitiers en 1851 en s’adressant aux dissidents : « Votre curé, c’est une femme ! Mais vit-on rien de semblable sous le soleil ! L’ordre naturel veut que l’homme enseigne et que la femme apprenne dans le silence et la soumission ». Pis, et sans mauvais jeu de mot, les femmes de la Petite Église avaient une place prépondérante pour l’administration du baptême, pour les enterrements devenus « civils » ou à travers l’instruction des enfants. La communion dominicale était strictement spirituelle et la confession faite devant Dieu seulement. Et selon l’un des derniers prêtres encore actif dans les années 1830, comme par une redécouverte des sources scripturaires, c’est « Dieu Lui-même qui [vous] tient lieu de pasteur, de guide et de soutien car les fidèles qui sont sans prêtre sont eux-mêmes prêtres et roi. »
Tel est le paradoxe de la Petite Église. Initialement née pour conserver coûte que coûte de l’ancien, elle devint novatrice et prophétique sous l’effet implacable des circonstances pour ne pas disparaître. Nous sommes probablement entrés aujourd’hui avec acuité dans ce temps fructueux des épreuves. Il ne touche pas seulement la communauté de Saint-Merry, volontairement détruite par le cléricalisme épiscopal, pas seulement ces diocèses amazoniens immenses, vides de clercs et encore en attente. Mais il concerne tant de femmes et d’hommes que la pandémie a contraints à inventer, à « bricoler », ensemble ou isolés, une autre forme de vie sacramentelle. Tant et si bien qu’au sujet de la confession le pape François a souligné que « celle-ci ne se faisait pas seulement par le ministère d’un prêtre, mais que les gens peuvent demander pardon à Dieu devant un crucifix »… Un parfum de Petite Église.
Tout est donc à (re) faire autrement.